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EAN : 9782823610383
274 pages
Editions de l'Olivier (16/08/2018)
3.11/5   232 notes
Résumé :
Hector, Sylvie et leur fils Lester s'envolent vers les États-Unis. Là-bas, une nouvelle vie les attend. Hector a été nommé professeur dans une université de Caroline du nord. Très vite, son charisme fait des ravages parmi les femmes qui l'entourent. Fragile, rêveuse, Sylvie n'en observe pas moins avec lucidité les effets produits par le donjuanisme de son mari, tandis que Lester devient le guide d'un groupe d'adolescents qui, comme lui, cherchent à donner une direct... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (62) Voir plus Ajouter une critique
3,11

sur 232 notes
Un grand point d'interrogation en refermant ce livre ...
Est-ce que quelque chose m'a échappé ou suis-je totalement hermétique à ce genre de littérature ?

Parlons en quelques mots du contexte : Hector, professeur de philosophie et poète est nommé dans une Université américaine et c'est le grand départ pour la famille Vickery , Hector, Sylvie , sa femme et leur fils Lester 13 ans pour les Etats Unis alors qu'en France les attentats se poursuivent et que les dernières élections américaines se profilent .

Ma lecture avait pourtant commencé avec enthousiasme , Agnès Desarthe écrit de façon élégante et précise , décortiquant avec beaucoup de subtilité les travers de ses personnages , surtout celui de son personnage féminin, Sylvie et justement cette exploration est pour ma part trop nombriliste , ce genre de femme m'agace et j'ai bien failli refermer définitivement le livre lors de la description des bouffées de chaleur - non pas que je trouve ce sujet tabou , mais il y a tellement plus de choses marquantes dans la vie d'une femme , même dans son abord de la ménopause !

J'ai été plus touchée par le jeune Lester, dont le comportement est intrigant et sort du schéma habituel de la crise d'adolescence , le manque de cohésion familiale même si les apparences sont trompeuses le laisse évoluer vers une crise dont les parents vont prendre les conséquences de plein fouet ...

Quant à Hector, Don Juan affublé d'oignons ( quel terme désuet , je crois entendre ma grand-mère ) c'est une caricature de l'homme de 60 ans .

Introspection que j'ai trouvé vaine , je conçois aisément que l'on puisse aimer ce roman mais pour ma part, on ne m'y reprendra plus .


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J'avais rencontré Agnès Desarthe dans un de ses romans, Coeur changeant édité en 2015, d'une masse critique par Babelio, cette histoire m'avait transporté dans une aventure féminine passionnante, avec une prose légère et entrainante. Pour mon anniversaire, j'ai laissé choisir pour mon cadeau ma mère, un roman dans ma librairie préférée, Les passeurs de textes à Troyes, de la rentrée littéraire de cette année 2018, lui proposant certains auteurs que je connaissais, son choix se porta sur La chance de leur vie, la quatrième de couverture ressemblant à ses lectures.
Un roman raconte toujours une histoire, pas celle narrer par l'auteur mais celle ressentit par le lecteur, comme un écho à ses propres expériences, ces parcourir au fond de soi un cheminement étrange se lie entre la prose de l'auteur et la liberté de les percevoir, les absorber, les digérer, les faire voltiger dans les méandres de mon âme errantes. Les premiers mots furent une sorte de nourriture indigeste, comme une viande avariée se diffusant avec beaucoup de difficultés dans une lecture agréable, mais il faut toujours dans un premier temps laisser le temps aux mots à s'évaporer dans la trouble de mon esprit critique et quelque fois hermétique. Alors je décide de changer ma façon de lire, pour disséquer avec beaucoup de méthode et de tranquillité ce roman, je deviens étranger de ma personne pour devenir un dévoreur de mots, un funambule de la prose.
le roman commence comme un conte, le style de l'imparfait, annonce une époque lointaine, les premiers mots sont une présentation éphémère des personnages, le secret du lieu laisse avenir une sorte d'intrigue échappant au temps, une façon de laisser le lecteur dans une expectative absolue, la fable commence, c'est faire revivre ce passé, une transmission à chacun.
« Un village dont on taisait le nom par amour du secret »
Un homme Hector originaire de Cornouailles, lieu mystique de ses légendes, sa femme Sylvie, leur fils Lester. de ses 14 ans, il s'exerçait déjà à la sagesse, désirant vouloir choisir son propre prénom, Absalom Absalom faisant écho pour ma part au titre du roman de William Faulkner publié en 1936, ce livre est depuis un bon moment dans ma bibliothèque, perdu dans les dédales poussiéreux de ses livres qui attendent d'être dévorés avec beaucoup d'envie et de curiosité. Ce petit trio en route vers une nouvelle destinée, celle des Etats-Unis, l'université d'Earl University en Caroline du Nord, c'est La chance de leur vie, comme le titre l'annonce, mais est-ce, un trompe l'oeil !, cette traversée de l'Atlantique pour une destinée inconnue et excitante, une liberté.

