Le pitch, comme on dit: Une mère marocaine s'émancipe, portée par l'amour de ses fils.
Les dernières pages du roman font pourtant douter du programme... Qu' elle s'émancipe comme femme, peut-être. Mais les hommes qui l'entourent ne lui laissent pas oublier qu'elle est mère à jamais: alors qu'elle décide de larguer les amarres pour découvrir le monde, elle s'aperçoit que son fils s'est invité dans ses bagages et a bien l'intention de lui servir de chaperon.
Chraïbi veut nous vendre ça pour de l'amour filial.
C'est une façon de voir les choses.
En réalité, je n'ai pas attendu les dernières pages du roman pour m'agacer. J'aime les personnages, pas les symboles.
J'ai donc beaucoup aimé la femme décrite dans les 50 premières pages, celle qui tond les moutons avec plus d'empirisme que de compétence, celle qui apprivoise les fers à repasser et se plaint que son fils la salue en français.
Mais ensuite, le roman vire à l'apologue. le personnage s'éclipse et ne reste que le porte-drapeau-de-l'émancipation-de-la-femme-nord-africaine. Nettement moins chaleureuse, beaucoup plus convenue... Et sous la fantaisie, voilà que pointe -hélas!- l'allégorie.
Un exemple parmi beaucoup d'autres: l'héroïne entreprend de tracer la carte du monde pacifique et, petit à petit, elle découpe tous les territoires belliqueux jusqu'à ne plus rien posséder que le pôle sud.
C'est typiquement le genre de scène qui me fait grimper aux rideaux. de quoi veut-on me convaincre? Que la guerre c'est mal? Des fois que l'information ne me serait pas encore parvenue?
Je ne pense pas qu'une femme de chair et d'os se soit jamais amusée à un tel jeu et si l'épisode est vrai, alors l'auteur n'a rien fait pour le rendre vraisemblable.
Et puis c'est une vieille règle connue au moins depuis "Candide": si c'est un apologue qu'on veut écrire et non pas un roman, il faut qu'il soit sec comme un coup de trique et renonce au pathos.
Mais c'est de ma faute. J'aurais dû savoir qu'un livre avec majuscule à Civilisation et majuscule à Mère allait me tomber des mains.