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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Erskine Caldwell - La route au tabac -1937 : Steinbeck et Faulkner furent les nouveaux papes d'une littérature américaine qui disséqua sans ambages les conséquences sur le peuple de la crise financière de 1929. Eskine Caldwell dans la même veine descendait au plus profond d'une humanité massacrée par la pauvreté, l'ignorance et la consanguinité. le vieux métayer qui voyait filer sa vie et sa ferme s'enfermait dans une paresse qui tenait autant du découragement que de l'indigence. Seul avec son épouse, un fils benêt et une fille provocante affligée d'un bec de lièvre l'homme ressassait le temps où ses autres enfants travaillaient avec lui aux champs. Mais cette époque n'était plus, quasiment tous les jeunes gens du comté étaient partis grossir la main d'oeuvre des usines qui offraient un salaire fixe pour des tâches bien moins harassantes. Ce qui était parfaitement retranscrit ici c'était l'obscurité crasse d'une population bien trop pauvre pour avoir fréquenté l'école. L'enseignement public de toute manière était absent de ce sud si profond qu'il semblait oublié des dieux et des hommes. Eskin Caldwell habillait de son talent la nudité intellectuelle et culturelle de ces êtres humains qui ne vivait plus que pour justifier leur naissance devant la marche effarante de l'humanité vers le néant. La faim alors sévissait monstrueusement dans ces états abandonnés comme elle frappait la population dans certaines régions d'Afrique obligeant les habitants aux pires avilissements pour se mettre sous la dent quelques navets ou pommes de terre terreuses. La religion qui aurait pu servir de consolation se fourvoyait elle aussi dans le spectacle indécent de prêches hystériques et de miracles faciles. Il suffisait de voir le personnage lamentable de la soeur évangéliste, femme détraquée par l'envie et la perversion pour comprendre à quel point le secours moral ne pouvait aucunement venir du ciel pour cette population délaissée. En épousant l'adolescent de la famille cette matrone profitait du dévoiement forcé de leurs valeurs pour se procurer la chair fraîche indispensable à sa concupiscence. Chaque chose à son revers et la voiture neuve et rutilante achetée pour l'occasion ne sera plus qu'une épave au bout de la journée cabossée à plusieurs reprises par le jeune homme. Ce roman par l'absurde appelait au progrès social un peu comme les ouvrages de Zola au 19eme siècle. le romancier français attaché à un certain progressisme avait donné à chacun de ses personnages une conscience et un but. Ce n'était pas le cas des protagonistes de ce livre qui erraient dans l'existence comme des esprits perdus dans un désert sans fin. "La route au Tabac" est une lecture qui reste dérangeante après tant d'années comme la mauvaise caricature d'une société en totale perdition. Pourtant ce désarroi abyssal existe encore dans cette Amérique où le rêve continue à se vendre en tubes métallique comme le beurre de cacahuète dans les rayons surchargés des supermarchés... terriblement cynique
Commenter  J’apprécie          20043
Dans la masse des sorties de 1937, j'avais ce petit roman de ce grand auteur qu'est Erskine Caldwell !

Petit à petit je comble mon retard dans les rentrées littéraires et donc, aujourd'hui, on met un oldies sous la lumière des projecteurs.

80 ans de retard dans la lecture, une paille ! Je ne fais pas mon âge non plus…

Direction la Georgie très profonde (et pas la Gorge) pendant cette période noire que fut Grande Dépression de 1929.

La famille Lester possède une maison délabrée sur la route au tabac et cette famille est ravagée par la faim et la misère… le père Lester, son épouse Ada, leurs deux enfants et la grand-mère ne mangent pas à leur faim tous les jours. C'est même rare qu'ils mangent de tout leur soûl.

Non, ne plaignez pas le père, Jeeter Lester, il est seul responsable de la misère crasse dans laquelle il vit, lui et sa famille, car c'est un grand fainéant devant l'Éternel dont il pense que ce dernier va pourvoir à sa survie et faire pleuvoir de la nourriture sur sa pauvre carcasse.

C'est beau de croire… Bien que chez lui, ce soit plutôt une des excuses dont il se sert à tout bout de champ.

Il rejette la faute sur les autres : ce n'est pas de sa faute s'il ne sait pas cultiver son champs car personne ne veut lui vendre des semences et du guano à crédit, lui prêter une mule et il ne peut pas aller bosser à l'usine puisque Dieu l'a fait naître sur cette terre et donc, il doit y rester et y faire pousser du coton… mais puisque personne ne lui fait crédit… le chien se mord la queue.

