Aussi immédiatement reconnaissable que celle de
Laurent Gaudé, l'écriture d'
Antoine Choplin s'identifie dès les premières lignes de chaque nouveau texte de cet écrivain, par ce curieux mélange de sobriété et de précision, qui invite le lecteur à lire entre les lignes, à deviner ce qui se cache dans les silences de la prose, à pénétrer toujours plus loin à la recherche des mystères cachés dans ces romans d'atmosphère. Et si, de ce point de vue-là,
Partie italienne n'est peut-être pas le meilleur de ses livres, on y retrouve cependant cet art raffiné du lent dévoilement du sens profond de la fable, cette manière délicate avec laquelle, du
Radeau (
La Fosse aux ours, 2003) à
Partiellement nuageux (la Fosse aux ours, 2019), il défend à travers ses histoires les valeurs de l'art et de la science contre toutes les violences et les obscurantismes.
Gaspar s'est inventé un univers artistique bien particulier, un petit peuple de bonshommes modelés qu'en compagnie d'une amie il s'est mis à disséminer aux quatre coins de Paris, avant d'envisager d'observer et photographier leur dégradation à intervalles réguliers pour en faire une performance vidéo sous le titre de Même pas mort. Il a ainsi conquis reconnaissance et célébrité, s'attirant des commandes et des propositions de conférences sur l'art brut. Cependant, après une scène énigmatique qui ouvre le récit – et dont on comprendra la signification à son terme-, nous le rencontrons à Rome, où las de l'agitation qui règne autour de lui et lui attire de constantes sollicitations, il essaye de retrouver la paix, s'installant régulièrement à une terrasse de café Campo dei Fiori pour y jouer aux échecs avec les passants volontaires… Un jour, une femme s'installe à sa table et se met à jouer contre lui, révélant une belle maîtrise du jeu, jusqu'à finir par le battre régulièrement. Peu à peu, la relation devient complicité, les parties d'échecs se prolongent en longues promenades dans les rues de Rome, et Marya évoque sa propre vie, sa nationalité hongroise et ses talents d'oenologue, l'enquête qu'elle mène pour retrouver les traces de son grand-père, mort en déportation dans un camp allemand à la fin de la seconde guerre mondiale. Une enquête qui traverse aussi un échiquier, une enquête à laquelle bientôt Gaspar, fuyant les appels téléphoniques d'une assistante qui s'inquiète de sa longue absence, s'associe, tandis que les deux nouveaux amis deviennent amants, une enquête à l'ombre généreuse d'une statue de
Giordano Bruno...
Sous l'égide de ce héros de la science et de la pensée humaniste, torturé et condamné au bûcher en son temps, parce que ses idées dérangeaient, à travers l'histoire contemporaine de deux esprits plus modestes, mais unis par une même quête de liberté intellectuelle,
Antoine Choplin propose ainsi un apologue à la gloire des forces de l'esprit, qu'elles s'exercent sur un échiquier, un problème mathématique, une sculpture ou la qualité d'un bon vin, des forces de résistance face à tout ce qui menace la dignité de notre humanité. Faut-il ajouter que les pages où s'épanouit l'amour des deux protagonistes sont parmi les plus belles de cette rentrée littéraire pour vous convaincre d'entrer sans réticence dans ce roman ?