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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Je ne pense pas être le seul, mais je n'avais vraiment jamais entendu parler d'Emanuel Carnevali avant de recevoir ce livre. Merci à Babelio
Mais aussi merci aux éditions « La Baconnière » d'avoir proposé un tel ouvrage. D'abord il s'agit d'un livre très bien réalisé, bien relié, avec une couverture et une jaquette très originales, et une police de caractère très agréable.
Il faut vraiment le signaler.

Emanuel est un gamin dans une Italie du début du XXème siècle, qui n'a pas une enfance particulièrement heureuse.Mais il ne la raconte pas en pleurnichant. Il parle de sa famille, des autres et il oscille en permanence entre les reproches et la compassion. (Ils me battaient, mais ils étaient très malheureux)
C'est un enfant qui reçoit beaucoup de coups d'une mère sous l'emprise de la morphine, avec un père qui a envie de tout sauf de s'occuper de lui.
Il va connaître les pensions, les internats puis, lâchant tout va immigrer aux Etats-Unis, galérer et être finalement atteint d'une encéphalite qui l'obligera à rentrer en Italie.

Voila une autobiographie originale, bien écrite, très agréable à lire.Ce qui met parfois mal à l'aise, c'est qu'on oscille toujours entre la narration et la poèsie, la création.
Ce livre fait penser à tous ces auteurs Américains, immigrés qui racontent leurs galères des débuts, voire de leur vie entière. Il y a du Miller, du Bukowski et bien d'autres dans ces lignes.
L'auteur est en permanente en quète de Dieu, d'être Dieu.

Emanuel Carnevali a une très grande capacité d'observation et de transcription. C'est souvent en cela qu'il devient poête dans ses textes. Il sait traduire une ambiance, Américaine ou Italienne. Ses souvenirs sont présentés avec un luxe de détails finalement impressionnant.
De plus, il semble amoureux des villes dans lequelles il réside. Sa description de Venise est magnique.

Ce livre présente d'une part une autobiographie et d'autre part des nouvelles qui pourraient pour la plupart être également autobiographiques. Il y a une serieuse différence de style entre « le premier Dieu » et les nouvelles qui suivent . le premier texte est issu de souvenirs livrés brutalement avec parfois crudité, parfois poêsie ; les autres textes sont travaillés, réfléchis, véritablement « écrits »
Tout n'est pas génial, mais à mon avis, ces textes surpassent ceux de bien des acharnés de la plume contemporains.
C'est une sorte de classique méconnu, à découvrir.
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Em' est jaloux de Shakespeare, Em' traite ses amis et bienfaiteurs de tous les noms, Em' abandonne celle qui travaille pour qu'il écrive, Em' préfère les femmes laides parce qu'en vieillissant elles déçoivent moins que les belles...

Em' est battu comme plâtre par sa mère morphinomane qu'il aime,par sa tante acerbe et dure qu'il vénère, par son frère aîné mort en 1918 qui l'indiffère, et pourtant pas par son père, un commerçant réactionnaire et tyrannique qu'il déteste, cordialement....

Em' cherche l'amour d'une femme mais ne peut leur donner le sien tant elles le remplissent toutes d'effroi; ses amitiés amoureuses pour les hommes le conduisent à des scènes de jalousie violente, Em' crève de faim, de froid, de misère et use ce qui lui reste de santé à faire la vaisselle et à servir dans des restaurants qui ne le gardent jamais longtemps, Em' veut être publié, admiré, gratifié... Il rêve d'être Rimbaud...

.Em' est malade: la syphilis, croit-on, mais c'est encore pire: une encéphalite léthargique qui le fait trembler, somnoler, marcher et parler avec difficulté ,il va, traînant la jambe, bouche béante et yeux exorbités, comme un débile profond, alors que son esprit et sa plume sont d'une alacrité confondantes...

Em' est Italien, mais il quitte l'Italie à 16 ans pour émigrer à New York, puis à Chicago, il écrit toute son oeuvre en anglais, revient en Italie à 25 ans et y meurt à 45 ans, dans un hôpital neurologique.

Emanuel Carnevali est un cas, un fou, un vrai poète maudit , comme dans les romans..."Une bombe qui n'a pas explosé, et non explosible" dit-il de lui-même.

