Waouh!
J'ai pris ce livre un peu par hasard dans ma bibliothèque. C'est une amie qui me l'a prêté sans l'avoir lu, après un achat compulsif dans un marché aux puces. Petit, léger, je l'embarque avec moi comme ça, sans m'attendre à rien. Je me dis "bon, ce sera un thriller ou un polar qu'on avale comme ça, vite fait, pour se distraire entre un bouquin de littérature "soutenue" et un bouquin spécialisé." Une récréation quoi.
Putain de claque.
Lu d'une traite. Impossible de lâcher ce roman. Happée, avalée, engloutie par ce huis-clos mené de main de maître.
Par quoi commencer? L'intrigue? le style? Je ne sais pas, tout s'entremêle.
Sandrine Collette nous plonge dans l'inhumanité de l'humain à travers l'originalité de son histoire, un gars pas très sympathique qui, sorti de taule, va se retrouver pris au piège au fin fond d'une forêt, enchaîné dans une cave, à la merci de deux vieillards dont on a du mal à distinguer lequel des deux est le plus cruel. Et bien que la déshumanisation soit traitée sous le prisme de la folie et/ou de la tare congénitale, on peut aisément en projeter tous ses mécanismes sur ce qu'il adviendrait si, en plus de la folie, on avait affaire à un homme doué d'intelligence et qui arrivait à la tête d'un État... Si vous voyez où je veux en venir…
Tout y est. Tout.
Sandrine Collette a pensé à tout ce qui peut entraîner un être humain à devenir... une chose... Par la manière dont l'autre va le traiter: [modifier]l'abandonner plusieurs jours dans le noir sans lui donner à boire, le frapper, ne pas le soigner, le laisser dans un état d'hygiène déplorable, l'affamer, ne pas lui parler, l'ignorer, ne pas le regarder, l'appeler le "chien". Non. le rendre chien. Mais un chien maltraité, un chien à qui on donne des ordres, des coups de bâton ou des coups de pieds pour décharger sa colère. La mais qui frappe. Pas celle qui caresse. Jamais. [/modifier]
Et c'est là qu'est la force du message délivré par l'écrivain: la violence gagne sur tout. Tout le temps. Effarant. le "héros", Théo, avait un rang social aisé: "famille riche (…) un parcours scolaire plutôt brillant, un bon job à la clé". [modifier]L'autre prisonnier (oui il y a un autre prisonnier…) était professeur d'université. Ils ont été réduits à l'état de chose-chien. Il ne reste plus que le corps, un corps qui travaille toute la journée pour les vieux, un corps qui vieillit à vitesse grand V. le corps, la partie
animale de notre être. Notre chair. Notre viande. Et ce corps réclame sans cesse: il a soif, il a faim, il a chaud, il a froid, il a chaud. Il a mal. [/modifier]
Il faut survivre pourtant. Jusqu'au bout. Même quand l'horreur se succède à elle-même. Indéfiniment. Au rythme du temps qui passe, des gouttes de pluie et des verres d'alcool descendus. L'espoir est mort et on survit. Instinct
animal. Tant que la vie est en lui, l'homme résiste. Ses tortionnaires l'ont rendu chose et lui-même a validé, pour survivre, son état transformé d'humain à chose: son âme s'est soumise pour que la vie encore présente ne s'éteigne pas.
Au tout début du roman,
Sandrine Collette pose les jalons: "C'est moi qui ai recueilli ce corps, après." On connait la fin, on sait que Théo finira par mourir. On tourne les pages, pas pour découvrir comment il pourrait s'en sortir car on ne compte même plus sur un inopiné Deus ex Machina. Non. C'est le comment. Comment cet homme va-t-il mourir?
J'ai tout lu, là, il y a une demi-heure. Donc je sais.
J'ai pleuré.
Et encore je n'ai pas parlé du style de l'écrivain. C'est un écrivain. pour ça oui. Donc elle a un style. J'y ai trouvé de la poésie. Écrire l'horreur avec de la poésie, c'est fort tout de même. Les mots, les images, les descriptions, les émotions, tout est incroyablement écrit, ciselé. le style sert le fond admirablement. Oui, ce roman a obtenu le grand prix de littérature policière en 2013: prix largement mérité.
En conclusion: Si vous n'aimez pas ressortir indemne d'une lecture, lisez ce putain de bouquin. ( Et aussi: c'est vrai qu'on peut trouver des trésors dans les marchés aux puces.)