Un plaisir trop bref : Lettres

J'ai travaillé comme un bœuf, car j'ai accepté par-dessus le marché d'écrire pour le cinéma. C'est-à-dire de retravailler le scénario du prochain film de De Sica (le réalisateur de "Sciuscia" et du "voleur de bicyclette") et comme le film était déjà en préparation, on ne m'a donné que trois semaines. C'est malgré tout une expérience amusante et je crois avoir fait du bon travail.

Ce soir, j’ai donné un grand bal sur la terrasse, avec lanternes vénitiennes pour venir en aide à la lune, et punch au lacrima christi pour venir en aide à l’humour.

L’autre jour, un homme m’a arrêté dans la rue pour me demander où se trouvait Chinatown. Je lui ai répondu : "C’est dans le bas de la ville. Il suffit de descendre." Et je me suis souvenu de l’un de mes amis d’enfance, un garçon très costaud, qui a passé tout l’été à creuser un trou dans son arrière-cour. J’ai fini par lui demander quel était le but de son travail.

- Arriver en Chine, m’a-t-il dit. De l’autre côté de ce trou, tu vois, c’est la Chine.

Il n’a jamais atteint la Chine, bien sûr, et peut-être n’arriverais-je jamais à finir Prières exaucées. Mais je continue de creuser.

Paris est plus glacial qu’une chatte de nonne.

Avez-vous remarqué, le nombre de gens qui se suicident – Tom Heggen, Klaus Mann, Owen Davis avaient-ils simplement besoin de repos à votre avis ?

Je suis fou de joie quand le facteur m’apporte quelque chose. Si vous n’avez pas le temps de m’écrire, mettez simplement à la poste une poignée de prospectus.

Ce que racontent Mmes McCarthy et Diana Trilling m’a beaucoup amusé. Si Diana veut vraiment comprendre d’où vient cette « inquiétante prolifération » d’écrivains pompe-zizi, qu’elle s’asseye devant son miroir et qu’elle se regarde.

Il neige depuis deux jours et je caresse de temps en temps l’idée de ma suspendre autour du cou un tonnelet de rhum pour porter secours aux désespérés.

N’as-tu jamais, en parcourant le solitaire et fascinant domaine de l’adolescence, jamais, sans t’y attendre, aperçu quelque chose, un ciel nuageux, un oiseau sauvage, un paysage, si admirable que la terreur t’a envahi jusqu’à la moelle des os ? Et n’as-tu pas été effrayé, terriblement effrayé, à l’idée que le mouvement le plus infime, une feuille disons, agitée par le vent, suffirait à troubler cette perfection ? Voilà pour moi ce qu’est, ou devrait être, l’amour : vivre dans cet effroi sublime.

Tennessee est là. Il a raté la générale de sa pièce à Londres et nous avons dansé toute la nuit dernière. Sa ménagerie de verre a d’assez mauvaises critiques et il paraît très affecté, ce que j’ai du mal à comprendre, car tout le monde se moque, grands dieux, de ce que peuvent penser les Anglais.