Chaque année, c’est une surprise. Les feuilles s’embrasent, pour un temps, de cramoisi et beurre frais, le ciel glisse, au petit matin, des verts mouillés de la fin d’été à des anthracite feutrés et, parfois, un gris perle miraculeux. Tout s’illumine avant de se consumer, de même qu’un mourant connaît soudain un regain d’espoir, quelques heures avant qu’on ne l’allonge afin de le laver et l’apprêter pour la dernière fois dans une pièce fraîche. J’ai été élevé dans l’idée, davantage que la croyance, que les morts pouvaient revenir au soir d’Halloween ; ou, plutôt que les morts, leurs âmes : que ce soit sous forme de bribes distinctes, ou bien d’un agrégat compact de conscience déclinante, c’était sans importance. Tout ce que je savais, c’est que l’âme était là, sous l’un de ses nombreux dehors : fantôme ou revenant, souffle de vent, illusion de lueur ou de flamme, ou simplement souvenir inexplicable, instantané classé dans les resserres de mon imagerie personnelle, image que je ne savais même pas en ma possession jusqu’à cet instant.
Nous déambulons, tous autant que nous sommes, dans les bibliothèques de l'indicible, les sépulcres blanchis où la vraie vie que nous imaginons se dissimule derrière des échanges à propos de la météo, des chaussures confortables et une moralité inculquée à laquelle on obéit plus ou moins, et qu'on méprise plus ou moins. Nous sommes dressés à dissimuler l'imagerie de nos vies rêvées - et pourtant, ces images forment un monde en elles-mêmes, elles constituent une écologie, et c'est vers ce monde, vers cette écologie, que j'imagine quand je caresse un lent rêve de départ, un après-midi, me projetant au loin, ailleurs, avec une poignée de pièces dans ma poche et un petit vent frais qui agite les herbes.
Mais j'imagine que mon père apprit à aimer le monde avant de mourir et que, par conséquent, il apprit en retour à s'aimer lui-même. Je l'espère, en partie pour lui, et en partie pour moi... car il m'arrive, par moments, de regarder en arrière et de me douter, de regarder en arrière et de savoir, que j'étais tout aussi responsable que lui de l'échec de notre relation de père et fils. Le bonheur, en tant que proposition de vie, est une discipline, celà ne fait aucun doute ; mais ponctuel, c'est un coup de chance. Un coup de chance et un indice : une allusion non seulement à ce qui pourrait être, mais à ce qui existe déjà, au coeur du coeur de l'homme, dans cet espace intime où les clichés n'ont plus cours, dans les resserres enfumées, dorées, parfumées à la myrrhe, de son imagerie personnelle.