Les éditions La Baconnière ont entrepris d'éditer ses oeuvres complètes dans une fort élégante présentation: photo de couverture floutée par une jaquette en papier calque, préface d'Enidio Clementi (écrivain et musicien fondateur du groupe rock Massimo Volume), notice biographique, témoignages d'écrivains américains, et intégralité de ses oeuvres en prose: "Le Premier Dieu", et des pièces d'inégale longueur qui s'apparentent tantôt à de courtes nouvelles ,à des esquisses de récits, ou à de vrais poèmes en prose. La traduction de Jacqueline Lavaud est soignée et restaure le texte original, censuré par sa première traductrice pour l'Europe, Maria-Pia Carnevali qui n'était autre que sa demi-soeur...Bref du travail soigné et une entreprise de réhabilitation intéressante et méritée.

J'ai abordé cette lecture sans rien connaître de l'auteur, ni rien lire à son propos, j'ai donc "vécu" cette approche comme Candide: sans préjugé et sans attente.

J'ai d'abord été très déconcertée par les sautes d'humeur, les illogismes, les changements de focale, les coq-à-l'âne de son autobiographie , avant d'être exaspérée par le nombrilisme victimaire du narrateur et sa redoutable faculté de dénigrement - Em' est aussi une véritable langue-de-pute, si l'on me passe l'expression!- puis j'ai commencé à entrer en empathie: la folie, la maladie, la misère, la jeunesse et le courage de ce jeune immigré passionné et écorché vif, perdu dans la jungle des villes américaines, m'ont touchée puis attachée. Enfin j'ai été conquise par certaines pièces en prose, de vrais joyaux, dignes de figurer parmi les Illuminations rimbaldiennes: mention spéciale à "La danse est un art" et, dans le Journal de Bazzano, à son autoportrait, page 223

:"Cet homme étrange et drôle quand il parle: c'est moi.
Cet homme avec en permanence un crapaud flagorneur au bord des lèvres: c'est moi.
Cet homme au rire facile et excessif: c'est moi. (....)
Cet homme qui n'est pas assez fort pour haïr quiconque: c'est moi.
S'il hait quelque chose, il hait la littérature, uniquement à cause de sa propre petitesse."

Je remercie Masse critique , Babelio et les Editions La Baconnière pour cette rare expérience: découvrir au fil des pages un être inconnu, incompris et plein de rage et faire apprécier, puis aimer, par touches successives, une écriture violente comme un cri, douloureuse comme une blessure à vif..

Je recommande cette lecture à tous ceux qui aiment les rencontres un peu dérangeantes et qui ne craignent pas de se laisser apprivoiser par les chiens enragés...



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Se laisser porter par une poésie empreinte d'innocence quand il s'agit de l'enfance, de cynisme quand il s'agit de la religion, d'élans lyriques pour sublimer le ressenti de la misère…


Emanuel Carnevali a une vision très lucide du monde dans lequel il vit et de sa situation.
Sa vie est marquée par la maladie et la souffrance.

Quoique, pour la maladie, dans son enfance…
Qui se souviendrait d'une broncho-pneumonie contractée avant un an ?
Qui n'a pas eu la scarlatine (disons plutôt la varicelle de nos jours) et une angine dans son enfance ?

Carnevali semble plutôt victime, comme Mark SaFranko l'a été lui aussi, de la gêne qu'il occasionne aux adultes par son état :
« Je pense que tous les soucis que j'ai causés auraient pu être évités si j'étais mort. Et quelle délivrance c'eut été ! »

D'ailleurs, ça me rappelle « un air de famille » quand Yolande dit :
« Mais Kévin, oh écoute. Je n'en peux plus. Il ne cherche qu'à me contrarier. Tu sais ce qu'il m'a fait mercredi ? Une otite. »


Par contre, son enfance est sans aucun doute marquée par les coups : sa mère le bat, son frère le bat, sa tante bat ses enfants à elle (pas lui). Ensuite, lorsqu'il vit avec son père, celui-ci bat son frère (pas lui, qui n'en vaut pas la peine).


Comme déjà dit par Bruno dans sa critique, « le premier Dieu », qui constitue le récit autobiographique, n'est pas palpitant, réunissant de nombreuses platitudes.
Pour ma part, les « autres proses » m'ont bien plus touché, en particulier « Home sweet home ».

