Il est des rencontres avec un livre qui marquent votre histoire, qui façonnent votre esprit. Un livre dont chaque histoire, chaque mot s'est imprimé dans votre patrimoine génétique, dans chaque cellule de votre fonctionnement cérébral. Pour moi, ce livre, c'est l'histoire de Jean Valjean, ce formidable récit de Hugo qui m'a marqué pour la vie avec son formidable roman : Les Misérables.
C'est aussi à la même pèriode de ma vie, en plein coeur de mon adolescence qu'un poète me délivra les clés d'une forme de poésie à laquelle je suis resté fidèle: le surréalisme et l'engagement politique de ce rêveur me feraient aimer plus sûrement la poésie que n'importe quel de mes anciens profs de français!
Un peu plus tard, je découvris la véritable histoire de Jules Bonnot, qui, avec une bande d'anarchistes, sema la terreur à la suite de hold-ups sanglants en Belgique et dans le nord de la France.
Allez, je vous glisse une dernière anecdote : l'histoire des Apaches, mais pas ceux d'Amérique, non, ceux de "Paname", une bande de gamins pas très recommandables qui écumaient les quartiers réputés "difficiles"de la Capitale au début du 20è siècle! Vous connaissez peut-être l'histoire de "
Casque d'Or" immortalisée par Jacques Becker et la magnifique valse de Signoret/Reggiani! Nous y sommes! La belle Amélie faisait partie de ces Apaches!
Oh là, jph86, tu nous raconte ta vie, là!! Quel rapport avec l'enragé?
Eh bien voilà, nous y sommes : ce formidable récit est à la jonction de tout ce que je viens de vous raconter!
D'abord Jules Bonneau, dit "La Teigne", un mauvais garçon qui ne s'en laisse pas conter dans cette fameuse colonie qui s'occupe des enfants rejetés par la France. Cette colonie n'a rien d'un centre de vacances et n'est rien d'autre qu'un bagne pour enfants dans lequel tous les méfaits sont commis par des gardiens tortionnaires et sadiques, dans le cadre rigide d'un réglement répressif et violent et où pas un des jeunes pensionnaires dont le seul crime a été de ne pas être désiré, voulu, aimé par une famille, ni même aucun être humain, n'échappe aux traitements inhumains commis dans son enceinte!
Alors
Sorj Chalandon va nous raconter avec ses mots, son histoire, ce qu'il s'est réellement passé en 1934 à "Belle-île-en-mer" en Bretagne, cette évasion d'un groupe d'enfants de ce fameux bagne qui a vraiment existé, tous chassés comme de la racaille par les braves gens qui habitaient l'île ou de simples touristes en goguette, pour une pièce de 20 francs!
Tous? Non, un ne sera pas rattrappé et c'est son histoire qui est reprise dans "l'enragé" par ce formidable conteur qu'est Chalandon, inspiré par sa propre histoire et son enfance de douleur face à un père violent qui ne cessait de le menacer de l'envoyer dans ce bagne!
Une histoire aussi dure ne se raconte pas avec de l'amour, de l'émotion! le ton est implacable, les anecdotes cruelles, pas de sensiblerie! Comment peut-on faire référence à autant de cruautés, de forfaits, de violence sur ces enfants coupables de vivre et traités comme les pires des brigands!!
C'est la raison pour laquelle je parlais de Hugo à qui l'auteur fait référence par le biais de Jean Valjean. Ce roman de
Sorj Chalandon que je classerai parmi les plus grands, m'a marqué, dans mon être, dans mon coeur!
A une époque où la France allait être confrontée à une des périodes les plus noires de son histoire, de bons français chassaient les enfants pour les rejeter au fond d'un bagne, certainement les mêmes qui quelques années plus tard ne trouveraient rien à redire à collaborer avec des monstres!
Je vous conseille vivement la lecture de ce livre qui m'a touché jusqu'à la dernière ligne, et même jusqu'aux remerciements qui expliquent le choix de l'auteur pour les noms de ses personnages! Coup aux tripes, Coup de coeur!
La Chasse à l'enfant
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Au-dessus de l'île
On voit des oiseaux
Tout autour de l'île
Il y a de l'eau
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Qu'est-ce que c'est que ces hurlements
Bandit ! Voyou ! Voyou ! Chenapan !
C'est la meute des honnêtes gens
Qui fait la chasse à l'enfant
Il avait dit "J'en ai assez de la maison de redressement"
Et les gardiens, à coup de clefs, lui avaient brisé les dents
Et puis, ils l'avaient laissé étendu sur le ciment
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Maintenant, il s'est sauvé
Et comme une bête traquée
Il galope dans la nuit
Et tous galopent après lui
Les gendarmes, les touristes, les rentiers, les artistes
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
C'est la meute des honnêtes gens
Qui fait la chasse à l'enfant
Pour chasser l'enfant, pas besoin de permis
Tous les braves gens s'y sont mis
Qui est-ce qui nage dans la nuit ?
Quels sont ces éclairs, ces bruits ?
C'est un enfant qui s'enfuit
On tire sur lui à coups de fusil
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Tous ces messieurs sur le rivage
Sont bredouilles et verts de rage
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Rejoindras-tu le continent ? Rejoindras-tu le continent ?
Au-dessus de l'île
On voit des oiseaux
Tout autour de l'île
Il y a de l'eau
Jacques Prévert