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EAN : 9782379330216
256 pages
Passes Composes (13/03/2019)
4.33/5   12 notes
Résumé :
Au XVIIIe siècle, la noblesse française comme l'aristocratie, minorité ô combien plus " médiatisée ", sont perçues comme décadentes par la grande majorité du peuple de France. Rongée par les dissensions internes, minée par les rumeurs et les scandales, contestée dans sa légitimité à revendiquer une supériorité sociale, la noblesse paraissait au plus grand nombre indigne de sa vocation à servir le royaume. Elle vivait alors la clôture d'un cycle, dont 1789 ne serait ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (6) Voir plus Ajouter une critique
Fadi El Hage, docteur en histoire, est spécialiste de la France moderne. Auteur d'ouvrages remarqués, dont une Histoire des maréchaux de France, une biographie du duc de Vendôme et La Guerre de Succession d'Autriche, il contribue au magazine Guerres & Histoire. Son dernier ouvrage intitulé le Sabordage de la noblesse revient, comme l'indique le sous-titre, sur le « mythe et (la) réalité d'une décadence ».



L'image diffusée par l'historiographie est la suivante : à la veille de la Révolution, la noblesse et l'aristocratie sont considérées comme décadentes par la plus grande majorité du peuple de France. La conséquence tombera « le 19 juin 1790, quand l'Assemblée nationale constituante abolit par un vote nocturne, en apparence impromptu, la noblesse héréditaire. Un ordre social millénaire venait de prendre fin pour toujours en dépit des protestations de certains de ses membres. » Cette proposition, énoncée par un membre obscur, fut aussitôt appuyée par Charles de Lameth, Gilbert de la Fayette, Louis de Noailles, Mathieu de Montmorency. Ces derniers se firent gloire d'en amplifier le sens et l'étendue. Certains d'entre eux avaient déjà joué un rôle majeur dans l'abolition des privilèges lors de la fameuse nuit du 4 août 1789.



Pour bien définir le cadre de ses travaux, l'auteur explique que la noblesse fut « formée originellement dans le contexte féodal. Elle incarnait depuis le XIIe siècle le second ordre de la société chrétienne. Elle déterminait un rang et une qualité à ses membres, les distinguant des roturiers soit par naissance, soit par anoblissement. » El Hage précise une idée très importante que nous relevons : « A la fin du Moyen Age, les valeurs chevaleresques ne furent plus les seuls fondements de la noblesse qui, de fait, se montra par la suite extrêmement diverse. Elle était loin de former un ensemble cohérent. Au cours du XVIIIe siècle, elle fut de plus en plus assimilée à une entité numériquement faible mais hautement visible par la médiatisation de la cour : l'aristocratie. Celle-ci essentialisa la noblesse dans le public roturier, et même au-delà. »



Initialement, seule la noblesse d'épée existe. Puis la noblesse de robe voit le jour. La première reprochera souvent à la seconde d'avoir payé sa noblesse en espèces sonnantes et trébuchantes, sans avoir eu à sacrifier l'impôt du sang. Concrètement, la noblesse de robe est constituée dans sa majeure partie de descendants de personnes ayant acquis à titre onéreux un office anoblissant dans les finances ou la justice. Précisons que l'opposition entre noblesse de robe et noblesse d'épée ne se montre pas toujours aussi tranchée que cela. Par exemple, il n'était pas rare de voir le fils cadet d'un noble de robe devenir militaire quand son frère aîné succédait à l'office paternel, et de gagner un titre sur le champ de bataille.



Quoiqu'il en soit, n'oublions pas qu'en ce siècle dit des Lumières un acteur important entre sur la scène : l'espace public. Jürgen Habermas décrit ce dernier de la manière suivante : « le processus au cours duquel le public constitué d'individus faisant usage de leur raison s'approprie la sphère publique contrôlée par l'autorité et la transforme en une sphère où la critique s'exerce contre le pouvoir de l'Etat. » En janvier 1789, Sieyès, ancien chanoine publie, à quelques mois de l'ouverture des Etats Généraux, son pamphlet qui l'introduit dans l'Histoire : Qu'est ce que le Tiers-Etat ? El Hage note que Sieyès « reconnaît les antagonismes au sein de la noblesse, tout en fustigeant sa caste privilégiaire. » Et ce n'est pas tout, car le futur député du Tiers accuse aussi la noblesse de « former un peuple à part, mais un faux peuple, qui, ne pouvant à défaut d'organes utiles exister par lui-même, s'attache à une Nation réelle comme ces tumeurs végétales qui ne peuvent vivre que de la sève des plantes qu'elles fatiguent et dessèchent. »



