Une fervente lectrice

Le roman de Daniel Cario ne semble pas très original à première vue. Un écrivain s'isole sur une île du golfe du Morbihan pour écrire. Après la mort récente de sa femme, il traverse une période difficile. le sujet a été traité par les plus célèbres, comme Guillaume Musso. L'écriture de Daniel Cario est toutefois efficace. On adhère immédiatement à l'histoire.

Enez Bihan existe. le nom signifie « petite île » en breton. Je n'y suis jamais allé, mais sur gaea.fr, on peut lire qu'elle fait 20 hectares et est reliée au continent à marée basse. Il faut compter une demi-heure de marche pour s'y rendre. Elle fait partie de l'archipel des Ebihens et comporte des vestiges archéologiques, une sépulture.

Le lecteur découvre donc l'île en même temps que le héros du roman, l'écrivain. Il assiste aussi au processus de l'écriture, à sa mise en oeuvre. Son inspiration se focalise sur le personnage de Marguerite Gautier, ou Margot, sa jeune et jolie hôtesse. Bien décidé à ne pas se laisser envahir, l'auteur cède assez vite. Margot s'immisce dans son travail, jusqu'à reléguer le pauvre Alain à un rôle de nègre. Une sorte de jeu de séduction, ou jeu de chat et de la souris s'instaure. C'est Margot, la manipulatrice. La relation qui s'établit entre l'écrivain, quelque peu naïf, et son hôtesse prend un aspect assez toxique. L'écrivain est sujet à des angoisses passagères, de la paranoïa, un sentiment d'abandon. Il semble vulnérable.

Même si l'action se passe en décembre, on tient là le livre idéal à emporter dans son sac de plage. Pour ma part, c'est à la maison que je le lis, et ce sont plutôt des vacances par procuration que j'y vois.

On attend le démarrage d'une intrigue. On pense y être, mais faux départ. Margot a beau suggérer à l'écrivain de se tourner vers le polar, le roman n'en prend pas le chemin. le thriller ne se met en place que tardivement. La fin est toutefois riche en rebondissements.

Daniel Cario a-t-il bénéficié de la complicité d'une "fervente lectrice" pour élaborer son intrigue ? le processus d'écriture est abordé très concrètement dans le roman. On a presque l'impression de participer à un atelier d'écriture. Il traite aussi de la relation de l'écrivain avec ses lecteurs, souvent un peu voyeurs. Ces sujets sont évidemment passionnants.

L'écrivain Alain Codier est le narrateur. Il met beaucoup d'autodérision dans sa perception des choses. On est loin de l'auteur tout puissant qui construit son univers tel le Deus ex-machina. Il est assez peu crédible, tant sa naïveté est grande, ainsi que l'emprise sur lui de Margot.

Cela ne nuit pas malgré tout au plaisir de la lecture, qui tient pour une part à la beauté du lieu, et d'autre part à la personnalité du narrateur. On devine que Daniel Cario s'est projeté dans son personnage. L'auteur, malicieux, instaure un petit jeu d'anagrammes qui invite le lecteur à se creuser la cervelle et à tenter de résoudre les différentes énigmes.

On notera un sympathique clin d'oeil à Babelio, qui devient Camelio dans l'histoire. Deux des victimes sont membres du site littéraire, de quoi vous donner des frissons. Daniel Cario glisse également un petit hommage à la librairie vannetaise, Lenn Ha Dilenn, un Autre Regard, spécialisée dans la culture bretonne et celtique, reprise en 2023 par Sylvie Séligour, une ancienne crêpière.