"- Aïe-aï-ïaille ! Ouillouilouille !" p.82*2 C'est par cette belle formule empruntée au banquier Abou Reg Reg que je me dois de commencer. Parce que Uno, il ne faut jamais hésiter à emprunter une bonne formule, surtout à son banquier, aux taux actuels, même si ce n'est pas pour acheter l'auto mentionnée. Parce que Deuxio je suis comme lui, Abou, d'avoir couru pendant les neufs dixièmes au moins de ce bouquin après cet inspecteur Ali, qui fraye avec un peu n'importe qui, Mikhail Gorbatchev, Saddam Hussein, et prétend connaître George Bush, mais qui m'évite. Absolument, c'est mon ressenti. On m'en promet monts et merveilles dans Ali coïte au Koweït. p.82 (je n'invente rien, moi). Je ne suis pas prêt de le lire celui-là ! J'interromps tout, Reg Reg, je suis essouflé. Parce que Tertio un policier, cela ? Pas de morts ? Même pas un voleur, hormis l'auteur ? J'en reste baba. Ronron pour ceux qui n'auraient pas compris et préfèrent le Chat. D'accord, il y a détournement, oui mais n'empêche, je me sens spoïlé. Puisque c'est comme cela, je vais le faire aussi, pour la toute première fois, pour votre bien.
Voilà je vais dérouler tous les éléments devant vos yeux ébahis comme lorsque vous vous êtes laissés embarquer chez un marchand de tapis. "- Aïe-aï-ïaille ! Ouillouilouille !" p.82*2
- C'est au Maroc, le téléphone vient d'être installé (ça commence fort) chez B. O'Rourke écrivain (oui c'est pas le même apparemment) dont on apprendra de la bouche du narrateur Brahim Orourke (là c'est le même que l'écrivain qui a un nom d'auteur dans le bouquin) qu'il pense en arabe et en berbère pour finalement écrire en français (beaucoup de lecteurs se laissent distraire par ce détail et n'ont du coup plus aucune chance ni de trouver Ali, ni de jouir du moment présent.)
- Il y a des phrases en anglais, certaines traduites d'autres pas, une phrase en allemand, non traduite, une belle phrase en latin p.164 , non traduite comme chez Umberto Eco. Je le mentionne car je sais que certains n'aiment pas. A mon avis, ils ont tort, cela fait partie de l'ouverture d'esprit et du voyage.
- Il y a aussi une blague sur le Coran, et une ou l'autre réflexion sur la religion musulmane qui demandent aussi à être interprétées. Je le mentionne pour les mêmes raisons.
- A défaut de vivre une aventure policière de l'inspecteur Ali, le narrateur nous présente toute sa famille, y compris ses beaux-parents écossais (rassurez-vous ils ne vendent ni tissu, ni tapis) et des scènes de la vie de tous les jours à El-Jadida.
- Brahim nous raconte sa vie, les conférences qu'il donne, les succés littéraires d'Ali, les réceptions dans la haute société marocaine (bref il se la pète), il disgresse sur la littérature avec beaucoup d'autodérision (moi j'aime énormément, mais j'en connais qui sont complètement allergiques et n'apprécient que la raillerie), ici c'est plutôt du sucre très fin (je dévoile mais cela reste impalpable) et il nous décrit des scènes empreintes (le policier se cache partout) de grande gaité avec ses enfants (là c'est plein de vie et très spontané, j'ai adoré) ou de grande tendresse avec sa femme (et vivre sans tendresse, non non non on ne le pourrait pas).
- Et puis, il y a la fin magique, annoncée par un clin d'œil d'Ali. Certains écrivains soignent particulièrement le début de leur livre, c'est tout à l'honneur de Driss Chraïbi, de terminer sur une note vibrante, qui emportera le lecteur encore longtemps après refermé la dernière page.