Ces questions relatives à l'identité et à la fonction de la noblesse ne datent pas de 1789. El Hage écrit que « tout le XVIIIe siècle fut marqué par des discussions plus ou moins polémiques » autour de ces notions. En réalité, l'auteur considère « qu'en donnant au métier de roi toute sa splendeur et son ampleur, Louis XIV tâcha d'entraîner la noblesse au service de l'Etat en l'attirant à la cour, sous peine de manquer faveurs et élévation, par ailleurs ouvertes à la bourgeoisie montante, pour susciter l'émulation parmi les gentilshommes soucieux de conserver rang et faveur. » Néanmoins, cette politique d'attachement volontariste de la noblesse à la Couronne provoque de sérieux écueils : « L'intégration à la société de Cour dépassait tout, quelle qu'eût été l'ancienneté ou la puissance passée du lignage. »



Effectivement, vivre à la Cour, c'est-à-dire au château de Versailles ou dans un lieu très proche, peut grever le budget d'un individu voire de sa famille tout entière. Les Français d'alors s'endettent parfois lourdement, simplement pour se placer dans l'angle de mire du roi régnant : « La société de Cour était un tonneau des danaïdes pour les bourses des nobles s'y trouvant, d'autant plus vicieuse que quiconque en était exclu, risquait la mort sociale, la fin de la carrière des honneurs. » Pour payer leurs dettes ou augmenter sensiblement leurs revenus, certains nobles, issus des plus vieilles familles de France voire de la famille du roi, se livrent à l'agiotage, à la spéculation financière et boursière avec des fortunes diverses. de temps à autre, des faillites spectaculaires éclatent pour le plus grand plaisir des pamphlétaires et autres contempteurs de la monarchie. Pour résoudre ce problème financier, des nobles acceptent des mariages avec des riches familles bourgeoises, quitte à souffrir le mépris de leurs pairs. Evoquons un aspect fondamental soulevé par la domestication de la noblesse voulue par le pouvoir, qui peut être compréhensible en la replaçant dans le contexte de l'après Fronde : vivre à Versailles éloigne les nobles de leurs terres et de leurs gens. Ils en oublient la réalité vécue par la majorité des Français. Cette vie les coupe donc du Tiers, d'où les rancoeurs et les rancunes éclatant à partir de 1789.



Une énième séquelle fâcheuse est relevée avec pertinence par El Hage : « Pour rester sous les yeux du roi, la tentation pour un gentilhomme de faire des entorses au service attendu était palpable, notamment aux armées. » La conséquence ne se fait point attendre : « A ce moment-là, naît un malentendu qui se creuse dans les esprits quant à la définition de l'aristocratie. le terme, qui relève pour une partie d'une interprétation purement subjective (le noble local pouvait paraître aristocrate selon son comportement et ses fonctions), devient péjoratif lors de la pré-Révolution, assimilée à une caste de privilégiés, ainsi que l'insinue Sieyès. »



El Hage rappelle également, non sans malice, que Louis XIV « s'était entouré de ministres dont il n'avait pas pris le rang ou l'ancienneté du lignage en considération. L'hégémonie française lui avait donné raison. » Toutefois, avec les grandes difficultés apparues en 1711, les opposants critiquent « le gouvernement personnel de Louis XIV et le remettent en cause ». Car contrairement à ce que laissent entendre quelques historiens, les violentes diatribes à l'endroit de la noblesse ne datent pas du XVIIIe. Déjà en 1689, un pamphlet célèbre fut publié sous le titre Les Soupirs de la France esclave qui aspire après la liberté. Cette oeuvre fut commise par un protestant ayant quitté la France après la révocation de l'édit de Nantes. Si on peut éventuellement douter de son honnêteté intellectuelle en raison des croyances religieuses qu'il professe et qui s'avèrent en opposition avec celles défendues par Louis XIV, il n'empêche que le mot liberté est déjà présenté comme une revendication politique. Lors de la Guerre de Cent Ans, la noblesse essuyait déjà des critiques à cause de la tournure catastrophique des événements pour le royaume de France.



