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Scarlett et Novak" est une nouvelle qui s'adresse à la jeunesse, dans laquelle
Alain Damasio enfourche son cheval de bataille préféré : amener à la réflexion quant aux conséquences de l'ultra technologie sur notre intégrité cognitive et notre liberté. Pour ce faire, il immerge le lecteur dans un monde futuriste, mais qui résonne d'une angoissante familiarité.
L'intrigue peut être résumée en quelques mots : un jeune homme, Novak, tente d'échapper à deux poursuivants qui en ont après son Brightphone, qu'ils parviennent finalement à lui voler, après l'avoir agressé.
L'auteur tire prétexte de cet épisode pour aborder les effets de la dépendance aux smartphones et à l'ultra connexion, et extrapoler quant à ce qu'elle augure pour demain.
Dans l'univers qu'il dépeint, chaque instant de vie passe par le crible de la technologie, qui incite à l'auto-évaluation permanente, à la comptabilisation de ses performances, ainsi qu'à l'exposition et au partage sur les réseaux. le Brightphone, ici une véritable intelligence artificielle, est devenu une indispensable extension de l'individu, un deuxième cordon ombilical, son détenteur se persuadant qu'elle l'augmente et qu'il ne peut vivre sans elle, avec un effet pervers glaçant : celui de considérer cette I.A. comme une amie, qui vous connait par coeur, qui sait ce dont vous avez besoin, qui répond à toutes vos attentes.
Novak, le héros de la nouvelle, sait rationnellement que Scarlett est une I.A., mais il y est néanmoins attaché, ses émotions se laissant tromper par la sophistication de la machine, capable de reproduire fidèlement la chaleur d'une voix, la tonalité de sentiments. Et puis l'I.A. ne vous contredit jamais, fonctionnant sur des algorithmes dont le but est de procurer une (auto)satisfaction qui devient addictive, et prive l'individu de la confrontation avec l'altérité.
On voit bien ici la triste absurdité du cercle vicieux qui consiste à compenser par la technologie ce que l'on a perdu parce qu'on l'a confié à cette même technologie : la capacité à s'orienter dans l'espace, à prendre des décisions face à une situation de danger, l'aptitude à la solitude et à l'autonomie…
La dépendance pathologique au Brightphone rend ainsi pour celui qui en est privé toute démarche compliquée voire impossible, car le recours à cette technologie est dorénavant la norme, chaque acte de la vie courante réclame l'assistance de l'I.A., l'individu qui en est dépourvu devenant un marginal, un homme comme nu, inspirant la méfiance.
L'autre dérive de l'ultra technologie mise en évidence par
Alain Damasio dans cette nouvelle (comme dans le reste de son oeuvre), est celui de l'omniscience du réseau, outil de traçage et de contrôle des individus qui -comble de l'ironie- s'empressent d'y adhérer, sans réaliser qu'ils renoncent ainsi, à terme, à la protection de leur vie privée et à leur libre arbitre.
Mais pour l'heure, ce viol de leur intimité les préoccupe bien moins que l'éventualité de se faire voler leur Brightphone…
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