« Qui voudrait tuer les meilleurs guides de pêche du Maine, bordel? Quelqu'un du Massachussets » p. 315.
Je préfère donner le ton dès le début pour vous montrer où vous mettez les pieds. Il est toujours des personnes qui ne veulent lire que de la littérature 100 % aseptisée, garanti sans gros mots, sans situation scabreuse, bref de la littérature dont on peut se vanter tranquillement de l'avoir lue, voire laisser traîner le livre en question en toute tranquillité sur la table du séjour. Note : rédiger ce genre d'avertissement est usant, comme si lire était dangereux pour la santé.
Mais revenons à Willow Pond. Tous cousins dans le Maine ! pourraient dire Six et Alicia, les deux premiers personnages que nous rencontrons. Eux aussi dépotent. Quoi ! Un couple d'anciens enseignants, sexagénaires, et toujours sexuellement actifs ensemble après tant d'années de mariage, un couple qui partage toujours des passions communes, ne serait-ce pas hautement réprouvés, non pas la morale, mais par les lecteurs bien pensants ? Eux sont les seuls à apprécier Iphigene Seldon, leur cousine (enfin, une parmi tant d'autres), ce qui ne les empêche pas de cerner son caractère constamment brutal.
« O dieux du lac, je dédie mon frère poisson aux mille dents à la mémoire d'Iphigénie Seldon, grande pêcheuse parmi les mortels« . p. 413.
La vengeance est douce, parfois, et Iphigene, Gene pour les intimes, le Duce pour ses proches, a vécu des années dans l'ombre de son brillant frère, si aimé par ses parents, et de sa chère épouse, très brillante elle aussi. Un orage, un coup de tonnerre les a fait partir en fumée, laissant trois orphelins presque adultes et une absence de testament qui fit d'Iphigene la propriétaire du lodge et de ses neveux ses salariés – cela fait vingt ans que cela dure. Brad et Merrill, les deux aînés, sont devenus de brillants guides de pêche, l'un vouant une passion au pot de fleurs dans lequel il planque sa bouteille de whisky, l'autre plane sur un petit nuage dû à son addiction à la drogue. Quant à Kipper, le plus jeune, le chouchou d'Iphigene, il dirige le loge, a engagé Jean-Pierre, son petit ami, comme cuisinier. Tous n'ont qu'un désir (y compris leurs conjoints) : que Gene se décide à mourir. Quitte à l'aider un peu.
Sauf que le meurtre a vraiment bien eu lieu, lors d'un orage particulièrement violent. La réalité d'un meurtre est bien différente du meurtre fantasmé, imaginé, dont le plan a été cent fois rêvé. Elle est bien différente aussi de ce que l'on peut voir dans les séries télévisées – dira-t-on jamais assez ce qu'elles ont apporté au genre ? – ou dans les romans délicieusement british que dévore Renee, la future ex-femme de Brad. Les enquêteurs locaux arrivent, aidés par une enquêtrice de la criminelle hors-norme. Ce n'est pas que les policiers du cru ne soient pas compétents, c'est qu'ils ne sont pas du tout habitués à une telle violence. Il est encore des endroits, aux Etats-Unis, où l'on peut régler une querelle sans sortir les flingues ou la batte de base-ball. Pour un peu, on se croirait en Angleterre, non en Nouvelle-Angleterre. ce pendant, ce n'est pas du thé qui coule à flot, c'est bien du whisky et autres cocktails servis généreusement au bar, ou dissimulé dans un pot de fleurs. le jardinage a de beaux jours.
Angleterre, toujours, avec les cent dernières pages du livre qui nous font croire que l'on est dans un James Bond, plutôt que dans un paisible relais de pêche. Dire que certains voulaient se reposer, et finissent canardés à tout va…. Finalement, le Maine n'est pas si paisible que cela. Demandez à
William G. Tapply. Ou à
Tim Burton.
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