Jeeter Lester, c'est le type même de personne à qui l'on a envie de botter les fesses tant il n'arrête pas de se plaindre, de gémir, d'envier les autres et surtout, de reporter à demain ce qu'il pourrait faire aujourd'hui. le roi de la procrastination, c'est lui ! le plus gros poil dans la main, c'est lui qui le possède.

Sur ses douze enfants vivants, dix sont déjà parti sans demander leur reste pour bosser en ville ou dans des usines. Les deux qui restent sont Dude, un garçon de 16 ans un peu simplet et Ellie May, pauvre fille pourvue d'un bec de lièvre et qui a le feu au cul.

Ajoutez à cela que Jeeter est un pitoyable voleur, un faux croyant doublé d'un roublard avec un petit air lubrique, un prometteur des beaux jours qui ne tient jamais ses promesses… Bref, vous avez face à vous le portrait d'un type détestable et minable. Et pourtant, on a du mal à le détester…

On se demande même ce qu'il va nous inventer comme excuses pour ne pas accomplir le travail et le reporter aux calendes grecques !

Mais qu'on ne s'y trompe pas, sous ses dehors de gros looser, de doux rêveur, de "procrastineur" et d'adepte des excuses faites pour s'en servir, Jeeter ne dit pas que des conneries quand il gémit sur le monde ou sur la vie.

Son discours, sur les banquiers qui prêtent des sous à de pauvres fermiers qui veulent de l'argent pour cultiver leurs terres, a tout de la critique et de la satire sociale : ces avides banquiers réclament leurs intérêts, le montant de la dette, et encore des intérêts et il ne reste qu'au pauvre fermier, après la vente de sa récolte, que quelques dollars en poche, ou pire, il se retrouve avec encore des dettes.

Un roman court dont la plume d'Erskine Caldwell m'a enchanté ! On dit toujours du bien de Faulkner pour parler du Sud Profond, mais c'est injuste de laisser Caldwell méconnu car il a tout d'un Grand et le portrait qu'il nous brosse du Sud durant la Grande Dépression vaut bien Faulkner et Steinbeck !

C'est cru, c'est trash, c'est la misère sociale, la misère morale, la misère crasse et la crasse absolue car cette famille se lave une fois l'an et a des habits qui partent en couilles.

Pourtant, j'ai passé un excellent moment de lecture avec cette famille improbable, mais comme il doit encore en exister, celles qui dans "Aide-toi et le Ciel t'aidera" ne retiennent que "Le Ciel t'aidera".

Un grand roman noir…

Lien : https://thecanniballecteur.w..
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A lire La route au tabac, j'ai été partagée entre l'envie de rire et un certain malaise.

Au début du siècle dernier dans le Sud des Etats-Unis, c'est le début de la crise, le coton ne se vend plus bien. Jeeter Lester ne rêve que de planter une nouvelle récolte, mais il n'a plus ni mule, ni argent pour acheter les graines ou le guano. Il faut dire qu'il n'est pas très énergique, entre autres défauts. Ses nombreux enfants sont partis travailler à la ville dans les filatures sauf une jeune fille qui a un bec de lièvre que Jeeter se promet depuis des années de faire opérer, un fils un peu limité, et une fillette de 12 ans qu'il a donnée en mariage à un voisin qui se désole qu'elle ne se laisse pas approcher. Complètent la famille la mère silencieuse, et une grand-mère dont personne ne se soucie et qui mange encore moins que les autres.
Autour d'eux d'autres personnages aussi minables et roublards.

C'est mon troisième Erskine Caldwell J'en lirai d'autres.


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Fin des années 20 ; la ferme des Lester, une quasi ruine écrasée de soleil, ses champs laissés à l'abandon envahis par les ajoncs…
Les Lester ?
le père, Jeeter , vieux métayer ruiné qui cherche à vendre à la ville du chêne noir dont personne ne veut ; et dont l'unique l'obsession est de faire repousser du coton sur ses terres.
La vieille Lester et Ada, respectivement, mère et épouse de Jeeter, toutes les deux atteintes par la maladie.
Ella May, la fille, nymphomane affublée d'un bec de lièvre.
Dude, le fils simplet et Pearl la petite soeur âgée de douze ans, déjà mariée au voisin.
« La Route au tabac », premier grand succès de l'auteur est en fait un récit sans réelle construction composé d'épisodes burlesques avec pour dénominateur commun la faim ; sur fond de modernisation et d'expropriation du monde rural avec, en filigrane, la chaleur du désir sexuel et de la sensualité animale ...
Erskine Caldwell nous offre ici une vision monstrueuse mais pleine de tendresse de l'Amérique rurale de la fin des années 1920 : tout dans ce récit est volontairement déformé, démesuré, accentué à l'extrême pour en devenir une caricature néanmoins drôle et grinçante ou les drames de la folie quotidienne sont décrits simplement, comme des faits anodins d'une banalité dérisoire.
Dans le fond, une grande oeuvre même si la forme peu surprendre.