De ce trio Agnès Desarthe, va s'offrir avec beaucoup de précision, l'introspection de cette femme, mère de famille et épouse à la maison, ou s'ajoute comme un ingrédient, cette recette de vie, son fils, un adolescent et son mari, professeur de philosophie.
Sylvie, une femme, sexagénaire, épouse docile et oisive dans son intérieur, sa maison qu'elle n’œuvre jamais d'une main de fer, elle est libre de cette ménagère, prisonnière de ses tâches, c'est ce que son mari aime, cette oisiveté, celle qui échappe au quotidien qu'il a vécu avec ses parents, Sylvie est cette femme qui lui donne cette liberté de survivre à son passé, elle est si sauvage et inefficace, une vie de liberté, sans contrainte, comme une vie de Bohème. Cette femme semble invisible, transparente, Sylvie se considère comme une princesse, elle n'a jamais travaillé, juste lu toute la bibliothèque de son mari, Hector, et mère de deux enfants, élevé un, l'autre mort peu de temps après sa naissance. La vie de cette femme expatriée loin de sa terre natale, à l'anglais trop scolaire pour se sentir à l'aise, navigue dans ce nouveau quartier comme une naufragée.
« Nous sommes des naufragés. Seuls sur une île peut-être pas déserte, mais hostile. »
Sa première rencontre fortuite, après s'être perdue dans les dédales figés d'un quartier clone des maisons et des jardins des autres, rencontre Mister Black, un paysagiste, un homme noir, la guide pour rentrer chez elle et lui cette phrase qui trouble Sylvie d'une allusion probable.
« Vous êtes nouvelle ici. Vous aurez sûrement besoin de moi. Je viendrais planter des azalées dans votre pelouse »
Sylvie est un mystère charmant, se troublant de choses anodines, comment répondre à une invitation chez des inconnus, se préparant à l'avance, comme si elle préparait un rôle, se mémorisant des répliques pour s'y attacher, pour ne pas être déstabiliser, mais comme nous le savons jamais les choses évolues comme nous l'avions décidées et de là Sylvie tombe dans l'abime de sa torpeur, et nous le lecteur, se dessine un sourire ironique de la situation, Sylvie en devient comique, malgré elle, elle nous touche de cette timidité naturelle, elle n'aime pas déranger son quotidien inerte aux autres, elle vit de son trio. J'aime cette scène où Sylvie n'a pas envie de rencontrer cette femme, la directrice du département Farah Asmanantou, au contraire de celle-ci, timide car indécise sur ce qu'elle prendrait , thé, café, se persuade qu'elle répondra du café le jour venu, moment drôle de ce passage sur cette indécision puérile, ce manque de confiance en soi, sur un détail insignifiant, une banalité courante, dont Sylvie veut faire bonne figure, c'est fort amusant, voir cocasse. Lors de cette rencontre avec Farah, Sylvie se trouve désappointée par la conversation sur les pseudonymes et la question posée par la maitresse de maison, voulant plutôt répondre à cette question dont sa réponse avait été apprise par coeur, du café, une ironie de la scène, elle est juste la femme d'Hector, se trouvant dans une aliénation où se déploie sa liberté, beaucoup de situation dans le roman m'ont fait sourire comme cette scène de la machine à laver tombant en panne, Sylvie comme souvent s'imagine des histoires, pour elle les appareils électro-ménagers œuvrent comme autant de Cassandre inanimés et modernes, des signes se rappellent à elle, comme le désordre inhabituel dans le lave-vaisselle, si ordonné avec Hector, et en parle à son mari qui ne comprends ce genre de discussion.
J'ai aimé cette femme au cœur de ce livre, Sylvie est l'apanage vivant de la femme naturellement gentille, une femme que l'on a envie de serrer dans ses bras pour ne plus la quitter et sentir couler en soi sa force tranquille vous embraser les sens. Cette femme solitaire de la mort de sa petite fille, à la naissance, se perdant dans la bibliothèque de son mari pour se nourrir encore et encore de tous ses livres qu'elle un à un digère à la suite sans s'interrompre, Hector sait que sa femme, se remplit de lecture pour chasser tout l'espace que le chagrin aurait colonisé, elle se soigne de cette perte, de cette fille morte peu de temps après sa naissance. Son Mari, il l'aime, il aime sa femme, Il se souvient de sa femme agile, rapide l'appelant la petite chèvre référence à son passé de bergère, de la perte de l'enfant mort-né, cet enfant qu'il a pleuré, il la revoit encore trente ans plus tard, et imagine que c'est Sylvie sauvage et campagnarde, puis à force de la reprendre sur tout il la rendu inerte de ses actes comme une femme inutile adepte du dogme taoïste du non agir, esclave de lui , soumise, elle est devenu un fantôme, celui qu'il a créé comme une vengeance tacite de la mort de leur