C'est une copinaute qui m'avait intriguée en parlant de ce livre sur un forum, je l'ai acheté bien rapidement sur sa recommandation… mais il a fallu attendre qu'un défi dans un challenge me demande explicitement de lire un livre avec un personnage principal porteur de handicap pour que je m'y mettre réellement ! Et, très franchement, malgré les notes dithyrambiques que ce livre a récoltées, pour moi ce n'est pas un coup de coeur. Certes c'est une belle histoire, certes c'est plein d'émotions, mais si ces éléments suffisent à faire un (très) bon livre, alors un grand paquet de romances, par exemple, pourraient prétendre au même succès, or ce n'est pas le cas ! Alors, certes, ça parle de handicap (certaines des romances auxquelles je pense, aussi…), d'acceptation de l'autre qui est « différent », un thème très à la mode – et c'est une bonne chose ! mais vraiment, est-ce pour cette seule raison qu'on peut dire d'un livre qu'il est si bon ? Qu'est-ce qui a donc tant plu/ému dans ce livre ? (et pourquoi, moi, suis-je à peu près passée à côté ?)
Petite précision pour les curieux, pour ceux qui s'étonneraient de mon avis pas tout à fait enthousiaste, il faut savoir que, la trisomie et moi, c'est une vieille histoire… J'ai un cousin trisomique, tellement profondément handicapé que, aujourd'hui à plus de 50 ans, il n'a jamais pu dire « maman », il parle à peine… Quand j'étais petite, il me faisait peur. Il vit désormais en institution, et passe ses week-ends en « relais » chez ses 4 frères et soeurs – qui ont eu quant à eux une enfance « normale », bien loin de certains des clichés véhiculés dans ce livre. Et puis, aussi, j'ai porté un bébé atteint de trisomie… on se pose alors tant et tant de questions ! et on se renseigne, quand la tête dit qu'il faut prendre une décision radicale, sachant qu'il y a déjà 3 enfants « sains » à la maison, dont un encore en très bas âge à l'époque, mais que le coeur continue d'espérer une vie avec quatre enfants, malgré tout. Et puis son coeur s'est arrêté de battre au 4e mois de grossesse… mais il était tellement bien accroché qu'il aura fallu deux interventions chirurgicales pour que mon corps guérisse de la perte de cette petite étoile. Ce bébé aura laissé des traces en moi, bien plus qu'un gentil livre. Pour toujours.
D'abord, le synopsis est accrocheur mais quelque peu mensonger. Cette histoire de majorettes, qui a l'air tellement centrale et qui fait vendre (waouh ! le handicap et les majorettes : ça va être génial, non ?) n'apparaît qu'après plus du premier quart du livre ! Ce n'est jamais amené, jamais même évoqué, dans ces (longues) pages d'introduction, même Annie n'en parle pas ! Et tout à coup ça sort du chapeau de l'autrice, mais même à ce moment-là on ne voit pas cette « passion » annoncée par le quatrième de couverture : oui Annie s'y plaît, oui elle y a des amis et y rencontre des gens moins sympathiques… mais comme un peu partout où elle a l'une ou l'autre activité au final, ce n'est pas vraiment transcendant.
Mais justement, revenons à ce premier quart du livre…
L'histoire nous est présentée en alternance à trois voix : celle d'Harold, 18 ans, le frère aîné d'Annie, en complet décrochage scolaire mais bon cuisinier ; celle de Velma, 15 ans, ado mal dans sa peau mais passionnée par l'art ; et Annie bien sûr, 16 ans trois quarts, trisomique. Et d'emblée, on s'intéresse à ces personnages, on ressent une première forme d'émotion, mais ce n'est pas de l'attachement.
Harold par exemple, pour quelqu'un qui prétend qu'il sait à peine lire (et on sait, malheureusement, que ça existe, ces jeunes qui sont arrivés jusqu'en terminale en passant à travers les mailles du filet, mais qui sont restés à la limite de l'illettrisme), il a quand même un vachement bon niveau de français à l'écrit, utilise à peine quelques expressions « de jeune » alors qu'il a une mentalité qui, à mon sens, ne « rend » pas ses 18 ans, il a l'air à peine pubère par moments ! Je ne dis pas que l'autrice aurait dû retranscrire les mots de quelqu'un qui ne sait pas former 3 lettres, et fait autant de fautes à chaque mot ! mais en l'état, ce personnage n'est pas cohérent. En outre, il présente d'emblée une surenchère de problèmes… et là on n'est qu'au tout début (mais je ne dirai pas plus, ce serait du spoil !). L'autrice laisse entendre que tout ça, c'est « à cause de » Annie – avec toutes les réserves de mise : mon interprétation première était que les parents, tellement accaparés par Annie, ne voient pas leurs deux autres enfants ; la copinaute citée plus haut, voyait plutôt là le fait qu'Harold comme Velma auraient spontanément minimisé, caché même leurs problèmes, pour ne pas peser davantage sur leurs parents, qui ont déjà bien assez à faire avec Annie… La vérité se situe sans doute quelque part entre les deux façons d'approcher le personnage d'Harold ?
En parlant d'effacement… Velma en est l'image, et je dois dire qu'elle m'a beaucoup plus convaincue que son frère (même si je ne me suis pas vraiment attachée à elle non plus) ! le détail est poussé jusque dans la typographie : quand c'est Velma qui s'exprime, les caractères sont plus petits, et dans une police toute serrée, qui accentue cet effet « je suis là mais on ne me voit pas ». Quoi qu'il en soit, elle apparaît bien davantage comme une ado de son temps, particulièrement discrète et effacée ; elle a bien l'air d'en souffrir (un peu) et se réfugie dans le dessin… ce qui ne m'a pas choquée, ce n'est pas propre à une adolescente-soeur-d'une-trisomique, j'ai moi-même été cette ado (sauf que le dessin… euh, non ! pour moi c'étaient les mots : lecture et écriture).
