Lucifer, tome 7 : Exodus

Ce tome fait suite à "Mansions of the Silence" (épisodes 36 à 41). Il comprend les épisodes 42 à 44, 46 à 49, initialement parus en 2003/2004, tous écrits par Mike Carey, dessinés et encrés par le duo de Peter Gross et Ryan Kelly. Il faut absolument avoir commencé cette série par le premier tome sous peine de ne rien comprendre aux enjeux et de ne pas situer les personnages : "Devil in the gateway". Pour des raisons de pagination de tome, l'épisode 45 a été réédité dans le recueil suivant "The wolf beneath the tree" (épisodes 45, 50 à 54).

ATTENTION - Ce commentaire révèle un point essentiel de l'intrigue tome précédent.

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- Épisodes 42 à 44 ' Dans des circonstances montrées dans le tome précédent, Yahweh a décidé de quitter la cité céleste ; quelques créatures commencent à prendre la mesure des implications de ce départ. En particulier, Garamas et Gyges (2 titans de la mythologie grecque, cantonnés à la Grèce de nos jours) comprennent qu'ils peuvent quitter le lieu où ils sont cantonnés. Ils commencent par demander audience au seigneur des Rêves (Sandman). Ils décident d'usurper le trône céleste.

Sur Terre, Beatrice Wechsler se retrouve prise dans les conséquences de leurs actions. Lucifer (Samael) Morningstar a anticipé les conséquences de la décision de Yahweh et se dirige vers la cité céleste, pour un nouvel entretien difficile avec l'archange Michael.

Mike Carey avait surpris le lecteur en abordant de front un domaine que ce dernier pensait hors cadre de la série : la volonté divine, c'est-à-dire un contact direct entre Yahweh et Lucifer (sans apparition de vieillard chenu avec une barbe blanche, mais sous une forme beaucoup plus imagée et conceptuelle, celle du Verbe). Alors que le lecteur n'avait pas forcément mesuré les conséquences du choix de Yahweh, d'autres personnages les explicitent pour lui.

Évidemment la survenance de cet événement contraint Lucifer à agir et à laisser ses propres affaires de côté pour le moment. Ces 3 épisodes se focalisent donc sur les mesures conservatoires à mettre en oeuvre immédiatement, voire il est peut-être déjà trop tard car Garamas et Gyges ont pris Lucifer et la horde céleste de vitesse.

Mike Carey a créé 2 personnages un peu loufoque (Garamas et Gyges), étrangers à l'humanité, auxquels Gross et Kelly prêtent une apparence qui mélange un côté horrifique, avec un côté grotesque. Il s'en suit un périple aussi imaginatif que délirant et angoissant pour ces 2 entités, débouchant sur une bataille forcément titanesque (puisque ce sont 2 titans).

À nouveau, le lecteur est impressionné par l'imagination fertile du scénariste qui amalgame avec grâce la religion du dieu unique, avec la mythologie grecque, et l'univers de Sandman (avec une brève apparition savoureuse de Lucien et Mervyn Pumpkinhead). À nouveau il succombe à la qualité de haut niveau de ce divertissement sous forme d'aventures. Il apprécie l'intelligence et la sensibilité avec lesquels Mike Carey divertit le lecteur tout en continuant à sonder les différents aspects de la rébellion de Lucifer.

Le choix de Yahweh place Lucifer dans une position qu'il n'avait pas anticipé. Il est toujours en révolte contre l'ordre des choses imposé par son père, mais il ne peut plus s'en prendre directement à ce dernier. Plus difficile encore, le départ de son père menace de provoquer la ruine de la réalité, comme lorsqu'un père quitte son fils ou réciproquement, c'est l'ordre naturel des choses (celui existant depuis la naissance du fils) qui s'en trouve bouleversé.

À nouveau le lecteur constate que l'équipe artistique Carey + Gross + Kelly continue de progresser ensemble. Complètement absorbé par l'histoire, le lecteur peut ne pas prendre conscience de ce que réalise Gross & Kelly. Mais un moment de recul suffit pour constater qu'ils ont réussi à donner assez de personnalité visuelle aux personnages pour que le lecteur ne les oublie pas. C'est particulièrement flagrant avec Beatrice Wechsler. Voilà un être humain normal qui n'était apparu pour la dernière fois dans l'épisode 8 (soit il y a 34 épisodes). Pourtant le lecteur la remet immédiatement, sans aucun doute, alors même que son nom n'est pas prononcé tout de suite.