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Classique parmi les classiques, "La route au tabac" est un très grand roman écrit par Erskine Caldwell, publié en 1932. Il offre un brillant aperçu du mode de vie difficile, désespéré plutôt, des agriculteurs pauvres dans le sud rural des États-Unis juste après la Grande Dépression. C'est à proximité du fleuve Savannah que se déroule l'histoire, tout près de la ville d'Augusta aujourd'hui plus connue pour son tournoi de golf de renommée mondiale. Ironie du sort…
Plongée dans une pauvreté extrême et dans un désespoir profond, c'est une image très sombre, parfois grotesque de la nature humaine que nous renvoie le roman. Poussés par la faim et la misère, les personnages sont souvent amenés à accomplir des actions immorales et dégradantes dans leur quête de nourriture ou tout simplement de survie. Je trouve également que l'auteur nous livre une critique sans pitié du capitalisme générateur de tant d'inégalités économiques, sociales et même environnementales, un échec du système qui poussent vers l'abîme des milliers de gens vulnérables, pauvres et souvent âgés, donc peu enclins à s'adapter et à quitter leurs terres. de ces conditions misérables naissent aussi inévitablement de profonds ressentiments entre parents et enfants, ces derniers étant prêts à tout pour échapper à la vie de morts-vivants à laquelle ils se voient condamnés.
Un film basé sur ce roman est également sorti dans les années 30, mais il est bien moins cruel que le livre, signe que la société américaine n'était pas prête à être confrontée à ce panorama glauque.
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" La maison, qui se composait de trois pièces, reposait en équilibre sur des piles de minces pierres à chaux qu'on avait placées aux quatre coins. Les pierres avaient été posées les unes sur les autres, les poutres et la maison clouées toutes ensemble. L'aisance et la simplicité apparaissaient aujourd'hui clairement. le centre de la cabane s'était affaissé au-dessous des seuils ; (...) La plupart des planches avaient pourri, et, à chaque coup de vent, on en trouvait des morceaux dans toute la cour. "



La maison, ou du moins ce qu'il en reste, se trouve sur la route du tabac en Géorgie. Elle appartient aux Lester, une famille ravagée par la faim et la misère.


" Sa blouse et sa jupe avaient été mises en loques par la bruyère et les pousses de chêne, dans les fourrés où elle récoltait son bois mort pour le feu, et jamais on ne lui avait acheté de vêtements neufs. À la voir sautiller parmi les ajoncs roux, on l'aurait prise, avec ses haillons noirs, pour quelque vieil épouvantail. " 



C'est vraiment la dèche y'a pas à dire, et faut supporter tout ça le ventre vide. Alors quand Lov Basey, s'en retourne chez lui avec un sac de navet sur le dos, en passant non loin de chez les Lester, les estomacs s'affolent et les rêves de repas frugaux font saliver l'ensemble de la famille. Ils feraient n'importe quoi pour y goûter ...


" du reste, où c'est-il que tu les a trouvé ces navets, Lov ? On pourrait peut-être faire un petit arrangement tous les deux. J'ai toujours été honnête avec toi. Tu devrais me les donner, vu que j'en ai pas. " 



S'en suit une scène absolument mémorable, décrite avec un humour décapant qui restera présent tout au long du récit malgré toute la noirceur qui se dégage de l'histoire.
Erskine Caldwell, un auteur américain que je découvre à travers ce magnifique roman, nous livre la radiographie d'une époque, celle de la grande dépression, où la faim détruit autant le corps que l'esprit. Un combat quotidien que vécurent des milliers de famille dans les coins reculés de l'Amérique. 


L'auteur décrit de manière assez crue , la vie des petits blancs du Sud de la Géorgie, sans porter de jugement.


" (..) la crainte de n'avoir même pas un vêtement convenable dans lequel on pût l'enterrer. Il vivait dans une horreur croissante de mourir en salopette. " 




La route du tabac est un immense classique de la littérature américaine , paru en 1932 aux États-Unis et en 1947 Chez Gallimard, réédité chez Belfond pour le plus grand bonheur des retardataires comme moi. Mais comme on dit : Mieux vaut tard que jamais. 
Un roman de 200 pages d'une force incroyable, puissant et pour moi inoubliable.
Une rencontre absolument phénoménale, une plume talentueuse qui rejoint entre autre Steinbeck, des écrivains capables de mettre de la lumière dans la plus sombre réalité. 



