Afin de réaliser son rêve, Myriam est obligée de mentir à son banquier en ajoutant quelques fabulations sur son CV, pour le rendre riche et digne de confiance. L'emprunt dans la poche, elle peut monter sa petite affaire, un restaurant qu'elle appelle "Chez moi". le nom n'est pas anodin, il est une terre d'asile, une parcelle qui n'appartiendra qu'à elle. Cette chance qu'elle s'accorde, elle la peaufine les nuits d'insomnie en la souhaitant proche de ses idéaux. Elle ne veut pas d'un restaurant sans âme et froid, elle l'imagine chaleureux. le mieux serait qu'elle puisse choisir sa clientèle pour lui préparer avec amour des petits plats… Sa cuisine, elle la désire généreuse.
Myriam a une quarantaine d'années et déjà, elle est bien fatiguée, lasse de cette vie qui tangue sur un fil. Que s'est-il passé ? Dans la journée, elle se donne à fond dans cette périlleuse entreprise, mais le soir, lorsqu'elle baisse son rideau de fer et qu'elle s'écroule sur son sac de couchage, elle retrouve son passé si douloureux et pesant…
Une petite salle, des meubles de bric et de broc, une bibliothèque, un divan, une cuisine ouverte, une première journée d'incertitudes, un lendemain d'inauguration avec la famille, et voici ses premiers clients qui arrivent un peu à tâtons. Deux jeunes lycéennes qui prendront pension chez elle par la suite, et son voisin fleuriste qu'elle accepte malgré sa mauvaise haleine. Marianne les adopte sans contrepartie. Les filles ont des hanches dodues et ne font pas les mijaurées, elles aiment saucer, elles sont gourmandes, jeunes et fraîches. Vincent lui apporte des fleurs sur le déclin qu'elle met dans des carafons. Et bientôt Ben, un étudiant qui se passionne pour le restaurant et qui se propose comme serveur. Ben apporte à Myriam les bases qui lui manquent ; côté cuisine, rien à redire, mais côté gestion, c'est une catastrophe !
Sur un cahier, elle note ses concepts et se motive. Sa seule ambition, c'est de retrouver une atmosphère familiale. En cuisinant, elle a les gestes de sa grand-mère et ceux de toutes les ménagères. C'est l'amour maternel qui renaît.
Le quartier s'anime chez elle, ceux qui viennent déjeuner, ceux qui viennent souper et ceux qui passent pour un café dans la journée. Ça s'étire, ça devient un foyer. Comme à l'époque où elle travaillait en tant que cantinière dans un cirque, Mr. Slimane, dans sa camionnette bleue, lui apporte les produits de son jardin, des fruits et des légumes de qualité. le restaurant dégage l'humanité que Myriam recherchait, elle peut enfin se permettre une petite part de bonheur, c'est tout ce qu'elle s'autorise car les spectres du passé continuent à la perturber.
Petit à petit, au fil de cette lecture qui se pare de plats alléchants, nous découvrons la peine secrète de Myriam. Elle se confie seulement à nous, timidement, et sans le savoir, amorce une guérison.
Soupes, petites salades, herbes parfumées, boulettes de viande, terrines, daubes mais aussi une cuisine raffinée comme… "dos de cabillaud au jus de mûres et aux mousserons, mille-feuille d'aubergine et d'agneau, tourte blanche au fromage, aux raisins et cognac…", Myriam nous enchante, partage, et se donne. "
Mangez-moi" pense-t-elle… Celle qui veut garder ses distances, se livre avec abnégation comme une offrande.
C'est un très beau portrait de femme qu'
Agnès Desarthe nous raconte. Poignant avec une poésie légère et gastronome, riche en sentiments, en désirs, en espoirs, le roman est une quête. Myriam recherche une légitimation et l'exploration douloureuse se fait dans la confidence. Elle ne se connaît pas, elle est humble alors qu'elle est solaire. L'amour ne se trompera pas… il l'a reconnaîtra.
A ses côtés, de bonnes âmes sont ses anges gardiens. le cocon est doux, amical avec une once de sensualité.
Je vous recommande cette belle histoire.