Le phénomène ne constitue pas en soi une nouveauté ou une originalité car « en période de crise, les élites sont toujours remises en cause dans la légitimité de leur ascendant social. Elles sont censées assurer l'intégrité de ceux qu'elles doivent protéger, défendre les intérêts de l'Etat et du souverain, en somme, justifier leur position supérieure malgré l'égalité naturelle voulue par Dieu. » En 1740, le marquis De Franclieu écrivait que « sous un roi digne et juste on s'efforce d'imiter son exemple ». Cela ne constitue pas un secret : Louis XV aimait les femmes. Il était tourmenté et écartelé entre sa volonté d'être fidèle à son éducation et ses moeurs débridées. El Hage estime « que le roi ne donnait pas l'exemple à sa noblesse qui, elle-même, n'avait plus la référence traditionnelle du souverain pour se montrer irréprochable auprès des autres sujets ».



Pour contrebalancer ce propos, nous disons qu'une partie non négligeable de la noblesse s'adonnait au libertinage sans avoir eu à attendre le mauvais exemple royal. Louis XV était, en dépit de son éducation et des principes attachés à sa personne, un enfant des Lumières. L'illustre aïeul Louis IX, dit Saint Louis, souvent mis en avant par ses successeurs se trouvait en fait à des années lumières… En définitive, ce siècle se caractérise par un libéralisme moral, philosophique et politique dont la société actuelle est l'héritière.



Indépendamment des services qu'elle a rendus par le passé, « la noblesse restait avant tout perçue comme l'incarnation d'un ordre social conférant une position illégitime par le sang, à des hommes et des femmes s'étant juste donné la peine de naître pour reprendre les mots mis dans la bouche de Figaro par Beaumarchais ». L'imprimerie permet de diffuser des idées par « le développement d'une littérature protéiforme alimentant les débats autour de la rivalité entre l'aristocratie d'Etat et les corps intermédiaires (en premier lieu les Parlements), non sans conséquence sur les affaires du royaume ». Comme chacun sait « la bataille des pamphlets fit rage tout au long du siècle dès qu'il y eut dissension politique entre le roi et les Parlements ».



Depuis longtemps, ce conflit entre le roi et ses Parlements anime la vie du royaume de France. Après l'épisode de la Fronde, ou plus exactement des différents épisodes entrés dans l'histoire sous le nom de Fronde ou de guerre des Lorrains, Louis XIV avait mis tout le monde d'accord avec un art consommé de la politique. Les Parlements bien dociles durant plusieurs décennies reprennent sous Louis XV du poil de la bête. le Bien-aimé remporte, non sans mal, cette bataille contre des Parlementaires désireux de participer plus activement et directement à la vie politique du pays. Ainsi, comme le pense El Hage « le roi, père du peuple, avait impérativement à se positionner face aux pères de la patrie, tandis que se développaient des réflexions politiques et historiques autour de l'histoire de France et du rôle de la noblesse ». Louis XVI commet une erreur funeste en décidant du rappel des Parlements. Suite à ce revirement royal, Maupéou déclame cette sentence prophétique : « J'avais fait gagner au roi un procès vieux de trois cents ans. S'il veut perdre sa couronne, il en est bien le maître. » Nous connaissons tous la fin de l'histoire…



Au cours des années précédant la Révolution, nous lisons que la noblesse souffre d'une très mauvaise image auprès du grand public. Une secousse la frappe de plein fouet, il s'agit de la crise démographique. Les nobles, par choix ou par contrainte, vivent de plus en plus souvent en célibataires. La consanguinité déclenche des ravages dans leurs rangs. D'autres nobles deviennent bisexuels voire homosexuels. Ces états de vie ne profitent nullement à la procréation et ne contribuent donc pas à l'augmentation numérique de cet ordre. de surcroît, les roturiers n'acceptent plus d'être mis à l'écart des postes les plus importants malgré un mérite connu et reconnu. En tout état de cause, des gens compétents ne servent pas la couronne tandis que des incompétents, issus de prestigieuses lignées, obtiennent des places pour lesquelles ils ne disposent pas des qualifications requises. Situation paradoxale, et fondamentalement injuste, qui ne pouvait déboucher que sur un conflit politique de grande ampleur.