Carnevali est parti vivre aux Etats-Unis, où il a survécu de petits boulots, voyant l'Amérique et ses belles promesses de bien bas.

« Puis, plus loin vers l'ouest, je progresse en pleine misère : les habituelles façades rouges, certaines d'un jaune pisseux, criblées d'innombrables fenêtres noires. Des torchons, bannières de la pauvreté, pendent aux fenêtres ; des vitres grises où la misère écrit, avec la poussière et la pluie, des choses que les locataires sont trop tristes pour vouloir cacher. En face de la tour, les becs de gaz obèses, endoloris par la rouille, affaiblis par des taches de peinture grise, grotesquement solennels. Dans ce quartier, les êtres humains préfèrent la rue au foyer ; aussi sont-ils tous dehors : les enfants jouent, les femmes cancanent, les hommes traînent. Des braises et des cendres échappées des poubelles trop pleines se dispersent sur le trottoir bosselé, ridé et crevassé. »


Carnevali contracte à l'âge adulte une encéphalite léthargique, un truc qui ne se soignait pas dans les années 1920.
Il croit sombrer dans la folie, entouré de souffrances, souffrance lui-même.

« Je suis resté sous l'épave de mon âme à demi détruite, haletant et tremblant. Des centaines de nuits de souffrances ont putréfié mon amertume et maintenant ça pue dans mes narines. »


Il y a en tout cas des points communs entre Fante, Bukowski ou SaFranko, c'est leur goût de la littérature, et le fait que ce sont des émigrés… (et plein d'autres en fait.)


« C'est un foutu métier, crois-moi ! Si l'écrivain dénude son coeur et ses blessures purulentes on le traite de porc sentimental. S'il est réservé, c'est un âne constipé. S'il est réaliste, il ne se porte pas bien ; et s'il est symboliste, le voilà ésotérique et incompréhensible. »





Un air en tête :

« Je n'ai pas d'avenir je n'ai qu'un destin
Celui de n'être qu'un souvenir c'est pour demain
Je n'ai rien à croire je n'ai pas d'espoir
Je n'ai plus de passion je suis en prison
Je n'ai pas de raison mais je n'ai pas tort
Je n'ai pas de maison mais je ne couche pas dehors
[…] »

Extrait de « Je n'ai pas » de Mano Solo :
https://www.youtube.com/watch?v=vb3Tm-604ng



Merci à Babelio d'organiser Masse Critique, merci à LaBaconnière d'y participer.
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Ce livre des éditions de la Baconnière, située à Genève, est le premier d'une série de trois ouvrages qui réunira les oeuvres complètes d'un écrivain et poète passé inaperçu : Emanuel Carnevali. Ce premier ouvrage rassemble l'autobiographie de Carnevali, Il primo dio, ainsi que ses textes en prose, de nombreuses nouvelles. Trois témoignages clôturent le livre : ceux de William Carlos Williams, Sherwood Anderson et Robert Mc Almon. L'édition en elle-même est très soignée : une couverture en papier translucide imprimé qui laisse entrevoir, dans le fond, une photographie de l'auteur, jeune. Une belle préface d'Emidio Clementi (écrivain et fondateur du groupe Massimo Volume) parachève l'ouvrage.

« Dans ma vie, il n'y avait rien eu de véritablement triomphal, ni dans l'ascension, ni dans la chute. L'une et l'autre étaient construites sur des fondations grises, l'une et l'autre étaient sur fond de misère. C'était par ma faute, car j'avais toujours affronté les gens avec une passion excessive, avec trop de violence. Certains s'en effrayaient, d'autres s'en irritaient.» p. 116

Emanuel Carnevali est un auteur italien né à la fin du 19e siècle, en 1897. Son enfance apparaît comme une série de déconvenues, de micro-cataclysmes : il naît d'un couple déjà déchiré et séparé ; sa mère, morphinomane, meurt quand il n'a que 13 ans ; les rapports avec son père et son frère sont tumultueux ; il est renvoyé de l'internat à cause d'une "amitié trop appuyée" pour un camarade ; à 16 ans, en compagnie de son frère, il fuit l'Italie pour l'Amérique rêvée... Carnevali embrasse l'espoir de conquérir les États-Unis mais dés l'arrivée la désillusion le saisit : « J'éprouvai une des plus grandes déceptions de ma misérable vie. Ces fameux gratte-ciel n'étaient rien d'autre que d'énormes boîtes se dressant devant nous...» Les déconvenues continuent : les boulots misérables, le froid, la faim qui creuse le ventre, les meublés poussiéreux qui représentent pour lui l'Amérique : le lieu inhabité, ce squatte permanent où le corps et l'esprit ne font que s'écorcher sur les meubles, sur la matérialité du monde...

