L'encenseur magnifique.
(Critique des
Oraisons Funèbres)
Le risque principal des
oraisons funèbres consiste à vouloir ne conserver pour la postérité que les qualités, les hauts faits du défunt et passer sous silence ce que l'orateur considère comme des petitesses, des mesquineries ou des erreurs. Dans cette perspective, la mort embellit ceux qu'elle touche et nous en apprend autant sur le disparu que sur l'orateur.
Bossuet en réalité n'échappe pas totalement à cette tendance de fond. Ses oraisons, prononcées lors de messes de commémoration devant un parterre formé de la très haute société française du 17ème siècle et parfois en présence du roi lui-même, ont remporté un tel succès qu'elles ont été éditées à partir des brouillons de l'auteur qui ne les a que rarement retouchés. Mais en quoi se démarquent-elles des nombreuses autres, à l'époque où elles formaient un genre à part entière ?
D'abord, ce qui retient l'attention, c'est leur nationalisme, leur patriotisme qui se décline en gallicanisme en matière de religion. On retrouve chez
Bossuet un constant respect des puissants, des nobles, des « bien en cour » qui influe sur ses réflexions historiques et politiques comme, par exemple, le soutien inconditionnel à la révocation de l'Edit de Nantes. L'orateur apparaît lui-même comme un notable du régime en retraçant la vie du défunt dans une perspective historique qu'il refaçonne en vue de laisser une certaine image à la postérité. Ce récit vaut surtout par les anecdotes et la vivacité propres à ceux qui ont vécu de près les événements qu'ils décrivent.
Ensuite, l'évêque de Meaux considère chaque oraison comme une réflexion sur la mort et surtout comme l'occasion d'un enseignement religieux (ici catholique), moral et philosophique. Il considère qu'il se doit à la fois d'édifier son auditoire et de lui faire ressentir et partager les nécessités religieuses que la mort d'un être cher a rendues plus frappantes. Il n'hésite pas à faire appel à de nombreuses références tirées, soit de l'Ancien ou du Nouveau Testament, soit d'auteurs profanes grecs ou romains de l'Antiquité en gardant le plus souvent la langue d'origine! Il trace la voie d'une foi exigeante qui renie toute hérésie ou déviance. C'est un peu la voix idéale de l'élite de la société française du 17ème siècle.
Enfin, probablement à son corps défendant,
Bossuet fait montre des qualités d'un écrivain hors pair qui se hisse à la hauteur des plus accomplis que la langue française ait connus. Son expression s'avère le plus souvent magnifique, éblouissante, inventive, colorée, percutante. Alliant la formule à la métaphore, elle transcende la pensée de l'orateur. Justement, l'orateur : quand on pense que chacun de ces textes a été déclamé (ce qui devait prendre un certains temps !), on reste pantois devant le travail de conception de l'oraison et le fait que cet écrit devait subir le passage à l'oral au cours d'une messe. Il fallait captiver « en direct » l'intérêt et l'approbation d'un public trié sur le volet ! Peut-être est-ce d'ailleurs une des clés de la réussite de ces discours ?
Comme beaucoup d'auteurs,
Bossuet reste à la postérité pour des raisons qu'il n'aurait pas particulièrement chéries : sa langue, son style et sa recherche d'une certaine pureté d'expression, davantage que pour son contenu, son enseignement et sa visée morale. Néanmoins, ces oraisons demeurent remarquables par ce qu'elles incitent à la réflexion sur la mort, sur la religion, sur l'histoire, sur l'humanité, sur l'évolution des moeurs et des sociétés.