Vivre des instants délicieux, palpitants et parfois angoissants dans l'Empire du Japon, au XIIe siècle, c'est ce que m'a offert la lecture du dernier roman de
Didier Decoin : le Bureau des Jardins et des Étangs.
Même si les personnages très attachants du roman captent l'attention, les véritables vedettes sont les carpes, personnalisées par l'auteur avec un amour et un sens de la description rarement égalés.
Ces carpes, Amakusa Miyuki – au Japon, le prénom vient toujours après le nom - doit s'en occuper car son mari, Katsuro, s'est noyé dans la rivière, la Kusagawa, alors qu'il devait en livrer à Heiankyõ, où réside l'empereur, afin d'agrémenter les bassins impériaux gérés par le Bureau des Jardins et des Étangs.
Miyuko se retrouve donc seule, elle qui s'était mariée par « intrusion nocturne ». Katsuro avait le double de son âge et sa présence, son amour l'accompagnent tout au long du livre, souvenirs délicieux d'une vie commune bien trop brève. L'auteur nous gratifie d'une magnifique séquence érotique après avoir présenté son héroïne : « Une féminité pure et infantile émanait de sa peau lisse et fraîche que Miyuki ponçait à la fiente de rossignol pour la blanchir davantage. »
À pied, avec une lourde et fragile charge sur les épaules, cette palanche qui supporte deux bacs contenant les carpes qu'il faut garder vivantes malgré tous les aléas d'un chemin semé d'embûches. Une halte dans une auberge, la Cabane de la Juste Rétribution, apprend à Miyuki le vrai travail de celles que l'on nomme « les empileuses de riz » et voilà qu'elle passe sa première nuit hors de chez elle.
Au fil des pages, les traditions, les croyances vivaces dans un pays où « huit cent mille dieux règnent », sont bien détaillées toujours avec précision. On apprend que « le bouddhisme, dont l'influence était grandissante, tenait la mise à mort pour l'une des souillures dont il était difficile de se purifier. » À cette époque, le tanka est l'ancêtre du haïku. Chaque mot japonais utilisé est traduit et souvent expliqué en bas de page sans gêner la lecture.
Des détails incroyables, d'une finesse étonnante agrémentent un récit qui intrigue, surprend, angoisse parfois. Dans le domaine des senteurs, des parfums, le summum est atteint à Heiankyõ où Miyuki rencontre enfin Nagusa Watanabe, le Directeur du Bureau des Jardins et des Étangs.
J'ai découvert « la sapidité de l'eau - une saveur douce, légèrement alliacée, avec un arrière-goût de cèleri, de champignon… »
Miyuki aussi s'étonne : « … il lui sembla bien, en effet, qu'un parfum singulier montait de la partie basse de son corps. C'était une odeur tiède, fruitée, avec une légère acidité qui rappelait un peu l'astringence de la chair de kaki. »
Il faudrait citer encore tant d'expressions savoureuses, pleines de délicatesse et de finesse qui font de ce roman un voyage merveilleux.
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