« Je suis à nouveau vagabond. Je loge en meublé. Dans une maison aux chambres meublées. Un domicile pour les sans-domicile, les orphelins, les putes, les maquereaux, les vieilles filles et les vieux garçons pauvres, les homosexuels, les jeunes dactylos qui ne s'en sortent pas, les serveurs et les portiers. le foyer américain typique : le meublé. [...] Dans un meublé on dépose régulièrement les souillures de son corps et de son cerveau -- nul vent ne pénètre pour les disperser --, la chambre est le composé de mes rebuts matériels et spirituels [...] La chambre ne sait rien de ce qui est bon en moi. Elle ne peut donc me reconnaître et il m'est impossible d'être un héros ici. Je suis contraint d'être ce fou abject que ses yeux font de moi.» p. 178

Né trop tard pour être romantique et trop tôt pour faire partie de la beat génération ou pour être poète de rock'n'roll, Emanuel Carnevali est le poète qui n'arrive pas/plus à se définir dans un monde qu'il ne reconnait pas, une époque qu'il ne comprend plus, une langue qui n'est pas la sienne (son oeuvre est essentiellement écrite en américain). Mû par une rage sans fond, par le désespoir de rester méconnu, Carnevali explore son explosion à travers son oeuvre : son incapacité sociale, avec le travail mais aussi avec les amis, ses relations tumultueuses avec les femmes qu'il préfère laides parce qu'elles ne peuvent pas le décevoir.

Il rentre tout de même dans la sphère littéraire par le biais de la "petite mais prestigieuse revue « Poetry », dirigée par Harriet Monroe" dans laquelle il publie des poèmes, des essais (et qu'il co-dirigera un temps). Il se fâche avec avec William Carlos Williams, ce qui donnera lieu à une joute d'articles croisés. Et puis, la maladie. On pense d'abord à la syphilis mais non, ce serait trop attendu : on lui diagnostique une encéphalite léthargique qui va le poursuivre toute sa vie.

De New-York, Carnevali a rallié Chicago où il rencontre Sarl Sandburg, Sherwood Anderson. Sa maladie l'oblige à se retirer loin de la ville... Il retentera quelques incursions littéraires (il co-dirige la revue Youth) avant de retourner en Italie en 1922, soit seulement huit ans après son arrivée.

De retour en Italie, ses amis américains gardent le contact avec lui et l'encouragent à écrire, l'aident à se soigner... En 1924, ses médecins lui annoncent qu'il n'a plus que trois ans à vivre... ce qui met en émoi ses amis qui commencent à recueillir ses écrits pour les publier en volume. En 1925, paraît à Paris, chez Contact Éditions dirigées par Robert Mc Almon, Hurried man, seul livre publié du vivant de l'auteur.

Il se lie d'amitié avec Ezra Pound qui lui commande des extraits de sa traduction en italien des Illuminations de Rimbaud, il lui traduit également le Cantos VIII. Mais il se brouille avec lui, l'année suivante, lui reprochant son attachement au fascisme...

En 1942, vingt ans après son retour en Italie, Carnevali meurt en s'étouffant avec un bout de pain. Il ne faut pas croire les médecins quand ils lancent des oracles.

Il faudra attendre 1978, 34 ans après sa mort, pour que paraissent enfin la traduction italienne du Premier Dieu, assurée (et sévèrement expurgée) par sa demi-soeur Maria Pia Canevali. Les éditions Arcane 17 publieront la seule traduction française en 1986.

La présente édition a fait un important travail de recherche pour réhabiliter l'oeuvre originale (sa demi-soeur avait retiré toutes les allusions haineuses au père et à la religion) et j'avoue que j'ai hâte de lire les volumes suivants pour découvrir sa poésie.