fille, puis l'anecdote troublante de Sylvie et du père de Hector son beau-père, il était discret , parlé peu , juste des petites phrases courtes, il l'avait fait demandé pour lui parler lui dire qu'elle était comme à statuette inca, son corps était antique, un trouble de sa voix pour lui dire ces choses que l'on ne dit pas à sa belle-fille, un secret intime trop puissant pour être véhiculé, lui demande la faveur de se montrer nue devant lui, il est âgé, son corps est comme celui des femmes des cavernes, elle se montre à lui comme une forme de respect, cet acte fort et intime les lie à jamais dans leur chair, Sylvie se met à nue, ce secret sera à jamais sourd, après sa mort , enceinte, la main sur son ventre elle prononça cette phrase comme un hommage à cet vieil homme « Femme des cavernes », cette femme me plait dans façon d'agir, c'est une femme, certes soumise par complaisance, car comme peut le dire Hector, aimant dominer sa femme, être plus que tout avec sa femme, il a honte et pense à la formule de Napoléon sur la Chine
« Quant Sylvie s'éveillera, le monde entier tremblera. »
J'aime l'idée de ce réveil, de cette force cachée, prisonnière de sa timidité et de sa soumission pour son Mari, par amour et simplicité, Sylvie, au matin souvent, se retrouve anxieuse, au bord du précipice, dans une voie qu'elle ne doit pas suivre comme elle l'a déjà fait plus jeune, son mari Hector la guide, pour avoir des repères, elle aime être la grand-mère de son fils et le bébé de son mari, belle ambiguïté, s'amuse dans la rue avec des inconnus à concevoir qu'elle est sa mamie, un jeu de dupe, de son âge avancé pour être mère, mais s'en accommode de cette pirouette amusante et savoureuse de sa piété légère et naturelle.
Sylvie prends des cours de poterie, avec pour professeur Lauren ayant déjà exposée dans plusieurs grandes villes américaine, discutant avec parcimonie, restant dans sa bulle, comme toujours, discrète, solitaire de sa vision de son manque de pertinence, Sylvie s'entretient avec Lauren, lui avouant sans honte qu'elle en a marre de faire ce stage de poterie avec ses ignorants, aimant l'attitude se Sylvie, elle lui fait penser à une espionne du temps de guerre froide, son visage est impassible face à la terre, encore cette ironie de Sylvie qui ne fait rien car elle attend juste l'inspiration, celle qui est vierge d'idée, cette inertie statique qui définit au plus profond de sa chair cette femme sans idée.
Sylvie trouve dans cette terre nouvelle, une forme de passerelle entre son passé et sa destinée, des bribes de sa vie s'évaporent de son esprit pour en prendre possessions à tout moment, sa fille décédée, une blessure encore brulante dans sa chair, une vie sans mère, sans compagne d'amitié, à la lisière de l'isolement, c'était un handicap, exclut d'un secret de femmes, de ces conversations féminines, abandonnée dans l'ilot solitaire des soucis des femmes, la puberté, la ménopause, traversant ses étapes dans l'ignorance d'une conversation entre femmes, sans soutien., puis petit à petit Sylvie navigue au fond d'elle-même, comme une évidence, sa ménopause lui reviens en mémoire cette transition comme celle de son adolescence, sans amertume , juste une curiosité, une suite logique de sa vie, et s'ensuit une description des symptômes, des montés de chaleur, des lieus, des regards, des médecins et de leur indifférences face au désordre subit, elle veut juste parler de ces changements, avoir une oreille attentive à ces phénomènes fluctuants. Elle s'interroge sur le complexe féminin, ses émois, toutes ses choses qu'elle ne lit pas dans des romans, seul la rive masculine étalait ses dérives comme les lectures de Philip Roth, Romain Gary osant parler de leur adolescence masturbatoire, toute cette impudeur mise dans leur prose, leur panne sexuelle, et de là Sylvie disparait dans les silences féminins de leur désirs, pour disparaitre dans une réflexion simple sur de ne pas avoir lu les bons livres surement, l'homme se raconte, la femme est plus silencieuse dans ce sens, cette parenthèse où le corps mute vers une métamorphose volcanique ou les coulées de lave transpire le corps, ils sont élus le couple le plus sexy, eux les vieux, son mari se retrouve le nouveau Foucault, belle ironie, elle se rappelle son passé de bergère, elle s'amuse des femmes déguisées qui papillonnent autour de son mari, de son oeil candide et confiant, puis s'évade en regardant ces femmes fatigués cernés plus jeunes engluées dans leur vies, leur sacs qu'elles n'a plus , se souviens des pochettes qu'elle fabriquait, une forme de liberté, d'émancipation….
