Cette traduction du roman commence par un problème de chronologie dans la vie du héros.
"En 1632, je naquis à York..." nous dit le narrateur qui nous parle ensuite de son frère aîné, soldat gradé, qui meurt sous les ordres du colonel Lickhart: "l'aîné fut tué à la bataille de Dunkerque". (C'est la Bataille des Dunes de 1658, dixit Wikipedia.) le narrateur a donc 26 ans quand il perd son frère. Mais il s'embarquera le 1er septembre 1651, à 19 ans, après avoir eu une sévère discussion avec son père (ce dernier lui parlera de ce frère mort - dans le futur?!?) et échouera dans son île en 1659.
On y apprend ensuite que Robinson est le nom de famille de sa mère; son paternel, natif de Brême, a pour nom Kreutznaer, rapidement transformé en Crusoé. Sur le bateau, on découvre qu'il a pour prénom quelque chose qui, passé à la moulinette du diminutif, est Bob. Robert? Dans la famille, il y a encore un 2e frère et deux soeurs, mais celles-ci n'apparaissent qu'en fin de volume.
Bref, passé ces détails, ce bouquin est un petit guide de religion: seul sur son île, Crusoé devient chrétien quand il s'agit de ne pas sombrer dans la folie. Il tente ensuite de convertir Vendredi en bon protestant et y parvient. En fin d'ouvrage, il se fait tolérant et accepte parmi ses compagnons d'infortune un papiste et un animiste, le géniteur de Vendredi.
Ouvrage de référence pour un lectorat jeune, il dissimule des principes de vie sous un vernis qui décrit le non-retour à la sauvagerie pour l'humain croyant.
Mes (+):
- le fait que l'histoire de
Robinson Crusoé soit encadrée par des scènes de famille et de conseils paternels, des aventures en Afrique, une plantation au Brésil (avant les années de solitude) et par le retour à la vie occidentale, à la richesse et à la descendance (après son évasion de l'île).
- l'application du traducteur à reprendre le style très guindé de l'auteur, à grands coups de subjonctif. Cela donne un certain charme désuet à l'écriture, surtout pour un lecteur de 2023.
Mes (-):
- l'absence totale de découpage: pas de chapitre, rien, alors qu'il y aurait largement de quoi placer des titres.
- le fait que les enfants du héros ne soient que mentionnées en deux lignes. Et si les enfants écoutaient l'histoire de leur père plutôt que de juste apparaître rapidement puis de disparaître aussi sec? La construction du roman me fait dire que la rédaction de Defoe s'est faite sans plan global: on sent un peu trop l'improvisation.
- le happy end! Malgré 28 ans d'absence, ses amis lui ont gardé ses richesses et les ont fait fructifier. Quels chouettes amis il a! Pourquoi tant d'amour pour ce type qui disparaît, qu'on croit peut-être mort? J'aurais aimé que Defoe montre des gens profiteurs et malsains, mais tout le monde est gentil et bon et honnête, car chrétien d'Angleterre! Les seuls mauvais sont les sauvages et les Africains (musulmans ou animistes): de nos jour, on appelle cela du racisme. Mais nous sommes au XVIIIe s et c'est ainsi qu'on pensait dans la bonne société de l'époque.
Finalement, je me demande ce que contiennent les deux suites donnés à ce monument par Defoe, "The farter aventures" et "Serious reflections" ...