El Hage écrit qu'en « 1848, 1968, en France, le feu prit souvent sur le foyer de l'ennui. La jeunesse aristocrate n'était-elle pas dans une léthargie semblable avant la Révolution ? » En effet, il semble révolu le temps où les armées de Louis XIV imposaient leurs puissances aux quatre coins de l'Europe. Toutes ces campagnes ont permis à de nombreux nobles de pratiquer les vertus guerrières, de gagner de l'avancement, des pensions et des gratifications. Sous Louis XVI, la politique internationale change et les diplomates parle plus « d'équilibre européen » que de conquêtes et d'extensions territoriales. Raison pour laquelle plusieurs cadets de vieilles familles épousent avec enthousiasme la cause des Insurgents, sans se rendre compte qu'ils scient la branche sur laquelle repose l'équilibre précaire maintenant la société et leur caste…



En définitive, la noblesse ne sort pas indemne des maux sévissant au XVIIIe siècle. Loin de représenter un bouclier face aux idées nouvelles et aux nouveaux paradigmes sociétaux, elle s'écroule car attaquée de l'extérieur et minée de l'intérieur par de multiples contradictions. le peuple pouvait pardonner beaucoup, mais il considérait que la ligne rouge avait largement été franchie depuis de nombreuses décennies…



El Hage, avec son brillant essai, se livre à une réflexion pertinente ayant pour objectif de répondre cette interrogation : « Avec cette conscience des cycles et des précédents, comment l'évolution sociale et morale de la noblesse a-t-elle eu finalement raison de l'ordre tout entier ? » Sa réponse se veut circonstanciée et argumentée. Pour lui, la noblesse a, entre autres, perdu son essence en abandonnant ce qui l'a caractérisée depuis sa naissance : l'honneur. A l'aide de documents inédits et d'une analyse minutieuse, El Hage cherche à répondre à sa problématique préalablement définie en évitant tout parti pris pour ne pas succomber aux images d'Epinal, forcément dangereuse quand on veut étudier l'histoire sérieusement.



Pierre-Claude-Victor Boiste avait dit : « La noblesse n'est rien sans la considération. » Il nous paraît évident que la noblesse a souffert d'une imagerie défavorable, pas toujours justifiée - et propagée en grande partie par les sociétés philosophiques - comme le démontre avec brio l'auteur. Ce corps constitué ne sut pas se renouveler en s'adaptant aux nouvelles exigences de son époque sans trahir ses fondamentaux. A force de vouloir justifier son existence aux yeux de la masse, mais aussi des siens, la noblesse a fixé un idéal difficilement atteignable qui l'a mis dans une situation impossible. Elle a déçu le peuple mais s'est en même temps dégoutée elle-même, car de virulentes critiques émaneront de son camp. Citons Antoine de Rivarol d'heureuse mémoire : « Quand les peuples cessent d'estimer ils cessent d'obéir. » le sabordage de la noblesse participa à l'effondrement de la royauté…



Franck ABED
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Au lendemain de la Révolution française, la noblesse est officiellement dissoute, avec sa propre approbation. Qu'est-ce qui a bien pu provoquer la chute d'un ordre si important, qui fait encore aujourd'hui partie de l'imaginaire collectif et exerce toujours un pouvoir de fascination ?

Ce qui ressort principalement de cette lecture, c'est que la noblesse a été incapable de se réinventer, et s'est entêtée à rester dans un cul-de-sac historique qui l'a rendue obsolète. Conçue à l'origine comme colonne vertébrale de l'armée du roi (« convoquer le ban et l'arrière-ban »), et comme conseil élargi qui empêchait ce dernier de tomber dans l'absolutisme, la noblesse s'est vue petit à petit remplacée par une armée de métier, puis par des conseillers de basse extraction, mais terriblement efficace à leur poste.

En réaction, la noblesse a mis la barre de ses valeurs encore plus haut : les lignées doivent remonter à des temps immémoriaux, la morale et l'attitude du noble doivent être irréprochables. Mais la conséquence, c'est que l'équation devient impossible à résoudre pour ses membres : pour briller à la cour, il faut de l'argent, mais les places honorifiques (et les pensions associées) se font de plus rares et les prétendants toujours plus nombreux ; accepter des mariages avec des riches bourgeois, ou s'enrichir grâce au commerce, qui sont les seules solutions qui fonctionnent en pratique, c'est s'attirer le mépris de ses pairs, qui y voient une nouvelle preuve de la dégénérescence de leur ordre. Même réaction pour chaque affaire de moeurs qui vient éclabousser l'un ou l'autre dignitaire.