Sylvie n'oublie pas, sa jupe en daim, ce premier achat de jeunesse, lui a permis de s'émanciper de son père et des hommes. Un refrain de son fils lui rappelle la chorale, et de son père ne voulant pas qu'elle prenne la mobylette, lui préférant de faire du stop pour dire cette phrase horrible
« J'la préfère violée que morte »
Chanter du Bach la rapproché de Dieu qui l'entendait, elle en était certaine, elle n'avait aucune sensation en mirant dans la glace, car dans son enfance il y avait peu d'endroit pour le faire, poitrine fine, elle n'avait jamais porté de soutien-gorge. Elle se trouve au États-Unis, pour que son enfance s'invite en elle, le futur donne naissance à son passé.
Du succès de son mari, elle n'est pas jalouse, pour elle la jalousie est avilissant, un panorama solitaire ouvrant sa vue vers un café en pleine nature de devanture moderne, elle regarde son mari avec une autre femme, d'une bougie pour éclairer ce tableau de Georges de la Tour, elle aime cette scène, sans jalousie, savoure l'instant du baiser de son mari avec sa maitresse Caridad Lopez y Lopes, professeur de littérature, divorcée, deux enfants, cinq et trois ans. Sylvie connait parfaitement son mari, il aime l'oisiveté chez une femme, cet amour courtois.
Sylvie, toujours aussi imperturbable, rentre de cette scène qu'elle n'a pas vue, il ne sait rien passé, et ce geste particulier de son marin remettant en désordre le petit triangle de son col de chemise, toujours relevé, comme un signe de son amour pour sa femme.
Ce geste anodin du petit col relevé est pour Sylvie un acte d'amour, ce détail cristallise cet amour pour son mari.
La famille parle de l'attentat du Bataclan, si Lester connaissait des victimes, Sylvie et son fils ont une vraie conversation, un échange utérin se créé, un lien maternel universel, avoir de la douleur pour des inconnus morts, cette empathie bien vaillante, et prie en le cachant à sa maman, évoque qu'il l'aime en anglais, une forme de honte de sa foie nouvelle. Ces attentats marquent Lester dans son âme, trouve la foi pour Dieu, lisant Les confessions de Saint Augustin, Lester connait la cruauté humaine, cette vilaine qu'il détaille avec beaucoup de froideur, ce qui effraie sa mère, elle se détache de cette conversation, son fils est trop alerte, trop intelligent, il diserte la nature humaine avec beaucoup de pragmatique, comme une dissection, il a cette froideur d'un psychopathe, cette cruauté, qu'il reconnait. Il pense être un monstre.
« Elle voudrait lui vanter les mérites de la lâcheté, l'initier au génie de l'autruche »
Sylvie au fond d'elle rejette son fils, le sentant un Monstre. Lester pense que les êtres humains ne pensent qu'au plaisir du sexe. Lester méprise la nouvelle technologie, les téléphones portables, internet, le passage sur la Bataclan avec ce jeune garçon ayant perdu 4 doigts perturbe Lester, relaté par une fille sur internet, cette réflexion du rôle de la toile et sa rapidité à vomir ces informations, Lester est plus choqué par la manière de cette information est venue à lui, il la compare à la boue après une inondation,
« C'est une boue semblable à celle qui suit les inondations et cause autant de dégâts que l'eau elle-même »
Certes le roman oppose deux Amériques avec deux de ces personnages, Farah Asmanantou, une immigrée du Yémen, la directrice du département, maitresse d'Hector, son parcours laborieux, étudiant et récurant les toilettes des étudiants de Mathématiques en même temps, idéalisant le prochain vote des américains pour une femme Président des États-Unis, à son apposé, la femme de Jhersy Gonçalves, professeur de littérature espagnole, d'origine polonaise, Astrid, d'origine du Sud, issue de la septième génération dans le coton, côté raciste de cette belle Amérique, votant Donald Trump sans remords, ces deux femmes représentent bien cette dualité américaine, ouverte et fermée à la fois.
Pour finir avec ce roman, j'aurai aimé Agnès Desarthe écrire un vraie roman de femme, une vie de femme sans pudeur, allant dans le coeur et la chair de ces femmes, leur quotidien, leur désir, leur envie, leur faiblesse, leur fantasme, leur peur, leur vie…
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Le nouveau roman d'Agnès Desarthe est un petit bijou. Il offre une densité de saveurs qui ne peut que ravir les palais sensibles. On y retrouve la douce ironie de l'auteure, son goût pour les personnages décalés et la finesse de son sens de l'observation et de la dérision. Plus je lis Agnès Desarthe et plus j'apprécie ses écrits (l'écouter parler est également une expérience que je conseille à tous les amoureux de la littérature). Mais j'avoue avoir pris un plaisir particulier avec ce dernier opus qui joue sur toute la gamme des sentiments et provoque une rare palette de réactions chez le lecteur.

