J'ai reçu "
Le Premier Dieu" alors que je venais de perdre deux des êtres qui m'étaient les plus chers au monde et il m'a été difficile d'entrer dans cette lecture qui, dès le départ, m'a parue anxiogène.
J'ai eu du mal à ressentir de l'empathie pour Emmanuel Carnevali. Je l'ai plaint.
Son enfance est effroyable. Les relations avec ses proches sont tumultueuses, sordides. On sent physiquement cette poisse, on la touche au fur et à mesure que l'on tourne les pages. Cette poisse qui collera tout du long de sa vie à la peau de Carnevali.
À 16 ans, quand il décide de partir vers la Terre Promise - moment à partir duquel il aura le grand mérite et la volonté d'écrire en anglais - les États Unis sont une nouvelle déception. Il va vivre de petits boulots en petits boulots. Son existence est misérable, il connaît la faim, le froid, les meublés glauques. Nous entrons avec lui dans cette précarité. le poète écorché vif se heurte à ce que le monde matériel a de plus dur et de plus vil.
Néanmoins, il écrit et est reconnu et admiré par ses pairs, des poètes comme Williams Carlos Williams. Entre autres. Il fait ces rencontres qui auraient pu bouleverser le cours de sa vie et le sortir de la misère. Mais les portes s'ouvrent et se referment.
Carnevali, soleil noir - c'est l'oxymore qui me vient à l'esprit - a cette emprise sur nous, lecteurs, en nous confrontant à son oeuvre, à son parcours qui le fait aller d'échec en échec. Il est un poète maudit.
le Premier Dieu, son autobiographie mêlant littérature et poésie, nous tient viscéralement par l'intensité, la fièvre, les fêlures de son écriture. L'enfance de Carnevali, son émigration puis son retour en Italie - sa terre natale - , ses amours, son mariage, tout est voué à la destruction, épuisé qu'est aussi Carnevali et c'est une fatalité terrible, par une maladie invalidante tant psychiquement que physiquement. Cette maladie apparaît en filigrane dans tout le livre.
Carnevali vit dans le dénuement le plus total, une misère qui le contraint à côtoyer les pires bassesses du monde. Il décrit admirablement ce milieu de la pauvreté et c'est si dur que l'on a envie de se débarrasser, presque physiquement tant il réussit à nous en imprégner, de cette atmosphère de vie misérable, de relations d'une promiscuité crasseuse.
Le monde de Carnevali est dense comme son écriture. Dense et forte. Il est difficile d'être insensible à la puissance et aux évocations parfois suffocantes de ce poète perdant pied. Mais l'homme Carnevali, devenant aigre de frustrations et rongé par la maladie, cet homme qui construit et détruit aussi ce qu'il peut aimer (comme il a détruit son mariage) ne nous offre pas un visage sympathique.
La couverture de cet ouvrage, splendide, avec un calque sur la photo de Carnevali, nous en dit long sur le poète et l'homme. C'est un brouillard sur un visage où l'ombre et la lumière vont jouer une partition particulière.
Le Premier Dieu restera aussi pour moi une lecture particulière à un moment particulier de ma vie. Une lecture difficile tant la souffrance de Carnevali est poreuse. Et transpire dans sa poésie, dans sa littérature.
Carnevali, reconnu après sa mort, comme il l'était de son vivant par ses pairs, en tant que l'un des plus grands de son époque est considéré comme ayant participé au renouvellement de l'ère américaine littéraire. Ironie du destin. Il n'est pas unique en cela.
Carnevali admirait
Rimbaud. Je peux m'abreuver à la poésie de
Rimbaud comme à une source bienfaisante.
le Premier Dieu restera pour moi une rencontre enrichissante et intéressante - c'est un truisme - mais le goût est amer et je n'y reviendrai pas.
Un grand merci aux M. Critiques qui nous permettent si généreusement d'élargir notre horizon.