Sur l'air de
Milwaukee Blues, de Charlie Poole,
Louis-Philippe Dalembert m'a embarqué dans cette ville du Wisconsin qu'il connaît bien puisqu'il y a enseigné pendant un an.
Auteur de plusieurs romans dont
Avant que les ombres s'effacent (Prix Orange du Livre 2017) et
Mur Méditerranée, sans oublier, ce beau recueil de poèmes,
Cantique du balbutiement, ouvrages que j'ai eu le plaisir de lire, il était, avec
Milwaukee Blues, parmi les quatre finalistes du Prix Goncourt 2021.
Quelques semaines auparavant, j'avais eu la chance de le retrouver aux Correspondances de Manosque pour l'écouter parler de ce livre inspiré du meurtre de Georges Floyd.
Les États-Unis font partie de la vie de cet écrivain, né en Haïti. Non seulement, il y a enseigné mais il y a de la famille et des amis. Comme il l'a dit, c'est un pays que l'on adore détester mais qu'il connaît parfaitement comme le prouve son
Milwaukee Blues.
Tout débute dans une supérette où un employé croit bon d'appeler le nine.one.one, numéro d'appel d'urgence, à cause d'un billet de banque douteux remis par un Noir entre quarante et cinquante ans. Nous sommes dans Franklin Heights, quartier pauvre peuplé presque exclusivement de Noirs. Sans délai, la police arrive, plaque l'homme au sol, genou entre ses omoplates. L'homme proteste : « Je ne peux pas respirer ! Je ne peux pas… » et meurt.
Commence alors un récit à plusieurs voix, donnant différents points de vue sur la victime, un certain Emmett. C'est d'abord son institutrice qui reconnaît son ancien élève dont le portrait circule sur les chaînes d'infos avec vidéo à l'appui car l'agression dont il a été victime a, bien sûr, été filmée. Elle se souvient immédiatement qu'Emmett portait le même prénom qu'un adolescent, Emmett Till, assassiné en 1955 par des racistes blancs du sud du pays. Elle n'a pas oublié que ce garçon avait pour meilleurs amis, Autherine et Stokely, que son père, au chômage, était parti vers le sud mais n'était pas revenu et qu'Emmett, passionné de football US - pas le soccer, notre foot à nous -, chantait tout le temps Alabama Blues, de J.B. Lenoir.
Intervient ensuite l'amie d'enfance, Autherine, Authie, même quartier, même âge. Elle parle du big four, les quatre sports majeurs aux USA : football, basket, baseball et hockey, et qu'Emmett est parti à l'université pour devenir pro alors qu'à peine 2 % des jeunes réussissent à obtenir ce statut.
Voici maintenant Stokely, Stoke, le dealer repenti, troisième pièce du trio qui a plongé dans la drogue et a dû purger dix ans de prison. Maintenant, il est médiateur entre les flics, les services sociaux et les jeunes du quartier.
Larry est le coach de l'université où est arrivé le jeune Emmett, plein d'ambition. C'est lui qui détaille le parcours sportif d'un garçon qu'il a pris sous son aile. Il parle des deux accidents subis. Si le premier n'est pas trop grave, le second sera fatal pour la carrière professionnelle espérée.
Très intéressante est Nancy, la fiancée. Elle a réussi à apprivoiser Emmett malgré les regards haineux, dans cette université privée à 90 % blanche. La racialisation et les classes sociales très compartimentées gangrènent un pays où le moindre contrôle policier peut mal tourner ou tout simplement humilier profondément celui qui le subit alors qu'il est parfaitement en règle.
Il y a aussi Angela, l'ex-femme d'Emmett revenu à Milwaukee où il tente de gagner sa vie avec de petits boulots. Authie la présente à Emmett qui a déjà deux filles mais dont la mère l'a largué. Angela reste trois ans avec lui, met une fille au monde et s'en va aussi. Aucune de ces deux femmes ne se manifestera.
La troisième grande partie, intitulée «
La Marche », permet de faire connaissance avec Ma Robinson, ex-matonne devenue pasteure, avec Mary-Louise, la mère d'Emmett, avec
Marie-Hélène qui vient d'Haïti, et avec Dan, son copain, remarqué pour ses dreadlocks. Cette partie révèle plusieurs surprises. Aussi, je n'en dirai pas plus. Comme il y a une pasteure et une cérémonie religieuse, la religion prend un peu trop d'importance. Petit à petit, je découvre un peu plus les immenses problèmes interraciaux gangrenant ce pays, avec les extrémistes des deux camps, les gens de bonne volonté risquant vite d'être débordés.
De plus,
Louis-Philippe Dalembert, dans
Milwaukee Blues, m'a fait découvrir des poètes et écrivains haïtiens comme
Marie-Vieux Chauvet,
Edwige Danticat (
Adieu mon frère) ou
Jacques Roumain, auteur du poème « Sales nègres » dans Bois d'ébène et de
Gouverneurs de la rosée, « l'un des plus grands romans de la langue française ».
Enfin, il y a les chansons avec
Bob Dylan,
Bob Marley, etc… et des références cinématographiques comme Cry Freedom ou Twelve Years a Slave.
Voilà, vous l'avez compris, j'ai été passionné par cette plongée fort bien documentée dans le quotidien d'une grande ville du midwest des États-Unis.
Louis-Philippe Dalembert sait donner une opinion équilibrée et réaliste qui m'a permis de comprendre un peu plus ce pays si présent dans l'actualité et que nous connaissons si mal.
« Si j'écris, c'est que j'aime le risque et je ne veux pas me répéter », nous a confié
Louis-Philippe Dalembert, à Manosque et il a parfaitement réussi.
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