L'étranger est le premier roman écrit par
Albert Camus qui choisit la forme narratrice à travers le personnage central, Meursault qui décrit son existence entre la mort de sa maman et sa dernière nuit de condamné à mort.
Camus a une perception du monde où l'absurde est omniprésent, cette acuité envahissante est contre intuitive d'un optimisme qui conduit l'homme à se projeter sur l'avenir en faisant abstraction de la finalité inéluctable de la mort.
Meursault est un trentenaire (l'âge de Camus en 1942) qui vit et travaille à Alger comme petit employé dont la vie est rythmée par une reproduction des jours sans aucune différenciation. Un télégramme lui apprends la mort de sa mère qu'il avait placé faute de moyen mais aussi par absence de liens affectifs dans un asile pour personnes âgées.
Néanmoins, le second mot du livre « maman », reflète indubitablement une marque d'affection aussi minime soit-elle, il aurait pu dire ma mère est morte s'adressant au lecteur potentiel de sa narration.
Sa description du déroulement de l'enterrement fait penser à un observateur étranger à l'événement.
L'infirmière avait une voix singulière qui n'allait pas avec son visage, le concierge avait de beaux yeux , bleu clair et un teint un peu rouge. Parlant de l'ami de sa maman, ses lèvres tremblaient au- dessous d'un nez truffés de points noirs.
Le ciel était déjà plein de soleil, la campagne bourdonnait du chant des insectes et des crépitements d'herbe. L'éclat du ciel était insoutenable.
Le style de la narration est d'une grande simplicité, comme si Camus se glissait dans la peau d'un élève rédigeant une rédaction où le « je» et le « il »il se déclinent par douzaine au cours de chaque page. Cette alternance montre de façon paradoxale une conscience en opposition avec l'indifférence de Meursault dans les interactions sociales.
La seconde partie du livre nous relate les relations de Meursault avec ses amis qui sont en fait des voisins de palier, le nous se rajoute alors au je et au il ce qui rend la narration accessible à tout le monde. Puis par un enchainement de circonstances, Meursault va tuer un homme réduit dans le texte à ses origines « un arabe».
La description de ce moment est hallucinante de détails et d'effets visuels contrastant subitement avec la simplicité narrative précédente « au même instant, la sueur amassée dans mes sourcils a coulé d'un coup sur les paupières et les a recouvertes d'un voile tiède et épais »
« alors j'ai tiré encore 4 fois sur un corps inerte où les balles s'enfonçaient sans qu'il n'y parût . Et c'était comme 4 coups brefs que je frappais sur la porte du malheur ».
Cette lucidité est étrange par sa force descriptive et souligne une certaine sensibilité esthétique du narrateur en opposition avec son extériorité au monde.
Meursault a donc commis un crime et c'est là que débute véritablement l'absurde dans la gestion de cet acte par la justice. Meursault ne saisit pas les convenances, ce qui le rend totalement étranger aux yeux des protagonistes du jugement, sa différence le rend monstrueux et exacerbe le crime accompli.
Et ce n'est plus l'acte qui est jugé mais le comportement déroutant de Meursault soi-disant insensible au décès de sa mère, puisqu'il continué à vivre comme si rien ne s'était passé.
Le juge demande à Meursault si il croit en Dieu, et Meursault ( Camus) en athée convaincu lui répond par la négative aggravant ainsi son cas.
En lisant ce texte il m'est arrivé de fredonner la mauvaise réputation de Brassens
Meursault est en prison dans l'attente de son jugement, il faut que son gardien lui explique que les privations de sexe, de cigarettes font partie de la punition, son côté « autistique » lui interdisant certaines formes de compréhension élémentaire d'une situation donnée.
En refusant le refuge de la croyance, l'homme prend conscience que son existence tourne autour d'actes répétitifs et privés de sens. La certitude de la mort ne fait que renforcer selon Camus, le sentiment d'inutilité de toute existence. L'absurde est donc le sentiment que ressent l'homme confronté à l'absence de sens face à l'Univers.
La naissance n'est-elle pas déjà une condamnation à mort ?
L'étranger est donc étrange pour les autres mais d'une certaine façon, sa lecture du monde est plus pertinente car lui n'est pas étranger à l'absurdité du monde.