Le premier mot qui me vient à l'esprit pour parler de ce texte de plus de 900 pages, c'est « monstrueux ». Oui, à bien des égards,
Grégoire Bouillier, quand il s'empare de l'affaire Marcelle Pichon, produit un récit proprement monstrueux.
D'abord parce que la mort de cette femme, qui décide un jour de 1985, d'arrêter de s'alimenter et de tenir le journal de son agonie, exerce une fascination morbide sur l'écrivain, et sur le lecteur aussi.
Ensuite parce qu'à partir de cet évènement, le travail de recherche colossal, de documentation, d'enquête, cette somme que l'on peine à soulever (plus d'1 kg vraiment) est monstrueusement impressionnante par son volume et la complexité de ce que construit l'écrivain.
Par ailleurs, c'est bien un monstre que finit par créer Bouillier, celui d'une fiction totale qui, si elle s'appuie sur le réel pour exister, échappe complètement à son créateur. C'est l'histoire d'une obsession pour Marcelle Pichon qui se transforme en une quête des origines, d'un livre pour comprendre l'autre qui devient de la littérature de soi.
Enfin, cette lecture a pris souvent l'apparence d'une expérience de lecture complètement excessive : j'ai adoré les conversations avec Penny, la fiction de l'agence de détective BMore, la plongée dans la France des années 40, les références littéraires à foison, l'humour teinté d'absurde et la douce folie qui habitent Bouillier.
Et puis j'ai détesté ses bavardages incessants et stériles parfois, je n'ai pas adhéré à la pure spéculation autour du suicide de Marcelle, ou des motivations de chacun des protagonistes liés (de près ou de trèèèès loin) à sa vie, et la conclusion du récit m'a très peu convaincue.
Adoré et détesté donc, ce récit que je n'ai pourtant pas réussi à lâcher. Si finalement je n'en sais pas davantage sur les motivations de Marcelle-la femme, je n'oublierai jamais Marcelle-personnage, née de l'incroyable travail littéraire de Grégoire B.
Je suis ressortie de cette lecture sonnée et soulagée, impressionnée et consciente d'avoir lu un truc indéfinissable et beau. Un joli monstre.