Je frappai très fermement à la porte et reculai d'un pas pour être à la hauteur d'Earl. Il avait mis ses Ray-Ban Wayfarers et portait son costume et sa cravate noire habituels et moi, mon Corneliani anthracite à fines rayures. Il n'empêche. Debout là, épaule contre épaule, avec nos lunettes de soleil... Cela me rappela le duo Noir-Blanc d'une série de films populaires que j'avais appréciés avec ma fille en des temps meilleurs.
- C'était quoi, les films avec les deux types qui traquent les aliens pour le compte d'un gouvernement secret et...
La porte s'ouvrit.
- Et depuis quand pratiquez-vous le droit ?
Ce brusque changement de direction le surprit.
- Euh… ça fera deux ans et demi le mois prochain.
- Avez-vous jamais pris part à un procès avant celui-ci ?
- Vous voulez dire au tribunal ?
Je faillis éclater de rire. S’il n’avait pas été mon propre témoin, je l’aurais rétamé avec cette réponse. Dans la situation présente, j’avais besoin de ne le laisser que pour mort avant d’en terminer avec mes questions.
- C’est ça, « au tribunal », répétai-je d’un ton sec.
- Non, aucun pour l’instant. Mais je connais des avocats pour qui il faut surtout ne jamais aller au prétoire et toujours régler l’affaire avant d’en arriver là.
La drogue draine beaucoup d’argent. Ça fait plier beaucoup de gens.
Je sentis l’adrénaline monter avec l’accélération de la voiture. Il y avait du nouveau. Des choses que je ne comprenais pas encore, mais…. Pas de problème. Je me promis de tout comprendre en un rien de temps.
Au final, j'en avais appris d'avantage sur le droit, en quoi il a tout du plomb mou et comment on peut le tordre et le mouler. "Le droit est malléable, me disait-il toujours. Il y a moyen de le plier."
Il était assis à côté de moi à la table de la défense. Cela faisait maintenant presque cinq mois qu’il croupissait en prison et sa pâleur n’était qu’un des éléments montrant à quel point son état s’était détérioré. Certaines personnes supportent très bien un séjour derrière les barreaux. André n’était pas de ceux-là. Comme il me le disait souvent lorsque nous communiquions, la captivité lui faisait peu à peu perdre la raison.
Le tribunal ne doit jamais être un lieu de violence. C’est l’endroit où la société civilisée s’élève contre la violence qui se déchaîne dans nos rues.
Jour après jour, devant eux, je me tiens dans le puit de justice et y défends ma cause.
L’année d’avant, j’étais allé le voir après avoir perdu l’élection au poste de district attorney, scandales et autodestruction oblige. Je cherchais une stratégie de vie et Legal Siegel me secondait. Nos réunions étaient donc des consultations parfaitement légitimes entre un avocat et son client, à ceci près qu’à la réception on ne comprenait pas que le client, c’était moi.
Un claquement sec se fit entendre lorsque la porte de la cellule s’ouvrit, puis les deux gardes revinrent dans la salle. Je me demandai à quel point ils avaient maltraité Watts en le jetant dans la cellule.
Le juge marqua une pause et reporta son attention sur les jurés.
— Malheureusement, reprit-il, la décision de M. Watts d’attaquer son avocat compromet notre capacité à poursuivre. Je crois que…
— Monsieur le juge ? l’interrompit Medina. Si l’accusation peut se faire entendre…
Elle savait exactement à quoi se préparait le juge et avait besoin de tenter quelque chose pour l’en empêcher.
— Pas maintenant, maître Medina, et je vous prierai de ne plus interrompre la cour.
Mais elle ne lâcha pas.
— Monsieur le juge, insista-t-elle, les avocats peuvent-ils vous demander une consultation ?
Siebecker eut l’air agacé, mais se laissa fléchir.