" Dieu a peut-être bien voulu que les choses soient ainsi, dit Jeeter. Il en sait peut-être plus long que nous autres, mortels. Dieu est un vieux malin. On peut pas le rouler , Lui ! (...) Il m'a mis ici, et Il ne m'a jamais dit de m'en aller vivre ailleurs. " 

Un auteur et un roman que je conseille vivement à tous les amoureux de la littérature américaine d'une part et à tous les fans du rural noir. 
À déguster sans modération.


Lien : https://dealerdelignes.wordp..
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Ca commence comme l'histoire d'une famille de péquenauds à la limite de la débilité et de la sauvagerie : Jeeter tente de voler la nourriture de son gendre, gendre à qui il a vendu comme épouse sa fille de 11/12 ans...
Et puis le portrait se nuance.
Jeeter a beau être paresseux et voleur, il a un amour pour sa terre qui confine au sublime.
On découvre aussi que la misère crasse dans laquelle il vit avec sa famille n'est pas que de son fait : c'est aussi (surtout) dû au système inégal de métairies que la crise de 29 a complètement ruiné.
J'ai retrouvé, dans les prénoms, la maison délabrée, la résignation mêlée d'espoir, ce que j'avais lu et vu dans le livre documentaire "Louons maintenant les grands hommes" de James Agee et Walker Evans.
Il y a quelques passages qui sont poétiques, notamment quand Jeeter clame son amour du labour.
Il y a aussi de la tragédie grecque : tout semble concorder pour empêcher la famille Lester de s'en sortir.
Quant à la fin du roman : elle est parfaite !
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Roman de 1932 de Erskine Caldwell (1903/1987) compemporain de Steinbeck et Fitzgerald.
L auteur décrit a travers son roman la vie , de métayers blancs du Sud , la misère de ces hommes vivant de la récolte du tabac.
L écriture est simple , directe parfois triviale.
Le roman se déroule en Géorgie pendant les pires années de la grande dépression. On suivra la famille Lester, un père ignorant, un fils idiot, une fille défigurée par un bec de lièvre, une mère et une grand mère inexistantes Ils souffrent tous de la faim a tel pointqu elle va détruire leurs corps et leurs esprits.
Un roman qui parle d une autre epoque qui aborde des sujets graves, la faim, la pauvreté, l illettrisme, au travers de scènes dramatiques mais aussi parfois burlesque.
A lire absolument
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Tobbaco Road
Traduction : Maurice-Edgar Coindreau

De "La Route au Tabac" comme d'ailleurs du reste de l'oeuvre de Caldwell, j'avais toujours entendu dire qu'il s'agissait de livres certes féroces mais où prédominait le comique, voire le burlesque. Lecture faite de cette "Route au Tabac", je me demande bien ce qui a valu à ce roman des critiques aussi peu justifiées.

Bien qu'on ne puisse dénier à certaines scènes une force à la fois comique et absurde, l'ensemble plonge surtout le lecteur dans une profonde tristesse devant ces existences abruties qui ne semblent avoir aucun sens.

Naître, crever de faim et puis mourir, écrasée comme l'est la vieille grand-mère Lester dans la cour de sa propre ferme ou asphyxiés dans l'incendie de leur maison toute décrépite comme le sont son fils et sa belle-fille, tel paraît être la seule destinée prévue pour les protagonistes de "La Route au Tabac", ces "pauvres blancs" dégénérés qui se cramponnent à un lopin de terre que leur famille à jadis possédé mais sur lequel ils ne sont plus, eux, que des métayers.

Nous sommes dans les années trente, dans la Géorgie profonde sur laquelle souffle l'ouragan de la Grande dépression. Ah ! cette "Crise", comme on l'appelait aussi à l'époque, quel excellent prétexte elle donne à Jeeter Lester, le père, pour continuer à creuser son propre tombeau et celui des siens ! Car, Grande dépression ou pas, Jeeter a toujours tellement réfléchi, tellement rêvé de ce qu'il pourrait faire sur son lopin de terre qu'il n'a jamais eu le courage de passer à l'acte et que, de tous temps, la Faim et la Misère se sont disputé ses quelques acres.

