On peut donc conclure de ces éléments que, selon la lettre de la loi fondamentale, la nomination et la destitution du chef de gouvernement reviennent au chef de l'État, que ce droit est tombé en désuétude et soumis à une tradition contraire lorsque le Parlement est en fonction, mais qu'en son absence, le Shah, en tant que garant de la continuité de l'État, reprend en quelque sorte sa prérogative. De ce fait la Chambre ayant été mise hors d'état de fonctionner par la volonté même du gouvernement, le chef de l'État a le droit constitutionnel d'évincer son Premier ministre, ce que Mossadegh lui-même admettra à plusieurs reprises lors de son procès, mais contestera en d'autres occasions.
Plusieurs hommes politiques s’autorisent à le conseiller sur sa vie privée, certains, il est vrai, poussés par les messages du grand ayatollah Boroudjerdi de Qôm, dont l’autorité ne se discute pas. Il faut, disent-ils, pour acquérir une dimension nationale, que le roi se range, qu’il mène une vie plus « convenable » et… qu’il prenne femme, critère de respectabilité incontournable dans un pays musulman. Tout un programme auquel Mohammad Réza a déjà goûté lorsque son entourage a trouvé sa première épouse !
Devenu roi, Réza poursuit dans ces voies et encourage la mise sur pied d’une Ecole supérieure de commerce, d’une Ecole normale supérieure, d’écoles pour la formation des maîtres et d’une faculté technique. Il fait acquérir par l’Etat, en 1934, un terrain de 300 000 mètres carrés destiné à devenir un campus universitaire. Cette acquisition, jugée excessive par certains, soulève de vives critiques au Parlement, où l’on accuse le ministre, Ali-Ashgar Hekmat, de dilapider les fonds publics. L’occasion est vite donnée à Réza shah de motiver ce choix. Lors de la pose de la première pierre de la première faculté de l’université, celle de médecine, alors que le ministre ne sait plus que dire, il met un terme aux discussions en déclarant : « Vous verrez, bientôt vous serez à l’étroit dans ces 300 000 mètres carrés ; il vous en faudra des millions pour une université digne de notre capitale. » L’avenir lui donnera raison.
On dit que les peuples ont les dirigeants qu’ils méritent. Si c’est le cas, il faut avoir pitié de l’Iran car il est gouverné, comme l’Europe médiévale, par des gens dont le principal désir est d’amasser des richesses. Pourtant, les regrets que ressent le voyageur lorsqu’il visite le Palais et ses charmants jardins de Fin sont encore plus poignants lorsqu’il réfléchit que, si ce ministre [Amir Kabir] avait pu gouverner pendant vingt ans, il aurait pu former quelques hommes capables et honnêtes pour lui succéder. L’exécution de l’Amir-i-Nizam fut une vraie calamité pour la Perse. Elle arrêta net les progrès si difficilement accomplis. » Juste éloge et terrible analyse.
Faute d’homme providentiel, des Iraniens cherchèrent une autre voie, la démocratie à l’occidentale. Au cours des dernières années du règne du shah, le pays était agité en profondeur, même si le calme semblait régner en apparence. En mai 1896, tandis que la Cour préparait à grands frais le jubilé d’un roi « qui aura[it] connu deux siècles », le shah fut abattu lors d’un pèlerinage par Mirza Réza Kermani, disciple d’un religieux réformateur et franc-maçon, Sayed Djamal-ol-Din Assad-Abadi, exilé à Istanbul, lequel fut empoisonné un peu plus tard sur ordre du sultan, qui craignait ses propos incendiaires.
Rencontre avec Yves Bomati autour de L'âge d'or de la Perse – L'épopée des Safavides (1501-1722) paru aux éditions Perrin.
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26/04/2023 - Réalisation et mise en ondes Radio Radio, RR+, Radio TER Yves Bomati