Au final, on a l'impression que la noblesse, pour justifier son existence, a placé comme idéal une situation impossible à atteindre en pratique, et a ainsi fini par se dégoûter d'elle-même. Les critiques extérieures existent bien, mais les plus virulentes viennent de l'intérieur.

L'essai se base sur des écrits, des témoignages, et même des romans : on est assez loin des livres d'histoire que j'ai l'habitude de lire, qui se concentrent sur quelques grandes dates et quelques personnages emblématiques. On analyse ici plutôt un ressenti, l'image qu'on renvoie aux autres, l'image qu'on a de soi-même, et l'impact que tout ceci peut avoir sur la « grande » histoire ensuite.
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La critique de la noblesse ne date pas de l’époque moderne, déjà lors de la Guerre de Cent Ans elle avait été critiquée pour ne pas remplir son rôle. Au 18ème siècle, la litanie revient avec peut-être plus de force qu’avant étant donné la multiplication des écrits (journaux, romans, mémoires…) et la progression de l’alphabétisation dans les villes. Cette critique venant de tous les côtés, y compris de la noblesse, que raconte-elle exactement ? Que nous indique-t-elle sur ce siècle qui va se clore par la Révolution ? A toutes ces questions, Fadi El Hage va y répondre à travers plusieurs points.

Critiques :

Pour commencer, Fadi El Hage va nous montrer que la critique de la noblesse vient autant de l’opinion publique que de la noblesse elle-même, - qui ne supporte pas pour une partie d’entre-elle cette perte d’identité.
Que dénonce cette critique exactement ? Le comportement décadent de la noblesse à qui on reproche de préférer l’oisiveté, l’argent, le luxe, le pouvoir, au mépris des intérêts de la nation et de la vertu.
Ces reproches peu glorieux, et qui malgré les rumeurs et les exagérations ne sont pas immérités pour autant, indiquent déjà à l’époque que la noblesse en se comportant de manière si basse, si frustre, ne peut plus se prévaloir de sa supériorité ni expliquer ses privilèges. Surtout quand à côté la petite noblesse, la bourgeoisie, a autant voire plus de mérite.

Expression de la critique :

Cette critique et vision de la noblesse sont certes intéressantes à découvrir, mais si on peut les étudier aujourd’hui c’est notamment grâce aux écrits qu’elles ont laissé, et ce qu’on peut dire là-dessus c’est que l’historien Fadi El Hage a tapé large dans ses recherches. En effet, des mémoires plus ou moins directes, au roman comme Manon Lescaut en passant par la réflexion historique avec Montesquieu, l’auteur va montrer que tous les supports peuvent servir à l’approche critique de la noblesse. Montrant de ce fait que la situation interroge et interpelle déjà pas mal à l’époque.
"L'oisiveté représentait un danger. Louis-Antoine Caraccioline dit rien d'autre dans son roman moraliste Les Derniers Adieux de la maréchale de *** à ses enfants (1769), dans lequel il lance un appel à la jeune noblesse d'épée :
Vous êtes les descendants d'une multitude d'aïeux que la Patrie compte au nombre de ses héros : leur sang ne circula dans leurs veines que pour se répandre et pour guérir les maux que l'ennemi faisait à l'Etat. C'est à ce prix qu'ils acquirent la noblesse dont vous jouissiez, et dont vous ne pouvez vous prévaloir qu'autant que vous les imiterez. On perd sa noblesse aux yeux de la raison et de la probité, quand on ne s'en sert que pour vivre dans le faste et dans la mollesse, que pour se donner des airs de hauteur et de fierté." p.87
Toutefois et comme va l’indiquer l’historien moderne, ces écrits ne sont pas que des critiques nobiliaires ou des mises en garde adressées à la noblesse. En effet, dans la ligné de Polybe et de l'anacyclose de Platon, les réflexions de l’époque comme celles de Fénelon, peuvent aussi être une critique du despotisme monarchique initié par Louis XIV, et qui a dévoyé l’organisation du pouvoir par la domestication de la noblesse. Fénelon va en effet reprocher à Louis XIV d’avoir donné le pouvoir à des bourgeois ou des plus petits nobles, et voudrait donc revenir à quelque chose de plus noble en fermant les portes à l’évolution sociale. Outre Fénelon, on pourrait aussi citer Saint Simon pour ses écrits contre la noblesse - qui cachent mal parfois un orgueil blessé -, mais aussi pour ses écrits qui donnent quelques réflexions politiques pour sortir la noblesse de l’impasse où elle s’est mise, par exemple quand il prêche pour une régularisation de la noblesse et des privilèges.

