1958, Charleroi, une femme, parmi une multitude d'hommes, entre pour assister à un procès. Elle n'est pas là par hasard mais envoyée par le journal qui l'emploie. Deux ans auparavant, une catastrophe minière a fait plus de 250 morts et au milieu de celle-ci, deux gueules noires transalpines, accusées d'avoir profité du drame pour liquider un supérieur. Une opportunité pour Katarzyna de se faire un nom dans la jungle masculine.
Petite genèse de ce livre basé sur des faits réels et notamment le drame du Bois de Cazier. Il a d'abord vu le jour sous la forme d'une pièce de théâtre interprétée par des auteurs de polars et jouée à l'occasion de salons du genre. A ce titre, j'ai eu l'occasion de la voir au salon du polar de Templemars. le texte est remanié pour y introduire le personnage de la journaliste. Question de commodité, puisque tel quel le texte de la pièce ne serait pas d'un grand intérêt littéraire. Mais surtout cela permet d'avoir d'une part un regard de l'extérieur ainsi qu'une narration et d'autre part d'introduire d'autres thématiques qui viennent compléter ou renforcer celles déjà présentes.
Devant Dieu et les hommes, expression judiciaire fort à propos, dans ce qui est à l'origine un huis clos lors d'un procès. Dieu juge en détenteur des secrets qu'il est, les hommes statuent en fonction de leurs intimes convictions. Différence de taille qui introduit aussi une certaine subjectivité : un délit de sale gueule, une orientation verbale d'un des intervenants, une absence lors d'une phrase clé, et la décision bascule du mauvais côté. Ici plusieurs ingrédients sont réunis pour orienter la décision dès le départ : les accusés sont des macaronis (surnom fleuri des migrants italiens) avec une maîtrise approximative du français déjà connus pour de petits délits commis dans la Botte, le tout agrémenté de griefs envers la victime. Coupables parfaits pour une justice aveugle ? Mais voilà, dame Justice manie le glaive et la balance, enfin plutôt par le truchement de ses serviteurs prêts à argumenter pour défendre ou accuser. C'est ainsi que le lecteur est convié à une joute verbale de belle tenue entre avocat et procureur, arbitré par un président du siège intègre et ferme. L'auteur sait toutefois éviter l'écueil des romans sur un procès, il contourne les lenteurs et répétitions éventuelles par l'enquête menée par la journaliste ainsi que les interventions réflectives de l'un des accusés.
Paul Colize insère la notion de lutte des classes dans ce palais, non seulement par les pauvres bougres justiciables mais aussi par les avocats. le procureur étant un bourgeois à particule face à l'avocat défenseur de l'opprimé. Ce sera d'ailleurs mon seul bémol, par rapport à la pièce, Paul, en dressant les portraits des deux, incite le liseur à tendre plus d'un côté que de l'autre, or on ne doit juger que sur des faits et uniquement des faits comme il le rappelle d'ailleurs en début d'ouvrage.
Le bouquin permet aussi d'appréhender la vie de mineur, un peu à la manière d'un
Zola mais avec les quelques évolutions techniques de ce milieu du 20ème siècle. S'ajoute à cela la notion de migration volontaire ou non et surtout les conditions d'accueil de cette population, main d'oeuvre corvéable à l'envi et traitée moins bien que le corniaud errant, ça pue la xénophobie et renvoie vers un présent qui ne cesse de dériver.
Mais ce livre est surtout l'occasion d'une mise en lumière féminine. Un survol de la condition de la femme dans ces fifties où elle est encore cantonnée au rôle de ménagère maternelle sans esprit au service d'un mari omnipotent. Cela se reflète dans les postes occupés où ces citoyennes de seconde zone sont cantonnées à des activités mineures, où les moqueries sont légions dès qu'elles tentent de s'élever doutant ainsi des capacités intellectuelles. Une chape gangrenant aussi les tribunaux, occultant ainsi un point de vue : « Dans cette salle de tribunal, le juge est un homme, les assesseurs sont des hommes, le procureur est un homme et l'avocat de votre mari aussi.
— Je sais.
— Ce n'est pas tout. Les douze jurés sont des hommes, les spectateurs sont majoritairement des hommes et les témoins qui ont été entendus sont tous des hommes.
Renata parut intriguée.
— Et alors ?
Katarzyna fit une courte pause avant de poursuivre.
— Moi, Renata, je suis une femme. Je vois, j'entends et je sens les choses autrement. […] ».
Katarzyna alias Catherine Lézin permet aussi à
Paul Colize de faire référence à son propre passé, un petit rappel d'
Un Long Moment de Silence et de cette Pologne tant ballotée.
Paul Colize est un écrivain qui sait me toucher non seulement par sa plume émouvante et brillante mais aussi par sa constance à manier, dans le romanesque, des faits réels et un angle de vue sociologique. Ici, à nouveau il intègre des petites histoires dans la grande Histoire, piqure de rappel nécessaire pour d'une part tenter de ne plus commettre les mêmes erreurs et d'autre part ne juger autrui que sur des actes et non des supputations. L'audience est levée.