"Frères humains qui après nous vivez,
n'ayez pas les coeurs contre nous endurcis,
car si vous avez pitié de nous,
Dieu en aura plus tôt de vous merci."
(
F. Villon, "Ballade de pendus")
Le Moyen-Âge est comme un kaléidoscope rempli de cristaux colorés dont l'image est sans arrêt en train de changer et de se recomposer, mais reste toujours aussi fascinante. Nous avons une idée assez précise de la vie quotidienne des nobles, du clergé et des paysans, mais on oublie souvent ce "quatrième ordre", celui des marginaux et des laissés-pour-compte.
"Les marginaux du Moyen-Âge" est un beau livre de vulgarisation.
Sophie Brouquet nous apprend l'essentiel, sans tomber ni dans la facilité, ni dans l'érudition indigeste, et le tout est représenté comme un riche catalogue rempli d'images pour accompagner et soutenir le texte.
Les reproductions d'époque sont parfois surprenantes, comme ces représentations des lépreux, scènes d'exorcisme ou des interventions chirurgicales, notamment la trépanation. Les gravures qui montrent l'effervescence des bains publics ou des scènes des bordels allemands du 15ème siècle sont particulièrement éloquentes. Ainsi que les extraits des textes juridiques médiévaux et des livres sur la sorcellerie, entre autres.
Vous allez apprendre quel regard on portait sur les difformités corporelles et celles de l'esprit. Sur les lépreux, les fous et les possédés, et comment la charité chrétienne était présente, malgré la peur naturelle qu'ils inspiraient. Sur l'organisation des léproseries, qui respectaient dans certains cas un ordre quasi-monacal.
On va enchaîner sur les déviances sexuelles et la prostitution, et comprendre quel grand tournant a représenté le 13ème siècle en ce qui les concerne.
On n'oublie pas non plus les vagabonds et les mendiants, les gueux, les coquillards et tout ce beau monde qui grouillait par les chemins; un monde en apparence surveillé, même si la réalité était souvent bien différente.
On parle aussi de la délinquance et des punitions publiques à titre de découragement et d'exemple, car les prisons n'étaient pas vraiment fréquentées, à l'époque. Rien de tel que les oreilles coupées (ou autre chose, les possibilités ne manquaient pas) ou une journée au pilori pour retenir la leçon.
Mais le livre est loin de représenter la société médiévale comme superstitieuse et barbare, qui fonctionne grâce aux incessantes persécutions de la part des autorités religieuses ou civiles. Même si elle voit une grande explosion de la marginalité, elle propose aussi des solutions pour s'en occuper, parfois même la réintégration.
La cruauté, certes. Mais aussi beaucoup de cette "charité chrétienne", pas toujours complètement désintéressée, néanmoins bien réelle et indispensable à la survie d'un bon nombre de ces "âmes perdues"...
Quatre étoiles; c'est intéressant, instructif et très agréable à regarder avec toutes ces reproductions colorées, mais parfois j'aimerais en savoir un peu plus sur certaines choses... c'était trop court.