Vision globale :

Au-delà de la critique de la noblesse, ce que j’ai apprécié avec ce livre, c’est qu’il nous montre à voir la vision de la monarchie par les sujets. Et ce qu’on peut dire c’est que le roi perd en sacralité dans toutes les strates de la population, entre ceux qui critiquent le coût d’un sacre et ceux qui critiquent son comportement, tous les sujets, en tout cas une bonne partie, ont une opinion dessus.
D’ailleurs, et puisque je parle du comportement, il a été intéressant de découvrir que le mauvais comportement de la noblesse est en partie la faute du roi dans les esprits du temps. En effet, Louis XV en s'éloignant des armées et en se conduisant comme le premier des débauchés, ne donne pas l’exemple à sa noblesse, donc qu’elle aille mal, qu’elle ait un comportement décadent, c’est un peu normal quand on regarde le comportement du roi.
Au-delà de la vision de la monarchie par les sujets, l’autre atout du livre c’est qu’il décrit la mentalité du peuple à la vieille de la Révolution. Grâce à cela, on sent déjà, et surtout à travers la petite noblesse (brimée notamment par l’édit de Ségur) et les roturiers, que les gens veulent être jugés pour ce qu’ils ont entre les deux yeux, pour leurs capacités réelles. On sent poindre une envie d’évolution sociale, que Louis XIV avait rendue possible, et le refus d’un code suranné qui exclut une bonne partie de la population des charges importantes parce qu’ils ne sont pas nés du bon côté.
Bref ! Fadi El Hage va montrer que l’idée d’égalité s’inscrit déjà dans les consciences et que la Révolution ne fait qu’acter ce qui était déjà en marche dans les esprits et un peu dans les faits, et de fil en aiguille cela sonné déjà la fin de la noblesse. D’ailleurs puisque je parle de la Révolution, l’auteur a une petite théorie sur son rapport avec les nobles plutôt intéressante, mais je n’en dirai pas plus.
Enfin et parce que la vision est plus globale en sortant de l'approche comportementale, il est intéressant de voir que la noblesse n’est pas décadente que par son comportement, les lois qui la régissent peuvent aussi poser des problèmes à sa durée, ainsi que la consanguinité et les mœurs.


Le mot de la fin :


En conclusion, on voit que la noblesse s'est bien sabordée d'elle même, même si les rumeurs ont parfois joué contre elle. On voit en outre que l'évolution des mentalités a aussi joué contre elle, et que cet ordre était finalement voué à s'éteindre car n'étant plus adapté au temps.
En Résumé, ce livre possède une approche large et complète de sa problématique, et il y aurait encore beaucoup à écrire dessus, je n'ai pas abordé la polysynodie, pas plus développé que ça la Révolution, la République des lettres, le pouvoir royal, les nobles et leurs activités, etc. Mais quoi qu'il en soit, j’ai beaucoup aimé la lecture de cet ouvrage qui donne à voir la noblesse et la Révolution comme on les a rarement vues. Indéniablement à lire, surtout qu’il se lit très facilement.
Lien : http://encreenpapier.canalbl..
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le sabordage de la noblesse, est un livre qui s'attarde sur l'état de la noblesse au dix-huitième siècle.

Cet ouvrage est très intéressant, très détaillé (parfois trop mais j'avoue aussi être non initiée). En tout cas il est certain que cette lecture suscite un intérêt fort chez le lecteur et le pousse à s'interroger sur des stéréotypes qu'il a pu hériter dans sa vie de lecteur ou de téléspectateur.
L'auteur a des sources pointues, ce qui est très appréciable, et il les exploite et analyse de façon à ce que le lecteur puisse réellement en comprendre le sens et l'impact.

A noter pour ma part que c'est la première fois que je croise cette maison d'édition et j'ai su apprécier le livre dans son format papier, c'est un livre très agréable à manipuler.

