Milwaukee BluesLouis-Philippe Dalembert
roman
Sabine Wespieser, 2021, 277p
Tahar Ben Jelloun a dit de ce roman qu'il méritait le prix Goncourt. L'auteur, que j'ai rencontré, est charmant.
J'ai ouvert le livre avec plaisir et une certaine impatience, ça n'a pas tilté. Est-ce le sujet ? Est-ce l'écriture ? Est-ce l'hybridité du genre, roman et comme plaidoyer ensemble ?
le sujet, c'est la foi en une humanité meilleure, quand il n'y aura plus de ségrégation raciale. Cela vaut pour toutes les minorités, les Latinos, les Asiatiques, les Juifs, les musulmans.
le roman est inspiré à la fois par l'affaire George Floyd, cet homme noir étouffé par le genou d'un policier, et dont la mort a été filmée en direct, par celle d'Emmett Till, l'adolescent noir assassiné par des racistes du Sud en 95, par la marche conduite par
Martin Luther King à Selma, Alabama, en 65. L'histoire se passe à Milwaukee, qui compte une université, la ville la plus importante du Wisconsin, même si Madison en est la capitale, la plus ségréguée surtout, où naît, vit et meurt le personnage principal prénommé Emmet. C'est un garçon du ghetto, lieu de violence, de drogue et d'absence d'espoir, élevé sans père par une mère très pieuse, que l'école n'intéresse pas au contraire du foot américain pour lequel il est vraiment doué. Ce don lui permettra-t-il de sortir de sa vie de misère financière et morale ? Un accident en décide autrement. le garçon déchu revient accablé au lieu de départ, et pour un faux billet, alors qu'il travaille dur pour nourrir ses trois filles, mais le salaire de ces petits boulots est dérisoire et par là même scandaleux- va mourir, à cause de sa couleur et de la violence policière.
A l'occasion de sa mort atroce et injuste, tous ceux qui l'ont connu vont brosser un portrait, de lui, et le narrateur extérieur celui de la société américaine. Il insère ses observations -que beaucoup d'autres ont faites- sans les souligner, dans le récit, et parfois par le biais de ses personnages. Par exemple, il note que le smartphone est une fabrication qui épuise les ressources de la planète. Qu'on parle autant de solidarité qu'on jette de peaux de banane. Que « Les êtres humains s'adaptent à tout et à n'importe quoi ». Qu'on craint que les femmes ne veuillent castrer les hommes avec leurs revendications parce que les femmes subissent le patriarcat blanc depuis des siècles. Qu'on vit « dans une putain de société de spectacle ». Trump, président vulgaire, est traité de « polichinelle, ou pantin, ou guignol à moumoute ». Il revient sur le rêve américain : « Abonnés à une vie de déconvenues, ils (les gens du ghetto) avaient l'habitude de chasser une chimère pour une autre pour tenir jusqu'au bout de la vie. »
La musique tient une grande place, à commencer par le
Milwaukee blues qui donne son titre au roman, et que chante le jeune étudiant blanc viscéralement opposé à toute forme de ségrégation quand il prépare la marche en hommage à Emmet, le jazz, une musique pour intellos, pense le personnage de la jeune Haïtienne apprise à faire profil bas, à être invisible dans un pays qui est quand même devenu le sien, les gospels et la musique plus bruyante et plus dansante que les fidèles amènent dans l'église qu'ils font leur, sans se soucier du caractère sacré de celle-ci.
le personnage qui semble avoir le plus la sympathie du narrateur est celui de l'ex-matonne devenue révérende, qui parle avec Dieu comme si c'était son copain, et oeuvre pour une société d'amour. Elle occupe une très grande place dans la troisième partie consacrée à la marche, la partie que j'ai préférée, et qui montre que le combat n'est pas gagné, quand on voit la haine de ces Blancs, arc-boutés sur leur soi-disant supériorité de couleur.
L'écriture de Dalembert est nerveuse. L'auteur aime à citer des écrivains et des poètes, émaille son récit d'américanismes qui n'ajoutent rien au texte.
Ce livre, même s'il ne m'a pas emballée, me fait comprendre les difficultés de la lutte contre toute discrimination. Et que c'est pourquoi il faut lutter, obstinément, et que la victoire est au bout, même s'il faut l'attendre longtemps. C'est un livre nécessaire qui s'éloigne d'un fait divers largement médiatisé pour entrer dans l'universel. On n'est ni Noir ni Blanc, on est humain.