On ne peut pas dire que l'immense
Zola ait connu une mort à la hauteur de sa stature ; mourir à 62 ans axphysié à cause d'une cheminée mal décrassée...ce n'est pas très romanesque ! En revanche, assassiné à cause de ses idées par toute la clique antisémite qu'il vomissait aurait été plus à la hauteur de ses combats ; Mort pour ses idées, voilà qui aurait été plus glorieux, même si plus fâcheux et révoltant !
C'est que les circonstances de la mort d'Émile
Zola ont prêté à beaucoup d'interprétations, pas si farfelues que cela d'ailleurs. Sa défense de l'opprimé, ses origines étrangères, son écriture naturaliste si décriée à l'époque, son combat contre les anti-dreyfusards et les antisémites faisaient de lui, pour beaucoup de sales types, l'ennemi public numéro 1, l'homme à abattre, l'écrivain qu'on caricaturait, injuriait et ridiculisait.
C'est cette version qu'à choisi Jean-Pierre Delfino pour nous raconter les derniers jours .. ou plutôt les dernières heures, la dernière nuit de
Zola. L'immense privilège de l'écrivain n'est-t-il pas de pouvoir jouer avec
L Histoire ?
Delfino s'est servi des doutes quant aux circonstances du décès de
Zola pour en faire un roman étonnant. Alternant les chapitres où l'on assiste impuissant à la longue nuit d'agonie de
Zola, pendant laquelle il inhale la combustion lente et toxique du feu de sa cheminée qui le tuera (sa femme échappera à la mort) et chapitres où politiciens véreux, hommes de main, vermines antisémites attendent le résultat de leur crime,
Assassins se lit à la fois comme un roman intimiste et policier.
Intimiste quand
Zola, agonisant, passe en revue sa vie, son enfance pauvre et triste auprès d'une mère ruinée et usée, ses amours entre sa femme légitime, et sa douce maîtresse, mère de ses deux petits enfants, ses doutes quant à son oeuvre mêlés à son sentiment d'être le meilleur, sa blessure d'avoir été chaque fois évincé
De l'Académie Française parce que ses combats et sa défense de Dreyfus - ce Dreyfus qui l'a tant déçu, cet ingrat !- l'ont empêché de devenir un immortel !
Quasi-policier quand Buronfosse, un pauvre gars, fumiste de son métier et adepte des idées nauséabondes de Drumont, Guérin, Daudet, Barrès, et autres, accepte de boucher le conduit de la cheminée du couple
Zola contre une ascension sociale et une place au sein de la Ligue anti-sémitique de France .. mais il n'est pas si facile que cela de trouver la bonne cheminée parmi toute celles qui se trouvent sur les toits de
Paris ! Les criminels attendent si la bête a crevé, comme ils disent.
Roman à lire surtout en ce moment où des idées nationalistes ressurgissent sans complexe ( il est terrifiant de lire ce que beaucoup de Français, de cette époque, imaginaient de faire subir aux juifs quand on sait ce qui s'est passé dans les camps, quatre décennies plus tard).
Enfin, l'écriture, ou plutôt le style, de Jean-Paul Delfino m'a réjouie et me donne envie de découvrir ses autres romans.