Des enfants, il en a eu toute une ribambelle mais en grandissant, les filles comme les garçons ont compris ce qu'avait de suicidaire le refus entêté de leur père de tout quitter pour aller à la ville prendre un emploi dans les filatures, et ils se sont enfuis sans jeter un seul regard derrière eux. Dans la ferme minuscule à l'abandon, ne restent plus que Dude, un gamin de seize ans un peu simple et Ellie May, une fille qui serait jolie sans le bec-de-lièvre qui la dépare. La petite Pearl, douze ans, vient d'être mariée à Lov, un ouvrier agricole et, même si l'on parle beaucoup de ses boucles blondes et du désespoir qui est le sien à l'idée de vivre avec son époux tout neuf et beaucoup plus âgé qu'elle, on ne la voit jamais. Tout juste apprend-on sur la fin du livre que, en définitive, elle aussi a mis le cap sur la grande ville, fuite qui permet à Ellie May de prendre sa place dans le lit de Lov.

Autre personnage-clef du livre : Soeur Bessie, veuve de l'un de ces prédicateurs typiques de l'Amérique rurale, qui se met en tête d'épouser Dude en lui faisant miroiter, pour l'appâter, la voiture neuve qu'elle va acheter à Augusta et qu'il pourra conduire tous les jours que Dieu fait pourvu qu'il devienne son mari.

Tous, tant qu'ils sont, ne pensent qu'à manger (mais comment ne pas y penser normal quand on crève de faim ? le début du roman tourne d'ailleurs autour d'un sac de navets achetés par Lov pour son usage et dont les Lester cherchent à le délester par tous les moyens.), boire, copuler et chiquer. Ces obsessions communes s'accompagnent d'une idée fixe pour chacun d'eux : Jeeter est obsédé par l'idée d'acheter à crédit semences et guano ; sa femme rêve de provisions de tabac telles qu'elles la libéreraient de la faim ; la grand-mère ne songe qu'aux restes, les seules miettes que veuille bien lui laisser son fils ; Ellie May est nymphomane ; Dude passerait sa vie entre la voiture et son lit ; Soeur Bessie ne songe qu'aux sexe et aux prêches ; Lov veut à tous prix que Pearl admette ses droits conjugaux et Pearl l'Invisible, elle, n'envisage qu'une chose : partir loin de tous ces enragés. (On la comprend.)

Selon la formule consacrée, il n'y en a pas un pour racheter l'autre. Grandioses dans leur dégénérescence, ignobles et tout-à-fait inconscients de l'être, ils évoquent, pour le lecteur européen, les serfs décrits dans le chantefable du XIIIème siècle, "Aucassin & Nicolette." Mais l'anonyme rédacteur du texte moyen-âgeux avait pris la précaution de faire de son Aucassin un fils de comte tandis que Nicolette, en dépit des apparences, n'était pas une esclave mais la fille du roi de Carthage, enlevée par les Sarrazins. Ses deux héros devenaient ainsi présentables aux yeux du public de l'époque.

Dans "La Route au Tabac", aucun miracle de ce genre : les personnages de Caldwell non seulement sont nés comme ça mais en plus, ils mourront dans cet état lamentable. Prisonniers de leur condition sociale, ils ne se révoltent même pas : pour leurs pères, c'était pareil, alors, à quoi bon ? On n'ose même pas dire qu'ils cherchent avant tout à survivre car l'apathie avec laquelle ils tolèrent leur misère ne le permet pas.

Sans fioritures, en un langage simple et naturel, Erkine Caldwell les raconte, scène par scène, plongeant parfois dans la tête de Jeeter pour éclairer non pas son comportement mais la situation économique de l'époque. Pas plus qu'il n'entend les sauver, il ne les juge. Ils sont comme ça et c'est ainsi : le Sud est mort depuis longtemps, ne laissant pour tout souvenir que ces spectres émaciés, aux instincts si primitifs qu'on hésite à les traiter d'animaux. Pour atteindre à une telle déchéance, il faut appartenir à l'espèce humaine.

A mille lieux des splendeurs faulknériennes, "La Route au Tabac" n'en est pas moins un grand roman. ;o)
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LA ROUTE AU TABAC d' ERSKINE CALDWELL
On est en Géorgie, le sud rural en pleine dépression. La famille Lester n'a plus rien pour vivre, le père parle beaucoup mais ne fait rien pour leur procurer à manger. Sur leurs 12 enfants, 2 vivent avec eux plus la grand mère. Sur ce fond de misère Caldwell réussit à composer une sorte de farce truculente, un mélange de pieds nickelés et d'affreux sales et méchants de Scola. C'est absolument énorme. le meilleur Caldwell que j'ai lu jusqu'à présent! Quel talent.
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