Parfois, ce roman évoque David Lodge, dans sa façon de scruter avec une férocité narquoise les relations entre les membres d'un campus universitaire. On pense à Changement de décor qui voyait deux universitaires, l'un anglais et l'autre américain échanger leurs postes pendant six mois. Notamment quand on se trouve dans l'avion qui, lors de la scène d'ouverture transporte Hector, sa femme Sylvie et leur fils Lester vers l'université de Caroline du Nord qui les accueille pour un semestre, on est tout à fait dans cette veine. Mais Agnès Desarthe est une auteure française et la comparaison s'arrête aux scènes de campus. S'il est bien question d'observation entre deux mondes, avec l'acuité et l'ironie qui caractérisent la romancière, c'est encore une fois une femme qui occupe le centre de l'histoire, et pas n'importe quelle femme.

Sylvie est un personnage étonnant, une femme au foyer qui s'applique à n'être rien car "être rien est un idéal qu'elle poursuit, son parcours s'inspire du non-agir, cela n'est pas le signe d'une défaillance, d'une situation humiliante, mais d'une éthique, un choix de vie". Elle s'est glissée avec joie dans son rôle de femme de puis de mère, et développe tranquillement une philosophie de vie pas forcément accessible à tout le monde. Pendant ce temps, Hector profite à plein de sa popularité inédite en tant que professeur émérite et surtout "français" avec tous les fantasmes qui s'y rattachent, un état qui transforme un peu tardivement ce sexagénaire en don Juan. le jeune Lester, lui, cherche sa voie comme tout adolescent et se mue peu à peu en une sorte de gourou, se rebaptisant lui-même Absalom Absalom. C'est depuis les Etats-Unis que la famille vivra, de loin, les attentats de novembre 2015, une perspective qui donne lieu à une analyse passionnante de la façon dont chacun perçoit les événements du monde. "On se connait tous. On est reliés" dit Lester pour tenter d'expliquer à sa mère comment les souffrances d'individus qu'il ne connait pas, de l'autre côté de l'Atlantique le bouleversent.

