Les Cagots ! Qui a entendu leur histoire a forcément éprouvé le désir de percer leur mystère. Merci à Nathalie pour m'avoir acheté ce livre de référence sur le sujet, que je désirais lire depuis longtemps. Pour ceux qui ne les connaissent pas, une petite présentation s'impose :
les Cagots étaient un groupe de personnes, disséminées dans tout le sud-ouest de la France, qui du Moyen-Age jusqu'au milieu du XIXème (et parfois au-delà) firent l'objet d'un ostracisme féroce et de discriminations systématiques : interdiction des mariages entre Cagots et non Cagots, exclusion des cérémonies et des fêtes, obligation de vivre dans des quartiers séparés et d'utiliser un bénitier et une porte spécifique dans l'église… Et on ne sait pas pourquoi.
On a fait des Cagots les descendants marginalisés des Néanderthaliens, des chasseurs-cueilleurs ayant refusé le passage à l'agriculture, des Wisigoths, des Sarrasins, des Cathares… On a cherché sans succès des caractères physiques (l'absence de lobe de l'oreille a longtemps été noté), des marqueurs génétiques. Au fil du temps, une foule d'exagérations, d'interprétations bancales et de pures inventions se sont accumulées dans les livres consacrés aux Cagots, et dans cet ouvrage
Benoit Cursente fait d'abord un énorme travail de nettoyage des connaissances.
La rigueur méthodologique de l'historien est très impressionnante. Avant tout, il souligne à quel point le phénomène des Cagots a été extrêmement mouvant. de personnes dotées de places particulières dans les plaines de Gascogne à la fin du Moyen-Age, on passe peu à peu à des petites communautés marginalisées dans les hautes vallées pyrénéennes à la fin du XVIIème, qui se transforment en villages d'artisans spécialisés au cours du XVIIIème !
Conséquence logique, la nature des discriminations subies varia énormément. L'obligation de porter une marque distinctive (un morceau de tissu rouge en forme de patte d'oie), très emblématique, n'eut cours que dans une zone limitée pendant une durée assez courte ; les bénitiers et portes séparées dans les églises arrivèrent tardivement. Il insiste également sur le fait que
les Cagots étaient présents sur les deux versants des Pyrénées, délimite géographiquement leur présence (grosso modo, de l'Ebre à la Garonne), date leur apparition aux alentours de 1300 grâce aux documents d'époque, et surtout souligne que le mot ‘'cagot'' est récent. La première appellation attestée est ‘'chrestian'' (chrétien) ; et il y en eut beaucoup d'autres : agot, capot, ladre…
Le mystère des origines est brillamment éclairci : les lépreux. Au Moyen-Âge ce mot recouvre à peu près tout type d'affection de la peau. Considérée comme très contagieuse et héréditaire, ceux qui en souffrent sont tenus de vivre à l'écart, dans des bâtiments dédiés : les léproseries. Ceux qui n'avaient que des affectations bénignes ou au stade initial de la maladie eurent des enfants, sains puisque la lèpre n'était pas héréditaire, mais les populations alentour continuèrent à les considérer comme lépreux, et ils durent rester dans les léproseries. Quand l'épidémie et la peur de la lèpre reculèrent en Europe,
Benoit Cursente montre, documents à l'appui, que la plupart des anciennes léproseries devinrent… Des cagoteries.
Mais le rejet dans la population persista, prenant généralement la forme d'une peur de la contagion et d'une obsession pour la pureté. Très tôt,
les Cagots tentèrent de lutter contre les préjugés dont ils étaient victimes. Au XVIème siècle ils en appelèrent au Pape, qui condamna les discriminations – mais ce ne fut pas pris en compte localement. Ils se tournèrent alors vers les pouvoirs civils et temporaires… Et c'est là que les choses se corsent, car dans l'ancien régime de nombreuses régions avaient leur propre parlement et leur propre corpus de lois ! On l'oublie, mais la Révolution fut avant tout une vaste entreprise de simplification administrative et juridique.
Les cagots en appelèrent au roi, et parvinrent peu à peu à faire tomber les arrêts qui les discriminaient ou leur posaient des interdits. Mais la population résista farouchement, et les discriminations et les vexations n'en devinrent que plus subtiles et plus complexes. L'intégration ne se fit que lentement et progressivement. Vers 1850 elle était très avancée, la première guerre mondiale l'acheva. le tabou des mariages entre Cagots et non Cagots fut le dernier à tomber – encore en 1950, l'auteur rapporte que la découverte d'origines cagotes pouvait parfois compromettre un mariage !
Un mystère de plus cède face à la rigueur et au travail d'un homme de science. Il ne nous reste plus, comme lui, qu'à saluer le courage et la ténacité des Cagots, qui luttèrent infatigablement pendant des décennies contre les discriminations dont ils étaient l'objet.