L'Ecrivaillon, ou, L'Enfance de l'écriture

Il regardait avec passion et une curiosité malsaine lire les adultes.Quand ils avaient peur, quand leur vie était trop dure, ils n’arrivaient même plus à lire. Ils ne rassemblaient plus les mots, ils disaient déprimer. La phrase ne les intéressait plus. Ils étaient incapables de s’enchaîner à un livre et de supporter sa malignité, c’était un symptôme. L’écrivaillon entendait souvent, autour de lui, je ne lis plus depuis la mort de mon mari, depuis que je suis au chômage, depuis qu’elle est partie. Et puis, quelque temps après, ils avouaient recommencer à lire un peu. L’effort de lecture est donc signe de guérison. Le livre n’est pas seulement demande d’évasion et d’oubli, il réclame, il demande, il nécessite la saine présence du lecteur. Si l’imaginaire est resté là-bas, avec le mort ou l’absente, il n’y a plus de lecture.

L’écrivaillon s’était donc constitué un album de citations, qui débordait. Certaines étaient si importantes qu’il les avait copiées sur la page de garde de son agenda. Celles-là pourraient le tenir un an, elles l’empêcheraient, s’est sûr, de crouler. Les mots moins puissants, l’écrivaillon les notait au crayon de papier sur une demi-feuille volante. Il avait l’espoir qu’ils lui serviraient, même une seconde seulement, à faire éclater sa vie intérieure, hallucinante, musicale, rayonnante.
Souvent, l’écrivaillon feuilletait son album.(…) Peut-être quelques citations s’étaient-elles abîmées en passant du livre à la page vierge, et l’écrivaillon n’en tira pas le réconfort qu’il avait espéré. D’autres étaient restées intactes et aussi vives que lorsqu’elles furent émises. Elles le rendirent indépendant, mais sans jamais l’abandonner.

Pour échapper à la mort éternelle, l’écrivaillon cherchait la croissance éternelle.