La vie d'Emanuel Carnevali, très brièvement résumée ci-dessus, montre clairement le parcours d'une unsuccess story. Tout semble raté dans cette vie. L'enfance, l'émigration vers la terre promise, les amitiés, la vie amoureuse. Et l'histoire n'aime ni ne retient les échecs, ou alors il faut qu'ils soient suffisamment significatifs pour élever la personne à l'état de mythe. Mais Carnevali le dit : il n'est pas ce héros attendu par son époque. Carnevali n'est pas Shakespeare ni Rimbaud, ce n'est pas Bukowski, ni Miller, ni Kerouac.

Pourtant son écriture acérée, son lyrisme atrabilaire, sa noirceur désabusée montre une Amérique quelque peu différente, loin de l'angélisme matérialiste, une vision apocalyptique où une certaine forme de folie enterrerait toute forme d'art.

« Je croyais qu'était venu pour les poètes le temps de la peste, le temps de la fin : la fin des chants, des odes, des poèmes, de toutes les vieilles sottises moisies. Pour les poètes qui, tels des moineaux désespérés, abandonnaient partout leurs excréments. J'étais dégoûté par les coeurs délicats que les poètes ostentent dans la paume de leurs mains, sanguinolents trophées de leur guerre avec la vie, qu'ils trament sur les autoroutes et les raccourcis de l'existence, en criant : « A l'aide, à l'aide ! », la bouche ensanglantée, bien qu''ils sachent parfaitement que nul ne les écoutera. (Qui diable écoute les poètes, sinon d'autres poètes ?) D'un côté gît le grand monde, de l'autre le petit poète, avec ses mots microscopiques ; le roi de la forme, le danseur infatigable.» p. 110

Ce désespoir dans le monde le pousse à réinventer une spiritualité dont il serait le centre absolu, « le Premier Dieu, le Dieu unique ». « Pour être un dieu, un vrai dieu, il fallait se saturer de choses simples : c'était la voie la plus commode pour atteindre la perfection de la divinité. » p. 111

C'est un livre essentiel qui nous rappelle que derrière toutes les success stories de la littérature il y a aussi des échecs terribles et que les raisons de ces déconvenues ne sont pas uniquement le fait d'une absence de talents, de chances... Les appuis dans le milieu ne peuvent accomplir de miracle (nombreux de ses amis, dont Ezra Pound ont défendu son oeuvre). Il faut aussi rencontrer ses lecteurs. A l'époque, aucun éditeur (ou presque) n'a voulu parié sur Carnevali. Les éditions La Baconnière tentent maintenant de remédier à cette situation (dans la francophonie). Gageons qu'elles y réussissent !
Lien : http://www.labyrinthiques.fr..
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"Le premier Dieu" est l'autobiographie de l'écrivain poète Emanuel Carnevali qui fut traduite et publiée en 1978, trente-six ans après sa mort, par Maria Pia Carnevali, sa demi-soeur. Comme l'éditeur le précise dans un mot à la fin du livre, la traduction n'était que partielle, omise ou édulcorée lorsque les écrits parlaient du père et de la religion. Les textes originaux ont refait surface avec la nouvelle version de Jacqueline Lavaud...
Carnevali n'a pas écrit dans sa langue maternelle. Sa plume acérée, violente, ironique, parfois sans pudeur et sans compromission, est en anglais, une langue qu'il ne connaissait pas et qu'il a découverte à l'âge de seize ans en Amérique.