Et c'est peut-être là le coeur du propos de ce livre. La façon dont les choses nous touchent. Que ce soit dans l'intimité (il y a ici une réflexion savoureuse sur le couple, sur la durée d'une relation et ces petits rien ou à l'inverse les drames traversés ensemble qui la rendent indestructible) ou à un niveau plus universel. Comment un malheur collectif impacte chaque individu, en fonction du contexte, de la façon dont se propage l'information. Il y a dans le personnage de Sylvie toute la complexité des forces et des faiblesses qui se bousculent en elle mais dont émerge la beauté du lien maternel. Les scènes entre la mère et le fils sont belles à couper le souffle ; la page 137 vous cueille d'un uppercut à l'estomac. Et tout le fil narratif tient aux réactions de cette femme, dont l'apparente légèreté ou évanescence du début révèle une intelligence instinctive, viscérale et salutaire.

Pour faire simple, La chance de leur vie c'est du grand art, qui vous accroche d'abord un sourire moqueur au bord des lèvres avant de vous retourner les méninges et le coeur. Plus que jamais, Agnès Desarthe décale les perspectives et c'est aussi profond que spectaculaire.
Lien : http://www.motspourmots.fr/2..
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C'était " La chance de leur vie "... Ce dernier roman d'Agnès Desarthe est le reflet d'une France vue d'outre-Atlantique, dans l'ironie et la dérision. Publié aux éditions de l'Olivier en cette rentrée littéraire 2018,  c'est à travers un couple affecté par les mensonges et  les infidélités que l'on retrouve le goût de l'auteure pour les personnages franchement décalés.

Hector, Sylvie et leur fils Lester sont à bord de l'avion qui doit les emmener aux Etats-Unis. Une nouvelle vie s'offre à eux. En effet, Hector - poète et philosophe sexagénaire - a été nommé professeur à l'université de Caroline du Nord.
p. 8 : " Leurs vies à tous les trois allaient être si radicalement bouleversées qu'il convenait d'appliquer la devise d'Edwina, sa belle-mère : "S'étonner toujours, se démonter jamais. "
Sylvie va devenir le centre de ce roman, devenant les yeux du lecteur. Femme au foyer, elle revendique - silencieusement toujours - son statut, n'éprouvant ni fierté ni gêne. " être rien est un idéal qu'elle poursuit, son parcours s'inspire du non-agir, cela n'est pas le signe d'une défaillance, d'une situation humiliante, mais d'une éthique, un choix de vie".
Un drame vécu plusieurs années auparavant plane secrètement au-dessus du couple, comme une ombre innommable au tableau.
p. 126 : " Je sais, maman. Je sais que, papa et toi, vous avez perdu un bébé. Une fille. Longtemps avant ma naissance. "
Alors parfois, la mélancolie reprend ses droits et Sylvie dont la tension quotidienne est proche du zéro, laisse cours à ses pensées.
p. 63 : " Certains matins, Sylvie se demande si elle existe encore et, juste après, ce que cela signifie d'exister. Elle sent alors, sous ses pas, le rebord d'une spirale d'anxiété. Si elle avance sur cette voie, elle sera fichue. Elle glissera, perdra ses moyens, ne saura plus remonter. Cela lui est arrivé autrefois. Elle se rappelle la sensation. Un anéantissement auquel on assiste en spectateur, jusqu'au moment où l'on se rend compte que l'on est soi-même démoli. On est alors saisi par l'effroi et l'envie de fuir, sauf que l'on n'a plus l'énergie nécessaire pour s'échapper, faire marche arrière. L'énergie elle aussi a été détruite, absorbée. Mais c'est différent à présent. Elle est simplement dépaysée. "
Pendant que son mari affine ses liens avec ses collègues, notamment Farah Asmananton, Sylvie décide de s'inscrire à des cours de poterie, sur les conseils de l'Alliance française. Elle y fait la rencontre de Lauren, professeure, qui se prend à voir dans l'état de léthargie de Sylvie une artiste en devenir...
p. 120 : " Pas d'impatience chez toi, pas de volonté de prouver quoi que ce soit. C'est l'humilité première, primaire, le douloureux et nécessaire constat de l'incapacité. Commencer par penser que l'on n'est pas capable, c'est le préalable à tout ce qui suit. "
Lester, quant à lui, comme tout adolescent qui se respecte, vit dans une sorte de bulle. Sa propre bulle surtout... il se rebaptise par la même occasion "Absalom Absalom". Il attire ses amis dans des regroupements dignes d'une réunion de secte. Il n'existe pas de réelle cohésion dans cette famille, et pourtant Lester formule inlassablement des prières.
p. 113 : " Protégez mes parents. Protégez-les de la violence du monde, de la tristesse."
La famille Vickery vivra de loin les événements des attentats de Paris. Mais l'émotion qui reliera les compatriotes français sur le sol américain a presque un aspect touchant. Mais les américains sont obnubilés par les élections à venir, dans une Amérique pré-Trump.
Les doutes de Sylvie quant aux infidélités de son mari se confirment lors de l'intervention du dépanneur de machines à laver. Ce dernier fait la découverte de préservatifs coincés dans le tambour.
p. 162 : " Ils s'embrassent lentement, avec délice, et c'est à ce moment qu'a lieu la révélation : Voilà comment mon mari embrasse quand il ne m'embrasse pas moi. "
Dans un état d'apathie désarmante, Sylvie n'en éprouve ni jalousie ni colère.

