Dixie City

C'est drôle ce qui peut arriver lorsqu'on met le coeur à nu pour se joindre à la vieille danse de la Terre jusqu'au travers des cieux.

Il avait le visage dilaté, décoloré par la chaleur, à croire qu'on l'avait longuement fait pocher dans l'eau tiède.

Il y a ceux qui, pour des raisons politiques,aiment à parler de prisons tout confort et grand luxe. mais où qu'elles soient situées, les prisons sont toujours des lieux où il ne fait pas bon de se trouver. Quiconque est d'avis contraire n'a jamais séjourné derrière les barreaux.

Une caractéristique peut-être plus abominable encore de la prison est ce déni absolu de toute identité qui avait pu être la vôtre avant que vous ne pénétriez dans ce morceau de géographie limitée où le temps peut parfois se mesurer en périodes successives de cinq minutes qui semblent droit sorties du Neuvième Cercle de Dante.
Vous y apprenez très vite que la violation personnelle de votre "moi"
est considérée comme un événement aussi insignifiant, aussi ancré dans le cours des choses que les fouilles de routine des orifices du corps, l'aspersion à la bombe anti-parasites de vos parties génitales ou la queue pour la bouffe, lorsqu'un chef de meute dit au serveur de cracher dans votre gamelle de rata jusqu'à ce que vous cessiez d'être à vos propres yeux une exception aux règles du romanesque pénitentiaire.

- Un homme du mal, ça peut point aimer la musique, dit-il. ça l’intéresse pour un autre motif.

De toute évidence, vous avez le même potentiel de réflexion qu'un navet.

Le mot « mort » n’est jamais abstrait. […]

La mort, c’est une odeur qui s’élève, verte et putrescente,
d’un sac-linceul que l’on ouvre dans une morgue sous les tropiques ;
ce sont les pustules luminescentes qui couvrent la peau
d’un Vietcong déterré de son trou d’homme, son abri de nuit,
au milieu de la boue et des excréments, lorsque les 105 tombent un peu court ;
les champignons mauves qui poussent en nodosités aussi épaisses que des tumeurs
parmi les gommiers, là où les garçons en uniforme noisette ont couru en pure perte,
le souffle leur déchirant la poitrine,
sous les éclats d’obus qui venaient décorer leurs vêtements de pétales de roses déchirées.

Mais il est d’autres dénouements qui font tout aussi bon office,
lorsque l’existence finit par s’établir en de nouveaux lieux,
en cette zone morte où il semble qu’il n’y ait plus ni vent ni bruit,
certainement pas de joie,
voire même, après un temps, de capacité à ressentir.

On apprend que le contraire d’aimer n’est pas haïr,
mais s’essayer à un amour de substitution,
qui devient festin de fleurs empoisonnées.
On apprend à faire l’amour par nécessité, dans l’obscurité, paupières closes,
et à le justifier à ses propres yeux, avec un baiser seulement à la fin.

On apprend que ce vieil ennemi de l’humanité, l’ennui, peut se transformer en présence effective dans sa vie, aussi tangible, aussi omniprésente qu’une succession d’aubes grises dont le soleil ne parvient jamais à se libérer.

Je voulais toujours me convaincre que ces moments de furie furieuse, qui m’affectaient presque comme un grand trou noir d’alcoolique, étaient dus à une cause légitime, qu’on m’avait fait grand tort, à moi ou à l’un de mes proches, que l’objet de ma colère et de ma poussée d’adrénaline n’était pas venu s’engouffrer dans ma tanière par simple coïncidence.
Mais j’avais connu trop de flics qui pensaient selon les mêmes termes. D’une manière ou d’une autre, il existait toujours une justification pour la fléchette Taser, la giclée de Mace droit dans les yeux, la matraque d’acier qui venait fouetter les tibias ou l’arrière des cuisses.

La musique se leva dans le ciel jusqu'à paraître se fondre à la lumière douce et omniprésente
qui couvrait tout l'hippodrome, jusqu'au-delà de la piste,
au-dessus des rues bordées de chênes,
des maisons en bois sans peinture à galeries et volets verts,
des routes sur digue,
du Superdome,
des tramways et de leurs voies du Canal semées de palmiers,
des balcons aux balustrades en fer forgé à volutes, colonnades et cheminées de briques dans le Carré,
de Jackson Square et des flèches de la cathédrale St. Louis,
du « Café du Monde »,
de la large nappe barattée de boue du Mississippi,
des vastes étendues brillantes des terres marécageuses au sud et finalement,
du golfe du Mexique, où la lune, un peu plus tard, allait se lever,
telle une énorme perle qu'on aurait trempée dans un verre de Bourgogne.

C'est drôle ce qui peut arriver lorsqu'on met le cœur à nu
pour se joindre à la vieille danse de la Terre
jusqu'au travers des cieux.

Toutes les portes du bar étaient ouvertes pour laisser entrer l'air frais après la pluie,
et les ombres du soir comme les derniers reflets du soleil
avaient la couleur tendre, d'un mauve mêlé d'or, de la canne à sucre juste avant la récolte.
Les rues étaient pleines de gens, certains en uniforme, d'autres un peu ivres,
et heureux tous autant qu'ils étaient parce que les lumières allaient de nouveau se rallumer
sur la terre entière.

Puis ma mère m'avait soulevé dans ses bras pour me poser en équilibre sur sa hanche
tandis que mon père souriait de toutes ses dents en me mettant son feutre avachi sur la tête.
Ma mère sentait le lait et le talc de bain, les feuilles de menthe
et les cerises parfumées au bourbon qui restaient au fond de son verre.

C'était un temps heureux, un temps dont j'étais sûr qu'il n'aurait jamais de fin.