Né en 1897 à Florence, Emanuel est un enfant chétif. Il nous raconte ses premiers souvenirs dans la campagne florentine avec sa mère, sa tante et ses cousins. de son frère, il me semble qu'il n'en parle pas, ou peu (C'est seulement en Amérique qu'une brève complicité s'établira). Il a deux ou trois ans et déjà il perçoit toute la misère qui l'entoure. Des cours chapitres parlent de ce séjour à la ferme et présentent sa famille. Sa mère, belle, altière, si grande dame, désenchantée et morphinomane, une martyre à l'image des Saints qu'elle vénère. Un père qui les a laissés, violent, jaloux, égoïste. Sa tante, comparée à une lionne, qui nourrit tout le monde, câline, maternelle, et qui dans sa rage frappe ses enfants jusqu'à la pâmoison. Ses cousins, des enfants un peu bêtas qui le torturent... Des images, des émois et une attente... Il se décrit comme un enfant observateur, calme et soumis.
Le temps de la ferme sera bref car le manque d'argent les pousse à partir à Biella dans le Piémont, une ville industrielle avec ses manufactures textiles. Cette enfance est bien souvent malheureuse. Sa mère décède, il a neuf ans, et il doit partir chez son père qui s'est remarié. Si au début son père consent à faire un effort affectif envers lui et son frère, bien vite la cohabitation dégénère et ils sont envoyés dans des internats. Ces années, il va à la manière de Picasso leur donner des noms colorés. "Blanc" pour la première partie avec sa mère, "Rose" pour la seconde, celle au collège "douce et légère", et "Noir" pour la troisième, celle qui correspond à New-York. Élève brillant, il obtient une bourse pour étudier et découvre les grands auteurs littéraires et la passion d'écrire. La passion, il la ressent aussi pour un étudiant, ce qui fâche le directeur de l'école et le mène à son renvoi. de cette époque, Venise est admirée... l'écriture est exacerbée, grandiloquente, romantique, juvénile, platonique, encore inhabile et vive de tout son amour pour ce jeune ami. Mais comme les poètes maudits rien n'est simple chez lui. Carnevali est habité par une force tragique, une instabilité qui le pousse vers d'autres horizons. Il va tout quitter et partir en Amérique. En 1914, il n'a pas encore dix-sept ans, il arrive à New-York...

Il vit son exil dans le dénuement le plus total. Vagabond, il va de chambres miteuses en squats, vit de mendicité et de petits boulots. Il est comme on dit un traîne-misère, affamé, en équilibre, perdu dans un tourbillon. Il jette les mots rapidement, tout est effervescence dans cette Amérique d'immigrés, du bas de l'échelle. le personnage est étrange avec un caractère brusque, entier, fuyant, insaisissable, presque fictif et je dois dire pas très sympathique. Grand amoureux, il admire les femmes, les belles, les moches, les innocentes, les putains, il les aime, il recherche l'attention et l'amour, ça le grandit, ça le rassure... Elles sont toutes "des reines". En 1917, il se marie mais ne peut rester fidèle. Sa femme est simple, sans éducation. Un jour, alors qu'il cite Shakespeare, elle lui demande qui c'est. Il lui répond qu'il l'a rencontré dans la rue. Aimant et cruel... C'est cette année qu'il rencontre son ami Louis Grudin, un poète, et d'autres auteurs qui vont le propulser dans les cercles littéraires.

Il écrit... il est publié... l'ascension a été douloureuse, la côte fut raide, et tristement, en 1920, on peut dire qu'il est déjà au sommet, il a vingt-trois ans. Épuisé. Les médecins diagnostiquent une encéphalite léthargique. L'indigence est une saleté qui le colle... la maladie, la folie, comme du temps de son enfance avec sa mère et sa tante, le précipice est terrible. Il est aidé par ses amis qui lui offrent les soins et un retour en Italie dans une pension. Il va décrire sa résurrection si éphémère dans les dunes de l'Indiana à vivre comme un sauvage, et ses passages en cliniques et hôpitaux en Italie, cerné par une faune aliénée, viciée, et lui, drogué à la scopolamine. le délire le rend fantasque. Serait-il Dieu ? Hôpital, clinique, pension... Il est publié jusque dans les dernières années de sa vie, "porté" par ses amis dévoués, toujours attentifs et présents, qui impuissants devant la déchéance de Carnevali, continuent à le stimuler. Il est mort en 1942 ; il avait quarante-cinq ans. Et il n'a pas eu la notoriété tant désirée.

