J'ai découvert un auteur français qui écrit avec la sensibilité et la sensualité des auteurs japonais. Cette histoire m'apparaît comme un conte où il est question d'amour, de deuil. Il s'apparente à un récit initiatique.
A plusieurs reprises, l'auteur parle des tankas, ces beaux poèmes japonais. Je vais donc m'y essayer pour retranscrire la magnifique écriture de l'auteur, les sentiments de la jeune héroïne et l'omniprésence de la nature, les paysages, la flore, la faune, les grues, les lucioles...
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Katsuro est le meilleur pêcheur de carpes d'ornement, une fierté et une reconnaissance pour son village. En effet, il capture les plus belles carpes de la rivière Kusagawa pour orner les magnifiques étangs royaux de Heiankyō.
Lorsque vint le soir
Une luciole m'est apparue
Et mon coeur a compris
Mon amour s'est envolé
Me laissant désemparée
Katsuro est mort, noyé dans la rivière Kusagawa, laissant Miyuki, sa jeune femme, seule. C'est maintenant à elle de prendre la route jusqu'à la cité impériale pour livrer les carpes au bureau des jardins et des étangs et ainsi honoré la mémoire de son mari qu'elle adorait.
Les carpes à l'abri
Un long voyage j'entreprends
Désenchantement
Je pars seule vers l'inconnu
Tes souvenirs m'accompagnent
Grâce à ses récits de voyages et à l'amour de son métier, Katsuro guide la jeune veuve, ne la laissant jamais seule, invisible mais présent tout au long de son périple, dangereux et épuisant. Miyuki se rappelle sa vie d'avant, les mots de son mari, son odeur, ses gestes, le soin qu'il apportait aux carpes pour qu'elles ne souffrent pas du voyage.
« C'était lui qui l'avait initiée au monde bruissant et frais de la rivière, aux procédés pour capturer les carpes sans les blesser, aux méthodes pour les apaiser, les apprivoiser au point de pouvoir les emmener faire un long voyage… »
Forêts et montagnes
Katsuro à mes côtés
Sensualité
Rêves doux mots murmurés
Je me sens comme protégée
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Tout est prétexte à se souvenir de son mari, dans un langage parfois osé, mais tout en délicatesse et finesse. L'auteur dévoile les émotions de la jeune veuve, sa peine, sa souffrance, sa fragilité, ses peurs, sa force, sa beauté. Sa douleur est touchante.
« … à peine furent-ils effleurés par la lune, que les poissons, malgré l'étroitesse de leur prison, se mirent à louvoyer avec une sorte de volupté qu'ils n'avaient jamais montrée jusqu'alors, allant jusqu'à nager sur le dos et à se gober mutuellement les lèvres – les mêmes baisers goulus que ceux de Katsuro. »
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Un roman qui met aussi en scène un monde sensuel. Tous les sens sont mis à l'honneur, visuels, sonores, olfactifs, tactiles. L'odorat est le sens le plus exploré. Il m'a rappelé «
le parfum » de
Patrick Süskind, par son côté charnel et envoûtant.
« La bête sentait la vase, le mucus, les feuilles en décomposition, les algues broyées, le bois moisi, la terre humide, la même odeur sourde, basse, un peu grasse, de Katsuro quand il remontait de la rivière… »
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L'auteur s'est beaucoup documenté pour reconstituer le Japon du XIIème siècle. Il nous fait découvrir le bouddhisme, la culture japonaise, ses croyances, ses rituels, ses coutumes, mais aussi les conditions de vie de cette époque. le lecteur ressent comme cette vie devait être cruelle et difficile.
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«
le bureau des jardins et des étangs » aborde aussi le thème de la futilité des biens amassés. le bonheur ne se trouve pas dans l'abondance de richesses, mais de ce que nous faisons de notre vie. Miyuki déborde de bonté, de fraîcheur, d'honnêteté.
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Tout enchante dans ce récit : la délicate écriture de l'auteur, les longues phrases imagées pareilles à des mélopées, la puissance des sentiments et des émotions, le doux frôlement des étoffes, le clapotis des carpes, les magnifiques paysages, la suavité des parfums.
Un très beau roman d'amour, teinté d'érotisme, très loin des clichés mièvres que je déteste. Une magnifique fresque du Japon au XIIe siècle. Un voyage initiatique envoûtant où se mêlent fragrances et puanteur.
Si vous ne connaissez pas ce roman, je vous le conseille, un petit bijou de poésie !
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