On ne va pas se mentir :
Sully Prudhomme a beau avoir été le premier prix Nobel de littérature, parmi les poètes français, il n'est ni le plus connu, ni le plus prisé, ni le plus original. Et si j'ai lu un second recueil de lui après Impressions de la guerre, c'est surtout parce que Meps pousse les membres du challenge Nobel de Babelio à lire au moins deux fois un auteur - ce qui est une bonne chose en soi, puisqu'une première déception peut être trompeuse. Pour autant, je ne m'attendais pas à des miracles.
J'avais pourtant choisi, pour ma seconde expérience, un recueil au titre qui me paraissait plus alléchant que le reste de la production poétique de Prudhomme :
Les Solitudes (1869). Non pas que ce soit là un titre hautement audacieux, mais je me disais qu'il y avait peut-être là matière à... à je ne sais pas trop quoi, en fait. Toujours est-il que ma bonne volonté en a rapidement pris un coup dans l'aile.
Pourtant, certaines thématiques étaient prometteuses, comme l'enfance, et notamment l'enfance solitaire (forcément), effacée, qui ne peut pas s'épanouir. C'est le sujet du tout premier poème, Première solitude. Gros souci : le style, très conventionnel, qui brise net tout enthousiasme. Et c'est comme ça tout le temps, et surtout, surtout, quand il semble que Prudhomme tient un sujet qui va lui permettre de se lâcher, de se défaire de son carcan d'alexandrins, de rimes et de césures à l'hémistiche. Eh ben non. Se lâcher, il ne sait pas, ou il ne peut pas, ou il ne veut pas. Il préfère se complaire dans des images mille fois déjà vues, comme celle du cygne qui "chasse l'onde avec ses larges palmes, Et glisse." Bon, bon, bon.
Parlons (rapidement, hein, parce que ça va bien deux minutes) du poème le Cygne, pourtant. Ou de la Valse. Ou d'Effet de nuit. À peine avais-je commencé à lire un de ces poèmes que je me mettais à penser à des artistes qui s'étaient emparés des mêmes motifs, mais qui, eux, se montrèrent novateurs. Degouve de Nuncques et son mystérieux Cygne noir, passant silencieusement sur l'eau dans un parc vide de toute présence humaine. Camille Claudel et son couple de valseurs. Etc., etc.
Pire que tout, ne voilà-t-il pas que Prudhomme se lance dans une diatribe où il vitupère contre les loisirs du peuple - vaudevilles, romans-feuilletons, et ainsi de suite. Pour en avoir lu un certain nombre, je sais bien que la plupart des pièces du théâtre de boulevard de la fin du XIXème n'étaient pas bien intéressantes (je ne parle pas ici de
Labiche ou de Feydeau). Mais ça sent beaucoup trop son bourgeois conservateur à mon goût. Aujourd'hui,
Sully Prudhomme fustigerait sans doute les séries télé, les jeux vidéo et les mangas, sans distinction aucune. Et je réponds donc ceci à
Sully Prudhomme, certes bien tardivement : "Que dire alors des poètes bien assis sur leurs fesses académiques, qui se contentent de se couler dans un moule leur donnant l'impression de faire partie d'une élite sous prétexte qu'ils plaisent à une société timorée, et qui seront plus tard considérés comme de simples faiseurs, prix Nobel ou pas ?" J'attends sa réponse...