Nous avions un but que nous ignorions nous-mêmes. Nous croyions jouer un jeu. Certes, je me montrais assez désorienté, et Jenny toujours sûre d'elle-même. Et pourtant nous avions la même prétention. Nous nous jetions dans les événements sans savoir que nous voulions je ne sais quel véritable et impossible amour. Elle avait pu rêver de moi et ne pas trouver en moi ce qu'elle avait rêvé. Pour moi, c'était le contraire. J'acceptais tout ce qui était en elle, mais sans savoir ce qu'elle était. Nous vivions pour quelque chose d'absolument inconnu, comme tous les êtres le font sans doute. Mais nous avions mis en branle des événements qui s'étaient précipités dans le sens de nos voeux impossibles et inconscients, avec une force si effrayante que quelqu'un devait périr sans doute.
[André DHÔTEL, "Mémoires de Sébastien", éditions Grasset, Paris, 1955 (réédité dans la collection "Les Cahiers Verts", 1967) — page 258]
Le bocage avait toute sa richesse d'été. Le vent de mer agitait les feuilles des ormes. Des oiseaux nombreux traversaient les forêts, les landes et les marécages. Je m'arrêtais parfois sur une route à la croisée des petits chemins pour assister à la promenade d'une salamandre, au va-et-vient des abeilles sauvages, ou bien aux jeux de quelques gamins sous l'ombre des haies. Je parlais à quelque paysanne. De brèves paroles échangées. La grâce des regards, la douceur des seins et des bras m'étonnaient plus que jamais, comme si Jenny m'avait fait mieux comprendre l'inimaginable beauté des filles et du monde qui les entourait. J'avais bonne mine d'être si peu désespéré et si avide de beauté. C'est bien ici le journal d'un propre à rien. Disons tout de suite qu'un jour je me rendis à Sainte-Luce.
[André DHÔTEL, "Mémoires de Sébastien", Grasset, 1955 (réédité dans la collection "Les Cahiers Verts",1967) -- pages 127-128]
C'est alors que je vis la jeune fille. Elle était debout dans l'ombre d'un buisson. Ses cheveux blonds s'étaient accrochés à une ronce et elle s'efforçait de se dégager. Je pensai la reconnaître. Sans hésiter je suis allé vers elle. J'ai cassé la ronce puis j'ai pris la jeune fille par le bras et je lui ai dit de se jeter par terre le long du petit talus. Nous étions allongés face contre face lorsque les avions passèrent au-dessus de nous.On entendit bientôt une mitraillade dans l'éloignement, après quoi ce fut un grand silence.
[André DHÔTEL, "Mémoires de Sébastien", Grasset, 1955 (réédité dans la collection "Les Cahiers Verts",1967) -- page 18]
Il y a peut-être des lieux où l'on se trouve soudain comme dans le ciel.
[André DHÔTEL, "Mémoires de Sébastien", Grasset, 1955 (réédité dans la collection "Les Cahiers Verts",1967)]
« […] J'ai reçu de François Dhôtel (1900-1991), sous la forme d'un « tapuscrit » photocopié […], la merveilleuse suite de poèmes que voici. Je me suis dit qu'André Dhôtel, à la mort de qui je n'ai jamais cru, se dévoilait soudain plus vivant que jamais, avec la lumière pailletée de son regard et son sourire en coin.
[…]
Maintenant ces poèmes sont là, qui n'ont rien de testamentaire, même si l'on devine que leur auteur peu à peu s'absente - mais c'est pour mieux affirmer une présence imprescriptible.
Voici ces poèmes, dans l'ordre où je les ai reçus. […] Les poèmes naissent de la couleur du ciel, du temps qu'il faut, d'un écho des jours ordinaires et miraculeux, comme les impromptus qu'aimait tant Dhôtel, ou les petites pièces de Satie. […]
Au rythme séculaire des premières lectures éblouies,
« Voici donc le chant
de la jeunesse oubliée
et des souvenirs perdus »
[…] » (Jean-Claude Pirotte)
« […] Des paroles dans le vent
en espérant que le vent
est poète à ses heures
et nous prêtant sa voix
harmonise nos artifices.
Nos strophes seraient bien des branches
avec mille feuilles que l'air du large
fera parler peut-être un jour
où personne n'écoutera.
Car l'essentiel serait
qu'on n'écoute jamais
et qu'on ne sache pas
qui parle et qui se tait.
[…] » (Espoir, André Dhôtel)
0:00 - Abandon
2:00 - Attente
3:30 - En passant (II)
4:50 - La preuve
5:30 - L'inconnu
6:15 - Splendeur (II)
6:46 - Générique
Référence bibliographique :
André Dhôtel, Poèmes comme ça, éditions le temps qu'il fait, 2000.
Image d'illustration :
https://clesbibliofeel.blog/2020/04/08/andre-dhotel-idylles/
Bande sonore originale : Scott Buckley - Adrift Among Infinite Stars
Adrift Among Infinite Stars by Scott Buckley is licensed under a Creative Commons Attribution 4.0 International License.
Site :
https://www.scottbuckley.com.au/library/adrift-among-infinite-stars/
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