"Le premier Dieu" mêle plusieurs récits aux styles différents qui témoignent de l'évolution d'un poète damné. Son identité prend racine dans son enfance et comme le dit Baudelaire, "... le profane, au rire effronté, souffle gaiement des bulles rondes..."... il se joue de tant de misères. Confessions d'un enfant malheureux, rejeté, mots précieux d'un adolescents, chroniques égocentriques par la suite, puis paranoïaques sur la fin... l'autobiographie emporte le lecteur au-delà des pages. La verve est toujours luxuriante, fine et belle, elle fait mal aussi. La souffrance est sublimée. C'est en lisant les trois témoignages de ses amis qu'on arrive un peu à cerner l'auteur. Il dit de lui... "Sur mon visage, il y a tout à la fois, la lutte des idées, des impressions, des sensations anciennes et dépassées. Qui a dit que le visage est le miroir de l'âme ?".
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Le premier dieu est une autobiographie de 130 pages, suivi de proses, courts récits, divagations.
Emmanuel Carnevali se souvient...Une enfance dont il ne guérira pas. La maladie règne en maître dans sa famille: mère morphinomane, tante qui l'élève et qu'il verra morte; cousin mangeur d'immondices qui a des vers énormes dans les intestins et enfin lui, malade dès l'âge de 15 ans.
Son père les prend en charge, lui et son frère. L'école ne l'intéresse pas vraiment, il préfère les promenades, plus régénérantes que l'air vicié d'une salle de classe.
Mais le collège lui permet de découvrir Venise et son silence magique.


Majeur, Carnevali s'embarque pour New York sur une vieille carcasse à moitié pourrie où il fait sentir la puissance de la mer avec ses vagues majestueuses et massives. Sur ce bâteau, il fait la connaissance de Misio, le philosophe incroyablement lent.

Puis il apprend à connaître New Yord en parcourant les rues à la recherche de travail, la rondes des emplois de serveur.
Il se fait souvent virer, les free lunch counter l'empêche de mourir de faim. Toute une vie d'immigrant précaire qui compare les emplois à de vieilles chaises défoncées qui sont autant d'étapes pour se reposer avant d'avancer dans la vie, comme Sisyphe avec son rocher.
« J'étais le capitaine du navire de la misère américaine. »

Avec son frère qui l'a rejoint, ils partagent une paire de chaussure pour deux puis ils se brouillent et Carnevali apprendra sa mort quelques années après.
Il se marie, écrit de très belles pages sur la vie à deux, mais rencontre et rêve d'autres femmes. Il fait la tournée d'écrivains et essaie de faire son trou dans cette petite société. A Chicago, il côtoie une société d'excentriques, le “le forum de ceux qui arrivent au mauvais moment“. Il décrit ses amis d'alors Louis Grudin, Jack Jones, Annie Glick à qui il voue un amour déséspéré, Harriet Monroe, mère des poètes. Et les écrivains Sherwood Anderson et William Carlos Williams.
Puis c'est la crise, la folie qui ne le laissera plus en repos. Il est farouchement convaincu d'être un dieu, il parle à l'infini et vit avec une chose, un double invisible qu'il appelle Chosequibrille.
Le fou insupporte. Il est rejeté. Il se réfugie près d'un lac. Il nage: “l'eau du lac était mon absinthe.“
L'encéphalite le tient, il n'est plus qu'un être tremblant aux yeux vitreux. Il est renvoyé en Italie. Fin de l'autobiographie, la biographie officielle prend le relais et contraste avec son style poétique.

Comme tous les grands livres surprenants, il faut s'acclimater à cette belle écriture épidermique, en tension perpétuelle, à cette vie rongée par le manque d'espoir et la maladie invalidante. On voit s'agiter un être fantasque et bavard pour qui ça finira mal, un poète vraiment maudit.
C'est en relisant mes notes que je me rends compte que les croix abondent, comme autant de points d'exclamations et d'admiration. Des phrases uniques de poète. J'appelle phrase unique une phrase nouvelle, jaillie d'une cervelle et qui n'a jamais été lue auparavant. On a envie de toutes les noter, se faire une collection de toutes ces comparaisons originales et perçantes. Il n'y a pas redite. Carnevali brode sur le déséspoir lancinant de sa vie, une enfance dont on ne guérit pas, une pauvreté de tous les instants et la maladie comme une épée de Damoclès.

Les autres récits sont eux aussi marqués par le pessimisme, des histoire d'êtres solitaires pour qui ça tourne mal, tout en se teintant d'une note contemplative. le poète interné a le temps de décrire son environnement comme dans Home, sweet home, où il regarde son appartement, la vie au quotidien. L'écriture se glisse comme un fantôme transparent sur la trame du quotidien.

Merci à Babelio et aux éditions de la Baconnière pour cette belle découverte.
Lien : http://killing-ego.blogspot...
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J'ai été peu enthousiasmée par cette autobiographie, d'un auteur italien méconnu, d'expression américaine, Emanuel Carnevali.