Et maintenant le vote du jury :
1 étoile pour le climat marocain, si agréable et bien rendu, je suis vraiment parti en voyage
1 étoile pour l'humour qui jailli parfois de façon très abrupte, (je me mords les lèvres pour ne rien dire à vous de trouver la scène p.158) ou qui parfois apparait aussi léger que le voile de la brume matinale (rien avoir avec celui de cette critique qui met en évidence l'importance du détournement)
1 étoile pour Tarik si vif, si espiègle et son frère Yassin plus responsable tous les deux tellement vivants
1 étoile pour remercier Ambage qui m'a conseillé de lire l'autobiographie de Driss Chraïbi La porte à côté et à qui j'avais expliqué préférer commencer par un roman, j'en ri encore de finalement m'être retrouvé avec une autre autobiographie d'auteur
Alors puisque cet inspecteur Ali est un énorme détournement et que je suis tombé médusé sur une artiste pratiquant, sur ce site, cette spécialité bien belge depuis René Magritte, Raymond Devos, Jean-Pierre Verheggen, Philippe Gelluk, Bruno Coppens et tant d'autres, je lui fais, à mon tour, un petit clin d'œil et lui recommande Les Folies-Belgères (1 critique, 1 citation). Voilà qui tissera un lien entre nous http://www.babelio.com/livres/Verheggen-Les-Folies-Belgeres/440693/critiques/818064
Pour ceux qui préfèrent des analyses plus précises, fouillées, détaillées, j'ai aussi deux liens pour aller à la recherche de l'inspecteur Ali.
http://www.limag.refer.org/Textes/Iti27/Dejean.htm
https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00984272/document
Enfin pour ceux qui préfèrent les quizz : ils peuvent compter combien de fois 82 se cache dans cette critique, mais franchement il vaut mieux enquêter par vous-même sur l'inspecteur Ali.
Alors dis, il est pas beau mon tapis ? Et pas cher, tu sais.
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La chasse d'eau donnait des signes de sénilité - l'un de ces mastodontes en fonte qui avaient survécu aux deux guerres mondiales et à la décolonisation. ou bien elle se remplissait sans se faire prier, comme ses congénères des cafés maures. Ou bien elle était à sec, pas une goutte. Parfois elle débordait sans crier gare. Je la connaissait de longue date, la traitais avec ménagement, eu égard à ses fuites incontinentes de vieille dame très âgée.
- J'avais déjà ce service à thé il y a vingt ans, lança son épouse.
C'était une femme très jolie, destinée à être vue, mais pas entendue.
Un attaché d'ambassade m'avait présenté au ministre. Ce dernier c'était gratté la tête, pensivement.
- Brahim Orouke ? Ca me dit quelque chose. Il peint ?
Je lui avais répondu en marocain. Voici la traduction les gutturales en moins :
- Non, mon frère. C'est pas moi. Moi, j'ai une petite charrette et un âne. Je vends des cacahuètes dans la médina...
Question : As-tu autant voyagé que ton héros et es-tu aussi polyglotte que lui ? L'inspecteur Ali fait honneur à notre pays, à la différence des détectives chauvins comme Sherlock Holmes ou Philip Marlowe qui ne parlaient que leur langue.
Réponse : Non aux deux questions.
Question : Mais alors comment fais-tu pour...
Réponse : J'invente. C'est mon métier.
Élevons le débat, voulez-vous ? Lorsque l'auteur parle, c'est l'homme qui tient un discours, non l'écrivain. Car, et par définition (c'est une lapalissade qu'on oublie trop souvent), l'écrivain écrit. Son domaine est l'imaginaire. Et, si l'écriture est un exercice solitaire, le discours est un sport public - ainsi que cela vient à l'instant de vous être démontré. On s'exprime par l'un et, dans l'autre, on s'exhibe.
Voila ce que je voulais dire, avec toutes les voix de tous mes ancêtres qui avaient déposer dans mon sang leurs doutes et leur foi, leurs peines et leurs joies et leur légendaire patience au fil des siècles :
- L'absence a-t-elle une âme ? L'attente aiguise-t-elle cette âme, lui redonne-t-elle une présence plus lancinante que la réalité ? Toute mort ne laisse-t-elle pas derrière elle le souvenir amplifié de la vie ? C'est alors que les gestes et les paroles prennent une signification émotionnelle et assaillent, étreignent : on voudrait les entendre et les voir de nouveau, les extraire du domaine de la mémoire, les empêcher de vieillir, de rejoindre le passé. Tous sont privilégiés. Que jamais rien ne meure ! C'est alors que nait l'inspiration, à l'exacte frontière du vécu tout récent et de l'attente d'un nouveau moment privilégié. Elle a supplée la réalité, lui donne une nouvelle vie.
