Citations sur Disgrâce (109)
Nous vivons une époque de puritanisme. La vie privée des uns est l'affaire de tous.
Les moutons ne s'appartiennent pas, leur vie ne leur appartient pas. Ils n'existent que pour être utilisés, totalement, jusqu'au dernier gramme, la chair pour être mangée, les os mis en poudre et donnés en pâtée à la volaille. Tout y passe, sauf peut-être la vésicule biliaire que personne ne mange. Descartes aurait du penser à ça: l'âme en suspens dans le noir, fiel amer, qui se cache.
Il continue à enseigner parce que cela lui donne de quoi vivre; et aussi parce que c'est une leçon d'humilité, cela lui fait comprendre la place qui est la sienne dans le monde. Ce qu'il y a là d'ironique ne lui échappe pas: c'est celui qui enseigne qui apprend la plus âpre des leçons, alors que ceux qui sont là pour apprendre quelque chose n'apprennent rien du tout.
Il leur a demandé de lire "Lara" ...
"Étranger ici bas parmi ceux qui respirent,
Vagabond chu d'ailleurs, monstrueuse chose,
Hantée de ténébreux fantasmes, rescapé
Par hasard des périls par lui seul suscités".
Il y a bien longtemps qu'il ne s'étonne plus de l'ignorance crasse de ses étudiants. Génération postchrétienne, posthistorique, postalphabète, il pourrait aussi bien être sorti de leur œuf hier.
Il n'attend pas d'eux qu'ils aient entendu parler des anges déchus, encore moins qu'il sache où Byron aurait pu les rencontrer dans ses lectures. Mais il attend d'eux qu'il fassent un effort pour avancer des hypothèses à discuter ensemble en classe, de façon détendue, et à partir de là, avec un peu de chance, il pourra les amener à bon port.
A son avis, qu'il se garde bien d'exprimer en public, la parole trouve son origine dans le chant, et le chant est né du besoin de remplir de sons l'âme humaine, trop vaste et plutôt vide.
p 10
Les meilleurs souvenirs qu’il a d’elle restent ceux des premiers mois où ils étaient ensemble : les nuits d’été passionnées à Durban, les draps humides de sueur, et le corps pâle et effilé de Rosalind qui se contorsionnait dans les affres du plaisir, ou de la douleur, il n’en savait trop rien. Sensuels, l’un et l’autre : c’est ce qui les a unis, pour un temps.
- Oui c'est humiliant. Mais c'est peut-être un bon point de départ pour recommencer. C'est peut-être ce que je dois apprendre à accepter. Repartir du sol. Sans rien. Sans atouts, sans armes, sans propriété, sans droits, sans dignité.
- Comme un chien.
- Oui, comme un chien.
Après un certain âge, on n’a tout simplement plus de charme, il faut s’y faire. Il ne reste qu’à serrer les dents et vivre ce qu’il reste à vivre. Faire son temps.
Merci, monsieur Lurie. Vous avez une bonne présence. Je sens que vous aimez les animaux.
– Est-ce que j’aime les animaux ? Je les mange, c’est que je dois les aimer, certains morceaux du moins.
[ à propos d'une vieille chienne abandonnée ]
- "Pauvre vieille Katy. Elle est en deuil. Personne ne veut d'elle, et elle le sait bien. L'ironie est qu'elle doit avoir des petits dans toute la région qui seraient très contents de partager leurs foyers avec elle. Mais il n'est pas en leur pouvoir de l'y convier. Ils font partie du mobilier, du système de sécurité. Ils nous font l'honneur de nous traiter comme des dieux et en retour on les traite comme des objets."