On l'a compris : les parents sont présentés comme le stéréotype de la famille BCBG un peu coincée, qui fait tout ce qu'il faut pour l'enfant handicapée, et qui parle du bonheur de l'avoir parce que ça se fait, mais qui au fond n'y a jamais vraiment cru… le père seul continue de travailler, on ne sait pas trop dans quoi mais peu importe ; c'est le pater familias avec des idées arrêtées, notamment sur l'avenir des enfants – les deux « normaux » doivent briller à l'école et passer le bac pour ensuite faire de hautes études. Malgré le fait que sa vie ait été bouleversée par un enfant différent, il semble n'avoir jamais rien remis en question par ailleurs – est-ce bien réaliste ? La mère quant à elle, est l'image de la femme-sacrifice, qui a tout arrêté (en l'occurrence : une brillante carrière d'architecte) pour se consacrer à temps plein à sa fille différente. Elle ne se plaint jamais, pète de temps en temps un câble, adore ses enfants mais est tellement accaparée par Annie qu'elle semble ne même pas « voir » les deux autres. Alors, là encore : oui c'est sans doute réaliste, mais à ce point ?? J'ai le sentiment que l'autrice a poussé le cliché à l'extrême, comme si une famille dont un enfant est « différent » ne pouvait être que dysfonctionnelle derrière une façade de « tout va bien », et vraiment ça m'a désolée, ça donne une image faussée des choses, très stéréotypée !
Dans la famille d'Annie, clairement il ne fait pas bon vivre, on parle beaucoup d'amour mais on ne le sent pas ; tout est tellement exagéré dans le cliché que ça devient gênant.
Heureusement, il y a au moins quelques personnages qui sauvent l'ensemble.
Bien sûr, il y a Annie, « au milieu »… Avec elle, on est dans le vrai, dans l'authentique, dans le réaliste mais gentiment. L'autrice lui donne la parole un peu à la façon d'un flux de pensées, sans trop tenir compte des convenances de la syntaxe, cependant ça reste tout à fait lisible – l'exercice n'était pourtant pas évident, là je dis bravo ! En outre, je pense que le personnage d'Annie est tout à fait plausible, avec un degré dans son handicap qui la rend juste assez acceptable pour sa famille, mais juste pas assez pour l'extérieur… En mots un peu crus peut-être : ce n'est pas elle qui aurait brillé dans « le huitième jour », mais elle ne doit pas non plus être placée en institution, elle a même un petit emploi et elle a appris à lire un minimum ! C'est une personnage extrêmement attachante, touchante. Ses émotions sont directes et elle les transmet de façon très vraie ; ce personnage sonne juste, tout simplement !
À côté de ces trois personnages principaux, et leurs parents que j'ai mis sur le même pied même s'ils n'ont pas le droit à la parole, on a toute une galerie de personnages secondaires forts, dont certains m'ont paru plus intéressants que les principaux, c'est dire ! Je pense en particulier à Mamie Marie-Claire, qu'on voit en soixante-huitarde qui est toujours restée à cette époque, qui se fout des conventions et des bien-pensants – l'exacte opposée de sa fille Solange, la mère-sacrifice du trio narrateur. On passera la surenchère, niveau problèmes cumulés dans cette famille, qu'on attache à cette Mamie Marie-Claire en plus des soucis scolaires (et autres) d'Harold et de l'invisibilité de Velma - comme s'il y avait vraiment besoin d'ajouter encore une couche dans les malheurs !? ; on retiendra en revanche le petit côté déjanté qu'elle apporte, le peps aussi, et au final c'est sans doute l'un de mes personnages préférés !
Ainsi, de façon générale, je quitte ce livre avec un sentiment mitigé. Il est plutôt bon, et certains passages sont réellement touchants ou émouvants, d'ailleurs j'ai même versé une petite larme ici ou là. le personnage d'Annie est excellent et très bien présenté, sans parler de l'immense mérite qu'il a eu d'oser mettre un scène une jeune fille porteuse de handicap, qui n'en reste pas moins avant tout une jeune-fille-tout-court, avec ses rêves, ses craintes, ses amours – et cet aspect est rendu de façon tout à fait remarquable.
En revanche, l'entourage familial d'Annie pêche de façon excessive par son côté dysfonctionnel qui ne se voit pas trop mais qui pèse sans cesse sur l'ensemble. On vit ensemble sans se parler, le handicap a pris toute la place, ou bien les différents membres de cette famille lui ont laissé toute la place, mais en tout cas l'approche paraît artificielle et très stéréotypée, avec une surenchère de problématiques diverses et variées, qui à mon sens n'ajoutent rien à l'histoire d'Annie ! C'est très dommage, car ça donne un résultat à trois voix où une seule semble vraiment fonctionner…
Quant à cette affaire de majorettes, elle est certes bien sympathique mais c'est surtout une histoire-prétexte qui va servir à exacerber les tensions avant de les débloquer, au moins en partie, mais elle est bien moins centrale que ne laissait espérer le synopsis, et clairement on n'est pas dans une « ambiance majorettes », mais dans une ambiance familiale qui apprend à se connaître… sauf qu'on n'y croit pas tout à fait.
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