Ludmilla est grasse comme toutes les femmes de l'Amour. Ses belles joues enrichissent son visage comme deux dimanches dans une seule semaine. Son menton un peu bouffi évoque la proximité de la Mandchourie. Elle rallie en son sang les races de choix, depuis son nez mongol jusqu'à ses tempes slaves. Et sa bouche provient des usines parfaites. Ses mains amollies par la manipulation des laitages sont prêtes pour les gestes de la passion. Elle a la voix un peu rauque des créatures dues à la complicité du hasard. Son cou couleur de miel ressemble au col d'une ruche. Quand elle sourit, des oiseaux minuscules se posent sur sa physionomie. Un peu illicite, peut-être, soit par ignorance, soit par goût, mais de cette santé acerbe qui justifie toutes les complications. Elle a dans sa tournure et dans son regard quelque chose de militaire qui apostrophe le destin et inaugure le commandement. Elle est belle fille sommaire, folle de simplicité, mais digne en somme des époques révolutionnaires.
Histoire de Ludmilla (suite)
Un Européen en voyage qui omettrait de visiter un des grands bordels de Changhaï commettrait envers la Chine une offense aussi grave que celle d'un Yankee qui oublierait de remonter les Champs-Elysées à Paris. Ce manque de tact, point ne l'aurai-je. Et j'emmène, incontinent, mes personnages au Palais d'Onyx.
"Ludmilla, ah ! tu ne m'aimes pas !"
Elle sanglota. ce cri venait de découvrir en elle toute une Amérique d'amour. Elle sentit à ce moment qu'elle aimait Nicolas littéralement, et que cet amour, bien qu'invisible jusqu'alors, était cependant aussi vieux que l'Ancien Continent.
Un torpilleur coulé obstruait de son dos poli comme un lard la passe de Bataloff. (page 9)
A Stebts, ils s'embarquèrent dans une jonque pour remonter le fleuve jusqu'au village de Ludmilla. Elle devint durant tout le voyage de plus en plus mélancolique. L'ambiance de l'air natal lui amenuisait les traits et les mains. Elle ramait parfois, si la voile manquait de vent. Elle se faisait plus tendre, et soudain toute farouche.