Chérif, architecte, 38 ans et May, historienne, 33 ans, décident de quitter Paris où ils vivent heureux avec leur fils, alors que May est enceinte de 3 mois, pour rentrer au Maroc, et plus précisément à Casablanca, afin que leurs enfants connaissent leur famille, leurs racines, leur histoire.
Alors que tous deux étaient pétris d'idées de justice sociale, en osmose, un fossé se crée entre eux car Chérif travaille sur un projet de relogement ("recasement"!!!) des habitants d'un bidonville en plein centre de Casablanca, appelé à être détruit; ceux-ci bénéficieraient de logements neufs, salubres mais loin du centre-ville, sans moyen de transport, ni travail. May décide alors de rencontrer les habitants et d'écrire un livre sur eux afin que la mémoire de ces lieux et de ceux qui y vivent soit préservée; elle s'oppose à son mari car elle constate quel arrachement, déracinement ce serait pour la majorité d'entre eux.
J'ai eu du mal à rentrer dans ce roman où les thèmes sociologiques et féministes sont plus importants que la fiction car l'auteure se lance, en premier lieu, dans des descriptions assez détaillées de Casablanca qui signifient peu pour quelqu'un qui ne connaît pas la ville. En revanche,
Yasmine Chami-Kettani m'a embarquée lorsqu'elle critique la société patriarcale marocaine où le paraître, le statut social, la fortune sont des marqueurs sociaux essentiels, où l'homme n'est considéré comme tel que s'il est en mesure de protéger sa famille et de lui assurer une vie luxueuse, où la femme a pour rôle de soutenir son mari, de s'effacer derrière lui. Ces caractéristiques sociétales se retrouvent dans le couple May-Chérif, dont le retour s'avère difficile pour le couple, May refusant de n'être définie que par rapport à son mari. Ce sont deux conceptions de vie qui s'affrontent.
L'architecture, comme vecteur social, est un thème important du livre; l'architecture doit être un moyen de transformer les hommes en leur permettant de s'approprier l'espace dont ils ne se sentiraient plus rejetés.
Autre thème central, la place des femmes dans la société marocaine où une jeune fille enceinte hors mariage est un déshonneur tel pour une famille qu'elle se retrouve à la rue sans rien, son enfant illégitime n'ayant aucune existence légale, où une femme n'existe qu'à travers son mari même si elle travaille et qu'elle est éduquée, où la famille élargie, omniprésente peut être ressentie comme une prison pour une fille qui souhaite échapper aux schémas traditionnels.
La double narration, celle d'un narrateur extérieur et celle de May lorsqu'elle s'adresse, dans un journal qu'elle tient, à sa fille à naître, à la première personne, offre deux styles d'écriture différents : le premier est descriptif, factuel alors que le deuxième est intime, plein d'émotion et d'amour, parfois lyrique.
Merci à Babelio et aux éditions
Actes Sud pour cette découverte que je n'aurais probablement pas faite seule.