Merci à Babelio et aux editions Passés Composés pour ce livre reçu dans le cadre d'une masse critique.
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(livre reçu avec la Masse critique : merci à Babelio et aux éditeurs).
Voici un travail très documenté et qui se veut très complet sur la noblesse française au XVIII°s : à partir de portraits, l'auteur tente de définir ses caractéristiques, de montrer comment elle a évolué et comment la perception de celle-ci a évolué, en sa défaveur dans les deux cas. le style est parfois chargé, avec des digressions qui parfois perdent le lecteur, mais le propos est vraiment intéressant. L'étude se concentre en grande partie sur les grandes figures parisiennes et de la Cour, aux dépens de la noblesse de province qui numériquement est la plus importante mais moins visible que celle de Cour et qui a des relations et une image différente auprès des locaux (pour celle que je connais en Normandie, en tout cas)... C'est un ouvrage vraiment intéressant pour les historiens amateurs du XVIII°s.
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Citations et extraits (3) Ajouter une citation
Polybe inaugure son propos avec la monarchie, système équilibré par le conseil des représentants intermédiaires, tempérant le pouvoir d'un seul homme. Or, quand le roi commence à prendre des décisions seul, sans en référer aux corps intermédiaires, le régime se mue en tyrannie, appelé aussi dans certaines traductions françaises "despotisme". Cet exercice personnel du pouvoir, sans contrôle où le roi décide seul ou avec quelques conseillers choisis en dehors de la tradition, aboutit finalement à son rejet, puis à l'installation d'une aristocratie. Dans sa définition originelle, ce désignait le « gouvernement des meilleurs », dans le sens des plus méritants. Seulement, à l'instar de l'ensemble des systèmes politiques, l'aristocratie laisse place à son avatar dégradé, l'oligarchie. Le pouvoir est alors entre les mains d'un petit nombre de personnes appartenant à un même groupe, social par exemple, sans que le mérite y joue le moindre rôle. Le renversement de l'oligarchie entraîne l'établissement de la démocratie, où le peuple se voit doté d'une capacité de décision en partie directe, mais essentiellement exercée par le biais de représentants collégiaux, afin qu'un seul n'ait pas trop de pouvoir décisionnaire. La démocratie elle-même succombe à un moment pour aboutir à une ochlocratie, dans laquelle la foule manipulée et excitée par des passions et rumeurs soutient des factions en lutte pour le gouvernement. L'épuisement mental et moral causé par l'ochlocratie incite à appeler un homme providentiel destiné à remettre de l'ordre dans la politique, pour mieux aboutir à un retour de la monarchie.
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Pour Fénélon, redonner autorité à la noblesse, mais pas n'importe laquelle, était un garde-fou contre le despote, qui préférait s'appuyer sur des hommes nouveaux, de condition plus modeste. Le rang et l'ancienneté nobiliaires devinrent des obsessions, perceptibles chez Fénélon mais encore plus chez Saint-Simon, allant jusqu'à se montrer parfois antithétiques. Si Fénélon n'appréciait pas le maréchal de Villars pour son caractère, Saint-Simon lui reprochait également d'avoir été élevé au duché-pairie comme lui, d'avoir été revêtu du Saint-Esprit comme lui, alors que sa famille ne fut anoblie qu'à la fin du règne d'Henri III. Saint-Simon revendiquait une ascendance (bien qu'en ligne féminine) remontant aux comtes de Vermandois, eux-mêmes issus de Charlemagne. Comment un duc-pair plus récent, issu selon lui d'un « greffier de Condrieu », pouvait-il être revêtu d'honneurs similaires, voire supérieurs ?
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L’oisiveté représentait un danger. Louis-Antoine Caraccioline dit rien d'autre dans son roman moraliste Les Derniers Adieux de la maréchale de *** à ses enfants (1769), dans lequel il lance un appel à la jeune noblesse d'épée :
Vous êtes les descendants d'une multitude d'aïeux que la Patrie compte au nombre de ses héros : leur sang ne circula dans leurs veines que pour se répandre et pour guérir les maux que l'ennemi faisait à l’État. C'est à ce prix qu'ils acquirent la noblesse dont vous jouissiez, et dont vous ne pouvez vous prévaloir qu'autant que vous les imiterez. On perd sa noblesse aux yeux de la raison et de la probité, quand on ne s'en sert que pour vivre dans le faste et dans la mollesse, que pour se donner des airs de hauteur et de fierté.
p.87
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Vidéo de  Fadi El Hage
Cercle Aristote - 1 nov. 2019 Conférence Fadi El Hage : La décadence des élites Facteur de Révolution
L'historien Fadi El Hage nous livre le contenu de ses recherches sur la fin de l'Ancien Régime et les prémices de la Révolution issu de son ouvrage paru aux éditions Passé composé. La conférence est introduite par Laurent Henninger.
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