Je suis étonnée de la disparité de styles entre le début, décrivant avec une platitude dérangeante les maladies et violences familiales et la partie "Chicago" dont certains passages sont d'une réelle fulgurance poétique.
Seuls passages qui peuvent suggérer d'autres rebelles au délire provocateur comme Genêt, Kerouac ou Bukowski...

Les "autres proses" sont dans l'ensemble d'une écriture inspirée et Carnaveli est alors, le [...vagabond qui répand des mots sortis d'un trou de sa poche...] comme Rimbaud s'en allait, les poings dans les siennes crevées.

Précision judicieuse de l'éditeur, que les trois témoignages qui donnent un autre éclairage de ce poète maudit, égocentrique et sans empathie pour les autres.

La jaquette (déjà vue chez Robert Laffont pour un Bret Easton Ellis) est agréable en mains...
...et merci à Masse Critique de m'avoir fait découvrir cet auteur.



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Voici la critique d'un auteur qui m'était inconnu: Emanuel Carnevali. Dès les premières lignes, j'ai cherché à trouver des similarités, des points de repères. Un Italien qui émigre aux États-Unis, j'ai d'emblée pensé à John Fante, mais rien à voir. Il n'avait pas la hargne de Bandini! Non, les premières lignes m'ont plutôt fait penser à la lettre au père de Kafka; une culpabilité juvénile: c'est votre faute (père et mère), mais je ne vous accuse pas, c'est aussi ma faute, mais, bla, bla.

Je dois dire que les premières pages m'ont réellement ennuyé. Comme cela m'est arrivé à quelques reprises, le train, ou l'avion m'a permis d'avoir un autre regard sur un livre, il peut même le sauver, car après avoir feuilleté tous les magazines offerts, je me suis dit,« il me reste encore 2h30 de trajet!» On offre alors une seconde chance au livre (c'est ce que j'avais fait avec la route de McCarthy où les 35 premières pages sont imbuvables). Et, là aussi, les chapitres suivants acquièrent un peu plus de mordants, sont moins lisses et parviennent à nous accrocher.

Ce qui est étonnant, c'est qu'au fur et à mesure de la lecture, on retourne à notre questionnement initial: où se place cet écrivain. En fait, cette question nous revient, car Carnevali se l'a pose sans cesse. Comme il le dit lui même, il est un écrivain romantique du XIXe siècle, et comme eux, il cherchera à faire de sa vie une oeuvre. Raison certainement pourquoi le premier Dieu est une autobiographie, et raison pour laquelle il semble vivre comme s'il était un personnage de roman.

En plus de cette autobiographie, on trouve plusieurs autres proses, presque toujours à la première personne. C'est d'ailleurs surtout dans cette deuxième partie que l'on remarque la voix singulière de Carnevali, ses thèmes de prédilection (maladie, pauvreté, meublé, NY et l'Italie…), son univers qui finalement est très beau. Je ne choisis pas «beau» par hasard, car il me semble qu'il s'agit de l'un des termes que Carnevali emploie le plus souvent. Il semble en faire une fixation. À chaque fois qu'il rencontre une nouvelle personne, homme ou femme, il nous expose son jugement. «Ah! ce qu'il est beau, même si son visage est très laid!» pourrait-on voir comme son leitmotiv. Il cherche constamment à trouver le beau dans toutes choses, toutes personnes, toutes situations aussi laides soient-elles. On peut même se demander si plus une chose est laide et plus il la trouve belle.

On comprend à la lumière de ce texte et autres proses que cette recherche, cette fixation sur la beauté, en fin de compte, il ne cherche qu'à se l'appliquer à lui-même. Il aimerait bien que dans sa laideur, on y voit la beauté, une beauté grandiose, divine. C'est dans ce sens que ce livre, et le bonhomme, sont attachants, dans cette tentative ininterrompue de séduction du lecteur. Il se plaint sans cesse de sa misère, avec le sourire, dans une posture héroïque, tout en nous disant, je ne me plains pas, la vie est belle, je suis en fin de compte heureux. C'est bien dans ce tiraillement interne que Carnevali intéresse son lecteur et qui le rend aussi fascinant.
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