Si l'incipit de ce roman me semblait particulièrement prometteur, je ne cache pas l'effort qu'il m'a fallu pour atteindre le point final ! Je suis certainement passée à côté de la subtilité de cette histoire.... totalement insipide à mon goût. L'auteure se moque et stigmatise la place des femmes dans la société américaine. On y dénote les différences de culture entre les deux pays. Mais le personnage de Sylvie me semblait  très prometteur de prime abord par l'introspection qu'elle fait de sa vie et de son couple. Déception...
Lien : https://missbook85.wordpress..
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Une petite famille française bien comme il faut s'expatrie aux Etats-Unis. Hector le père, philosophe reconnu vient d'obtenir un poste dans une université de Caroline du Nord. Une chance qu'il doit bien sûr principalement à la pertinence de ses recherches, mais aussi à l'élan de solidarité du conseil d'administration de l'établissement, la France a tellement été éprouvée par les attentats du 07 Janvier 2015.

Automne de cette même année, Hector et Lester le fils se fondent avec facilité dans cette nouvelle vie, Sylvie, la mère, a un peu plus de mal avec l'art de vivre des « expat » microcosme au mode de fonctionnement si particulier. Et puis, le 13 novembre 2015 ! Comment vivre les attentats du Bataclan, lorsque l'on est parisien loin de la capitale ? Bien sûr des proches sont impactés, mais si loin la vie continue.

Hé oui, si loin, pendant ce temps, sur la planète, les gens baisent et boivent et c'est à peu près tout ce qui les intéresse. Mensonges et infidélités, à l'aune d'une l'échelle dans l'Univers, le couple est certainement la chose la moins importante et c'est pourtant la chose plus importante.