Peter Gross et Ryan Kelly se montrent tout aussi habiles pour créer des images stupéfiantes, sans pour autant ralentir la narration visuelle, ou perturber sa fluidité. Ainsi l'épisode 42 s'ouvre sur un monceau de brebis égorgées, sans que le dessin ne soit gore, mais qu'il soit possible de se tromper sur la nature de cette boucherie. Quelques pages plus loin, le lecteur se trouve face à une relation sexuelle lesbienne, aussi discrète que gauche, montrant en synergie avec les dialogues, l'obsession de Beatrice pour Mazikeen.

Tout au long de ces 3 épisodes, Gross et Kelly illustrent des scènes d'une grande variété, de la destruction massive à la manipulation suave par le biais de la conversation, avec la même conviction, le même naturel. Impossible d'oublier le mode de défense du royaume du rêve, Lucifer assis le trône céleste, ou ce baiser lesbien en plein sur la grand place de la Cité Céleste, avec Mazikeen faisant un doigt d'honneur (une forte image symbolique), etc.

Comme à leur habitude, Mike Carey, Peter Gross, et Ryan Kelly réalisent un nouveau chapitre parfait, tant sur le plan du divertissement, que sur celui d'une lecture second degré déclinant la rébellion sous des formes sophistiquées.

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- Épisodes 46 à 49 ' Après avoir paré au plus pressé, Lucifer peut à nouveau s'occuper de sa propre création. Il a décidé de bouter hors de sa Terre toutes les créatures immortelles. Il a choisi de confier cette mission Elaine Belloc qui se fait aider par Mazikeen, Gaudium, Spera, Elokim Shaer, et Mona Doyle. Par groupe de 2, ils vont aller traquer les récalcitrants.

L'une des forces de cette série est de pouvoir se passer de son personnage principal, sans pour autant diminuer d'intensité. Carey développe la mise en oeuvre d'un ordre péremptoire de Lucifer, au travers des actions de 6 personnages secondaires (et même très secondaire pour Elokim Shaer, presqu'un figurant à ce niveau-là). Dès le premier épisode, le lecteur est transporté dans la vie intérieure d'un enfant turbulent Martin Paterson, et dans les aspirations de Thole, une étrange créature mâle se préparant pour un rite nuptial étrange et complexe. Comme à son habitude, Mike Carey fait naître le merveilleux avec une simplicité enchanteresse.

L'histoire concernant Martin et Thole aurait suffi à fournir de la matière pour quatre chapitres, mais Carey ne se contente pas de si peu. Il met encore en scène un théâtre de marionnettes très particulier, une réincarnation du conte d'Hansel et Gretel, et même l'apparition d'une créature incarnant la flore de cette Terre (clin d'oeil élégant à Swamp Thing, sans être un hommage premier degré). Et ce n'est là qu'une partie de ce qui attend le lecteur qui connaîtra une belle peur quand la promise de Thole finit par s'installer.

À nouveau le lecteur peut jouer au jeu de repérer les comportements qui participent de l'acceptation de règles édictées, et ceux qui participent d'une forme ou d'une autre de rébellion. Néanmoins ce niveau de lecture ne devient jamais un artifice, les sentiments des personnages restant toujours au premier plan. Non seulement l'intrigue est captivante, les points de vue sur la condition humaine sont adultes et réfléchis, mais en plus les personnages génèrent une forte empathie, tout en étant très différents les uns des autres.

Pour ces épisodes, comme pour les précédents, Peter Gross et Ryan Kelly épatent le lecteur par leur versatilité. Ils dessinent avec autant de facilité les petits chérubins en forme de gargouille, un exorciste strict en chemise blanche, une créature intelligente dont la forme évoque celle d'une fourmi, un grenier mal rangé, une maison en pain d'épice, ou une forêt enchantée.

L'intensité de la narration doit beaucoup à l'inventivité de Mike Carey, mais également aux images créées par Gross et Kelly. Dans chaque épisode, il est visible qu'ils ont à coeur de créer des endroits consistants et détaillés, d'adapter l'angle de vision à la nature de la séquence (de magnifiques panoramas lors de la recherche des créatures immortelles pour donner le sens de l'immensité du territoire de recherche). le lecteur apprécie toujours autant leur capacité à concevoir des apparences uniques pour chaque personnage, lui permettant ainsi de les mémoriser aisément. L'encrage de Kelly conserve cet équilibre surnaturel entre les aplats pour donner du poids aux images, et les contours légèrement adoucis pour conserver une forme de légèreté à la narration.

À nouveau, Mike Carey, Peter Gross et Ryan Kelly invitent le lecteur dans un monde merveilleux, pour des intrigues imaginatives, non dépourvues de gravité, tout en restant légère, avec des personnages inoubliables. Parfait.