Citations sur L'extase du selfie (80)
On n'a plus fait de ricochets depuis longtemps. Il faut un moment creux, détaché de tout projet, de toute contingence. Est-ce qu'on saura encore ? On sent que oui, qu'on a toujours en soi cette envie de fléchir les genoux comme si on dansait le twist, qu'on a surtout cette saccade du poignet prête à surgir, à surprendre la paix des lieux, la lenteur des gestes qui l'ont précédée.
On va chercher la tempe. On va glisser le dos du doigt contre la joue, tout doucement. Assis face à face à une table de café. Il faut quelque chose qui sépare, un éloignement suffisant pour que le mouvement du bras soit lent, ferme, cérémonieux. Il faut bien se connaître, évidemment. Il faut que le silence soit installé depuis un bon moment, que les conversations, les enjouements tout autour soient devenus presque insultants. On est dans la tristesse de l'autre, on ne peut la partager vraiment avec des mots.
La bretelle electrique: L'enjeu ne semble pas si capital.Ce n'est qu'une épaule, la terre ne va pas trembler; la bretelle n'en cachait presque rien.Enfin...Elle sait, et vous savez, c'est bien plus compliqué. La symbolique de la chaute n'est pas sans conséquence, et moins encore celle du glissement. Il ya des choses qui s'échappent, d'autres qu'on laisse s'échapper.
La plage du chagrin
On va chercher la tempe. On va glisser le dos du doigt contre la joue, tout doucement. Assis face à face à une terrasse de café. Il faut quelque chose qui sépare, un éloignement suffisant pour que le mouvement du bras soit lent, ferme, cérémonieux. Il faut bien se connaître, évidemment. Il faut que le silence soit installé depuis un bon moment, que les conversations, les enjouements tout autour soient devenus presque insultants. On est dans la tristesse de l'autre, on ne peut la partager vraiment avec des mots.
Subira-t-on une esquive, un refus, un détournement du visage ? On sait bien que non, qu'on peut oser. Il y a une géographie précise à respecter. De la tempe à la joue, en arrêtant le doigt bien avant la commissure des lèvres. Oui, c'est là que ça se passe. Un partage qui se veut consolant mais ne se fait pas d'illusion. Le dos du doigt trace une sorte de cicatrice douce, qui reconnaît le chagrin, le mal de vivre. C'est une blessure de l'envers, on n'a pas l'impudence de vouloir panser la plaie, on accompagne. Je sens je crois ce que tu sens, et je suis assez loin pour me vouloir tout près. Je fais passer l'envers de mon index sur cette plage presque abstraite, où je ne toucherai ni ta bouche ni tes cheveux. Et je souris à peine, et d'un air navré, et tu hoches la tête imperceptiblement : Oui, c'est si dur, rien n'y changera rien, effleure-moi quand même, tu ne peux davantage, merci de le savoir.
C'est tellement mieux que parler, ce n'est plus tout à fait se taire.
Passer la main sur un livre
C'est curieux. Le babil autour de l'objet se poursuit, très consensuel et convenu, mais délicieusement le contact de la main vous emporte loin, malgré la sagesse apparente des postures. C'est froid et chaud à la fois, lisse comme la perfection d'un autre monde.
Avec le vapotage, l’aveu public de l’addiction a pris une apparence un peu furtive, un peu honteuse.On n’ose pas même dire que la cigarette électronique se fume. Elle se biberonne en retrait, visage penché, regard fuyant.
Et puis, il y a le « vapotage ». Avec la cigarette électronique, l’aveu public de l’addiction au tabac a pris une apparence furtive, presque honteuse : on biberonne en retrait, visage penché, regard fuyant. Où sont passés les mouvements de mains mythiques des Lauren Bacall ou Humphrey Bogart ? La féminité la plus mystérieuse, la virilité la plus compacte ? Pourquoi les hommes de pouvoir se grattent-ils sous leur chaussette ? Est-ce important de garder un verre à la main sans le boire ? Et que veut dire ce hochement de la tête, quand on acquiesce sans bien savoir à quoi ?
Mais la seconde qui comptait, c'était quand on ouvrait, quand on multipliait pas deux la surface. A l'intérieur on découvrait la grande photo sur la double page. On la posait sur ses cuisses. C'était un carton fort, jamais tout à fait plat. Important, cet angle ouvert: on pénétrait un univers, mais on le recueillait aussi en soi, on lui donnait une espèce de relief qui s 'accordait à la chanson à la matérialité du son ( à propos du Vinyle en double page)
Nous savons tous deux que le livre est fait pour dépasser nos vies, nos rituels, et nos soirées ensemble. On passe la paume de la main sur la couverture. Il n’est pas encore tout à fait à moi. Sans le regarder, je touche et je pressens. Déjà c’est lui qui me possède.
On vient de vous offrir ce livre. Il recèle par essence une promesse de solitude, d'éloignement, de silence. Mais pour l'instant vous en parlez : oui, j'avais envie de le lire, non je ne l'ai pas, j'avais bien aimé le précédent, un peu moins le succès d'il y a cinq ou six ans... Le livre est posé sur la cuisse. Presque machinalement, on passe la paume de la main sur la quatrième de couverture. Au-delà des propos conventionnels que l'on continue d'échanger, on sent alors une forme d'apaisement. C'est un volume que l'on touche, que l'on éprouve sous la surface.
C'est curieux. Le babil autour de l'objet se poursuit, très consensuel et convenu, mais délicieusement le contact de la main vous emporte loin, malgré la sagesse apparente des postures. C'est froid et chaud à la fois, lisse comme la perfection d'un autre monde. Bien sûr, la personne qui vous l'a offert est amoureuse comme vous de la lecture. Pas plus que vous, elle n'est dupe de ces secondes où elle débite à son tour un rôle appris : j'ai beaucoup aimé, ça fait partie de ces bouquins qu'on n'a pas envie de finir, longtemps je me suis gardé les trois dernières pages...
Mais sous cet échange sincère plane comme une hypocrisie réciproque et nécessaire. Il faut bien que ce soit un objet d'une valeur ambiguë - affective et marchande.Nous savons tous deux que le livre est fait pour dépasser nos vies, nos rituels, et nos soirées ensemble. On passe la paume sur la couverture. Il n'est pas encore tout à fait à moi. Sans le regarder, je touche et je pressens. Déjà c'est lui qui me possède.