Elle brouillonne et elle bouillonne, cette femme brouillon dont on devine qu'elle reflète les embrouillaminis de l'auteur. Et lorsqu'elle attend un enfant, tout s'embrouille davantage, surtout qu'en l'occurrence personne n'a droit à un brouillon qui servirait en quelque sorte d'essai avant de se lancer dans la maternité. Maternité... voilà un mot qui résonne drôlement dans ce livre-chronique dont le personnel, l'intimité même, s'élargit vers l'universel. Etat, lieu, statut, choix, option de vie, projet, tous les sens du mot sont fouillés par le biais des questions, des situations et des variations parfois violentes, parfois imperceptibles qu'il apporte dans une existence de femme lorsque du signifié-signifiant il passe au référent. Femme... voilà l'autre mot qui balance et contrebalance et vient embrouiller et définir le premier. Etre femme - Etre mère. Comment ça se goupille tout ça quand on a soi-même des références défaillantes quant à la "chose maternelle" et quand on est soi-même une féministe ardente ? Femme ou mère ? Femme et mère ? Femme à mère ? Femme amère ? Les combinaisons ne manquent pas et les jeux de mots n'y changent rien : chacune doit débroussailler son propre chemin au fur et à mesure, sans attendre qu'il soit tracé à l'avance. Si ce n'est guère rassurant, c'est en tout cas extrêmement stimulant et inspirant que de savoir que nos routes et nos choix nous appartiennent et à nous seules ! Femme parfaite mère épanouie mère parfaite femme épanouie ? Et le sentiment de culpabilité on en fait quoi quand on sait que bébé est chez une autre qui s'en occupe et quand on aime profiter de ce temps loin de lui ? Et la honte on en fait quoi quand les autres mères (les parfaites pas brouillon) affichent leur dextérité à donner le sein, le biberon, les couches, comme si elles avaient passé leur vie à faire ça, à s'y préparer, à s'y entraîner ? Et l'envie d'écrire, de créer on en fait quoi ? Et l'amour ? Et le sexe ? Et le couple ? On fait quoi de tout ça qui d'un coup ne semble plus aussi évident qu'avant, comme si d'invisibles liens empêchaient d'être à nouveau uniquement soi.
Avec sa manière unique de rendre compte de la réalité par une écriture percutante,
Amandine Dhée exprime tous ces doutes, toutes ces interrogations et ces pensées (parfois inavouables) qui traversent l'esprit, qui s'y attardent, dès que le test de grossesse est positif. Derrière le point de vue plein d'humour de la narratrice, on discerne le gouffre des incertitudes et d'une véritable angoisse. L'angoisse de ne pas savoir être mère et de ne plus pouvoir être femme.
Elle tranche dans le vif,
Amandine Dhée, avec cette "Femme brouillon" qui incise juste là où ça pourrait s'infecter de renoncements et de compromis, voire de compromissions. Elle taille hardiment dans les codes et conventions pour leur donner des habits qui me plaisent bien, qui me vont mieux que ceux des discours habituels. Oui ce récit-là, raconté avec des mots de cette force-là, va m'accompagner un bon bout de chemin !