Le couple, Paris, la France, le Monde face à la barbarie.
Agnès Désarthe trouve la bonne distance, son roman se lit d'une traite et pose de belles questions que le lecteur gardera longtemps à l'esprit.
Lien : http://www.baz-art.org/archi..
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critiques presse (6)
Liberation
27 janvier 2020
La langue ciselée et sensible saisit le quotidien d’une famille française installée aux Etats-Unis en captant les harmonies et les dissonances que porte l’intrigue en perpétuel mouvement. Et c’est un bonheur de suivre le flux de pensées qui accompagne le surgissement du fantastique dans la normalité perturbée d’un couple où, si la gloire est réservée à l’homme, la conscience revient à sa femme.
Lire la critique sur le site : Liberation
Bibliobs
05 novembre 2018
Le roman traite de questions universelles, le couple, la fidélité, la loyauté. En arrière-plan, il campe une situation générale explosive. Derrière leurs écrans, les héros assistent impuissants aux ravages que subit la France, meurtrie par les attentats du Bataclan.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
LeFigaro
21 septembre 2018
Dans une rentrée littéraire où abondent les récits «d'après une histoire vraie», réjouissons-nous qu'Agnès Desarthe invente des personnages et se lance encore dans la pure fiction, celle qui est capable de donner à voir ce qui n'a pas été mais pourrait être et ce que le présent fait concevoir aux écrivains.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
LeMonde
30 août 2018
Aussi intelligent que sensuel, La Chance de leur vie observe, de ses phrases courtes qui réussissent à malaxer ensemble la perplexité, l’empathie, le sens du tragique, la sauvagerie et la drôlerie, ce qu’être touché signifie. Métaphoriquement et littéralement.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Telerama
24 août 2018
Infidélité, mensonge… Une réflexion ironique sur le couple, avec les Etats-Unis pour décor.
Lire la critique sur le site : Telerama
Lexpress
22 août 2018
D'une écriture vive, singulière, ponctuée de dialogues presque surréalistes, Agnès Desarthe signe une espèce de campus novel fascinant, genre qui lui sert de prétexte à l'observation poussée du désir des uns, de la loyauté des autres, des tourments de tous.
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Hector s’est chargé de tout. Il a plié de nouveau tous les pulls que Sophie avait pliés, mais al/ Sans remarques désagréables, sans se moquer ni se plaindre. Sylvie l’a regardé faire, reconnaissante, tout en ayant l’impression qu’on lui sciait doucement les poignets. Les jours s’empilent. Pourtant le quotidien semble ne pas se construire ; l’habitude et sa prodigieuse force d’inertie sont absentes. Certains matins, Sylvie se demande si elle existe encore et, juste après, ce que cela signifie d’exister. Elle sent alors, sous ses pas, le rebord d’une spirale d’anxiété. Si elle avance sur cette voie, elle sera fichue. Elle glissera, perdra ses moyens, ne saura plus remonter. Cela lui est arrivé autrefois. Elle se rappelle la sensation. Un anéantissement auquel on assiste en spectateur, jusqu’au moment où l’on se rend compte que l’on est soi-même démoli. On est alors saisi par l’effroi et l’envie de fuir, sauf que l’on n’a plus l’énergie nécessaire pour s’échapper, faire marche arrière. L’énergie, elle aussi a été détruite, absorbée. Mais c’est très différent à présent. Elle est simplement dépaysée. Hector lui parle de repères. Il lui conseille de prendre ses marques, de s’inventer une routine et, assez rapidement, tout s’améliore. Lester se rend au collège avec le bus jaune. Il est plein de vigueur. Il semble avoir grandi d’un ou deux centimètres. Sylvie a étudié les brochures rapportées quelques semaines plus tôt de l’Alliance française. Cours de danse, de tai-chi, de langues, soirées lecture, spectacles pour enfants, semaine gastronomique. Combien de temps vont-ils rester ? Cela vaut-il la peine qu’elle s’inscrive à toutes ces activités ? N’en choisir qu’une. Atelier de poterie, le mardi et le jeudi. Hector la félicite. Il lui confirme que l’important, c’est de structurer sa semaine.
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Pourquoi sa main me soigne-t-elle, se dit Sylvie. Il pose la main sur moi, à n'importe quel endroit, et je suis aussitôt guérie.Il sait toujours à quel endroit me toucher. Parfois, il me tient par l'auriculaire et c'est précisément ainsi que je veux être tenue. D'autres fois, il plaque sa main sur mon dos, à peine en dessous de la taille, comme si nous allions nous mettre à danser. C'est très rare. Très efficace. Même si nous vivons ensemble, dormons ensemble, faisons l'amour ensemble, il me semble qu'il garde toujours les mains dans les poches, ou croisées derrière la tête, comme pour ménager leur pouvoir.
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Sylvie avait lu Philip Roth, elle avait lu Romain Gary, d’autres encore, ces écrivains mâles dont l’impudeur était réjouissante. On y apprenait tout, de leurs premiers émois jusqu’à leurs pannes récentes, en passant par leurs idiosyncrasies masturbatoires et leurs fréquentes mictions nocturnes. On demeurait, toutefois, sur la rive masculine. De l’autre côté de l’eau, c’était le silence. Silence sur les marées des montées de lait, sur l’écartèlement des tissus au moment de donner naissance. Les premières règles faisaient sujet, l’avortement aussi, parfois, car ils allaient dans le sens de la conquête, le triomphe de la nubilité, la victoire de la liberté.
Il lui semblait qu’elle avait connu le goût du sperme avant de l’avoir sur la langue. Et pendant ce temps, durant toute cette effarante logorrhée de l’homme, sexe brandi page après page, la femme muette tentait de raconter une autre histoire, la sienne, qui paraissait n’intéresser personne, pas plus ses semblables que les garçons dont on comprenait aisément la moue dégoûtée.
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"Tu en feras un égoïste, répliquait Hector. Il faut laisser les enfants se dépatouiller avec la métaphysique. c'est privé. C'est comme....comme les caleçons."
La métaphysique comme les caleçons? Vraiment ? se demandait Sylvie. Quelle étrange comparaison. Surtout venant de la bouche d'un philosophe, d'un poète. Oui Hector avait raison à sa manière . Il s'agissait de laisser l'enfant tracer sa propre voie, trouver sa propre voie.
p 122












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On regrette toujours le passé pour l’unique raison, amère et suffisante, que la distance qui nous séparait alors (théoriquement) de la mort était plus importante.
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Vidéo de Agnès Desarthe
Par l'autrice & Louise Hakim
Rue du Château des Rentiers, 13e arrondissement de Paris : c'est là que se trouve une tour impersonnelle et peuplée d'habitants tout sauf riches. Là vivaient les grands-parents de la narratrice, Juifs originaires d'Europe centrale, et leur phalanstère, point de départ d'une réflexion superbement libre sur la beauté de ceux qu'on nomme les « vieux » et sur le fait de vieillir soi-même. Ce récit, en forme de déambulation toute personnelle, est à l'image de son autrice : aussi drôle, lumineux que surprenant.
À lire – Agnès Desarthe, le Château des Rentiers, L'Olivier, 2023.
Lumière : Patrick Clitus Son : William Lopez Direction technique : Guillaume Parra Captation : Claire Jarlan
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