Driss Chraïbi au micro de José Pivin (1959 / France Culture). Production : José Pivin. Photographie : Driss Chraïbi © Stéphan Chraibi. Présentation des Nuits de France Culture : « Comment raconter son enfance au Maroc ? Driss Chraïbi, écrivain marocain de langue française, racontait au micro de José Pivin une partie de son enfance dans l'émission “Tous les plaisirs du jour sont dans la matinée”. Cet entretien a été diffusé pour la première fois le 14 novembre 1959 sur France II Régionale. L'entretien était illustré par des lectures d'extraits des œuvres de Driss Chraïbi. » Des extraits des romans de Driss Chraïbi, “L'Âne”, “Les Boucs”, “De tous les horizons” sont interprétés par Roger Coggio, François Darbon, Yves Péneau et Suzanne Michel.
Driss Chraïbi (en arabe : إدريس الشرايبي), né le 15 juillet 1926 à El Jadida, au Maroc, et mort le 1er avril 2007 à Crest, dans le département de Drôme, en France, est un écrivain marocain de langue française. Il a également participé à des émissions radiophoniques pour France Culture pour qui il a dirigé l'émission “Les Dramatiques” pendant 30 ans.
Connu pour son roman “Le Passé simple”, Driss Chraïbi aborde des thèmes variés dans son œuvre : colonialisme, racisme, condition de la femme, société de consommation, islam, Al-Andalus, Tiers monde, etc.
Il se fait connaître par ses deux premiers romans, “Le Passé simple” (1954) et “Les Boucs” (1955) d'une violence rare, et qui engendrent une grande polémique au Maroc, en lutte pour son indépendance.
“Le Passé simple” décrit la révolte d'un jeune homme entre la grande bourgeoisie marocaine et ses abus de pouvoir incarnés par son père, « le Seigneur », et la suprématie française dans un Maroc colonisé qui essentialise et restreint l'homme à ses origines. Le récit est organisé à la manière d'une réaction chimique. À travers la bataille introspective de ce roman par le protagoniste nommé Driss, le lecteur assiste à une critique vive du décalage entre l'islam idéal révélé dans le Coran et la pratique hypocrite de l'islam par la classe bourgeoise d'un Maroc des années 1950, de la condition de la femme musulmane en la personne de sa mère et de l'échec inévitable de l'intégration des Marocains dans la société française. Ce dernier point sera renforcé en 1979 dans la suite de ce livre, “Succession ouverte”, où le même protagoniste, rendu malade par la caste que représentent son statut et son identité d'immigré, se voit obligé de retourner à sa terre natale pour enterrer « le Seigneur », feu son père. C'est une critique plus douce, presque mélancolique, que propose cette fois Chraïbi, mettant en relief la nouvelle réalité française du protagoniste et la reconquête d'un Maroc quitté il y a si longtemps. “Succession ouverte” pose la question qui hantera l'écrivain jusqu'à ses derniers jours : « Cet homme était mes tenants et mes aboutissants. Aurons-nous un jour un autre avenir que notre passé ? » Question qu'il étend ensuite à l'ensemble du monde musulman.
Dans “Les Boucs”, l'auteur critique le rapport de la France avec ses immigrés, travailleurs exploités qu'il qualifie de « promus au sacrifice ». C'est le premier livre qui évoque dans un langage haché, cru, poignant, le sort fait par le pays des Lumières aux Nord-Africains.
Suivent deux romans épuisés aujourd'hui : “L'Âne”, dans le contexte des indépendances africaines, prédit avant tout le monde leur échec et les dictatures, « ce socialisme de flics ». “La Foule”, également épuisé, est une critique voilée du Général de Gaulle. Le héros est un imbécile qui arrive au pouvoir suprême, car, à son grand étonnement, la foule l'acclame dès qu'il ouvre la bouche.
Une page se tourne avec la mort de son père, Haj Fatmi Chraïbi, en 1957. L'écrivain, en exil en France, dépasse la révolte contre son père et établit un nouveau dialogue avec lui par-delà la tombe et l'océan dans “Succession ouverte”.
“La Civilisation, ma Mère!...” (1972) tente d'apporter une réponse aux interrogations de l'écrivain marocain. Le fils aide sa mère à se libérer du carcan de la société patriarcale et à trouver sa propre voie. C'est l'une des premières fois que la question de la femme est évoquée dans la littérature marocaine.
Sources : France Culture et Wikipedia
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