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Citations sur Mon traître (171)

Nous étions au début de la nuit. Les bières revenaient encore et encore. Mes yeux brûlaient de leurs cigarettes. J'étais ivre. Le choc des pintes. Le rire de Jim et tous les rires autour. L'éclat brut des voix, le tumulte en vagues qui bousculait les tables. Le regard de Cathy, qui cherchait son reflet dans son verre levé. Et puis cette musique.
- Une chanson rebelle, m'a soufflé Jim.
J'ai tourné la tête vers la scène.
O, then tell me, Shawn O'Farrell, where the gath'rin is to be ?
Je me souviens d'avoir fermé les yeux. J'avais mon verre en main, et deux verres pleins encore, sur la table mouillée.
Les musiciens chantaient la guerre.
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La première fois que j'ai vu mon traître, il m'a appris à pisser. C'était à Belfast, au Thomas Ashe, un club réservé aux anciens prisonniers républicains. J'étais près de la porte, à côté de la grande cheminée, assis à une table couverte de verres vides et de bouteilles mortes. C'était la place préférée de Jim et de Cathy O'Leary, qui m'ouvraient un lit quand je venais en Irlande du Nord. Jim O'Leary était un ami. Il avait fait de la prison pour transport d'armes. Il était menuisier mais catholique. Et donc chômeur, comme sa femme. Et il a été chômeur jusqu'à la fin.
La première fois que j'ai vu mon traître, c'était ce soir-là, le samedi 9 avril 1977, en compagnie de Cathy et Jim O'Leary. Jim revenait du comptoir, trois pintes de bière serrées dans ses grosses mains. Une bière amère, noire, lourde comme un repas d'hiver, avec une mousse ocre et douceâtre qui retourne le cœur. Il a posé les verres devant moi. Il plaisantait avec un homme, levé à une table voisine. Au Thomas Ashe, Jim connaissait tout le monde. Une petite foule qui vivait entre liberté et captivité, qui avait sa place aux tables à bières, et puis ses habitudes derrière les barbelés. Cette veille de Pâques, j'avais bu depuis le milieu de l'après-midi. Un verre ici, un autre là, en attendant que Jim ait fini ses missions. Il m'avait emmené au Rock Bar, au Busy Bee, ailleurs encore protégé par un guetteur de rue, un détour par cette impasse, un rendez-vous dans ce parc, une poignée de main au père Mullan, trois mots en gaélique murmurés à hauteur d'un passant, un billet à glisser, une intrigue entre deux portes. Et moi je suivais Jim. Je n'étais d'aucun secret, d'aucune confidence. Je regardais à peine. Je n'ai jamais posé de question. J'étais juste fier de marcher avec lui, le long des rues inquiètes, avec ces gens qui le saluaient. J'étais fier parce qu'ils me remarquaient à ses côtés. Ils retenaient mon visage, et Antoine, mon prénom.
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J'ai décidé que la Guinness serait mon eau de vie. J'ai eu du mal, d'abord. Cette amertume, ce goût de lourd, de terre et de brûlé. L'onctueux de sa crème, la pinte interminable.
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"Si tu jettes une pierre à travers la vitre d'un pub, tu blesses deux poètes et trois musiciens", dit le proverbe irlandais.
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En lisant le titre, on est déjà pris par l'histoire. Sorj Chalandon est très habile car on referme le livre sans vraiment savoir les motivations du traître et c'est là toute la force de réçit. Un livre comme on en lit tous les 3 ans et qui vous remue vraiment.
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Jamais. Plus jamais je n’accepterai qu’un homme mime une grève de la faim. Ou alors qu’il la fasse, vraiment, parce que l’injustice en face est mortelle, et qu’il a tout tenté et qu’il n’a plus de choix. Et alors qu’il souffre, jour à jour, que ses lèvres saignent, que sa peau cède, que ses os percent, que ses larmes sèchent et que ses yeux se ferment. Qu’il la fasse jusqu’à ce qu’il triomphe ou jusqu’à ce qu’il meure. Ou alors qu’il se taise. Que jamais il n’ose, jamais.
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Jim écoutait Cathy me parler de Denis. Il avait un autre visage. Elle avait un autre visage aussi. Quelque chose de plomb dans les yeux, dans le front, dans la voix, même. Une dureté infinie. Ces visages, j’apprendrais à les connaître, d’année en année et de colères en drames. Je les verrai partout. Je les reconnaîtrais. Devant moi, chaque irlandais portera un jour ce masque de guerre.
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La guerre est sale. Sale. Ne parle jamais de guerre propre. N'en parle jamais, ni ici ni nulle part ailleurs, parce que demain, peut-être, nous te ferons mentir. J'ai regardé Tyrone. Il a allumé une cigarette et m'a fait un signe de l'oeil. Son regard d'ami. Et puis il s'est tourné vers la fenêtre en observant la pluie. Cela faisait deux ans qu'il trahissait les siens.
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Jamais. Plus jamais je n’accepterai qu’un homme mime une grève de la faim. Ou alors qu’il la fasse, vraiment, parce que l’injustice en face est mortelle, et qu’il a tout tenté et qu’il n’a plus de choix.
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Nous étions au début de la nuit. Les bières revenaient encore et encore. Mes yeux brûlaient de leurs cigarettes. J'étais ivre. Le choc des pintes. Le rire de Jim et tous les rires autour. L'éclat brut des voix, le tumulte en vagues qui bousculait les tables. Le regard de Cathy, qui cherchait son reflet dans son verre levé. Et puis cette musique.
- Une chanson rebelle, m'a soufflé Jim.
j'ai tourné la tête vers la scène.
O, then tell me, Shawn O'Farrell, where the gath'rin is to be ?
Je me souviens d'avoir fermé les yeux. J'avais mon verre en main, et deux verres pleins encore, sur la table mouillée.
Les musiciens chantaient la guerre.
A mes débuts d'Irlande, je ne maîtrisais pas la langue de ce pays. Lorsque c'était l'accent champêtre, rugueux, pierreux du Kerry ou boueux du Donegal, je ne comprenais rien du tout. Je laissais les mots anglais sonder ma mémoire scolaire. Je capturais une phrase, un son, pas grand-chose.. Les musiciens chantaient la guerre. Une chanson rebelle, avait dit Jim. Mais qui parlait de quoi? Je ne savais pas. Tout m'échappait. Simplement, j'écoutais la douleur du violon et les notes en sanglots. Longtemps, je n'ai retenu des paroles irlandaises que leur harmonie, leur couleur, leur effet sur mes voisins de table. Plus tard, bien après, à les entendre, et encore, et encore, je finirai par donner un sens à ces lamentations. Celles qui pleurent la Grande Famine, celles qui célèbrent la grande insurrection de 1916, celles qui racontent la guerre d'indépendance, ou le martyre des grévistes de la faim.
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