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EAN : 9782374910598
160 pages
Quidam (16/03/2017)
3.67/5   9 notes
Résumé :
Années soixante-dix : Arno K. habite un quartier délabré de Berlin-Est. Surveillé par la Stasi à cause de ses activités «hostiles et négatives», il est assigné à résidence et à un travail obligatoire. Il fait l'objet de «mesures de désintégration» mises en place suivant un plan destiné à l'isoler et à le pousser insidieusement au suicide.

Dans un style laconique et elliptique, écho littéraire à la privation de parole et au mode de société «sur écoute ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Malgré la brièveté de ce récit qui rend compte de la destruction d'un individu par sa progressive dissolution sociale et professionnelle, Karsten Dümmel prend le temps -et/ou le risque- d'en varier les modes narratifs et d'y alterner les époques.

Années 70, Berlin Est.
Arno K. mène une vie de solitude, rythmée par son travail à l'usine électrique. Son existence n'a pas toujours été si vide et si morne. Il a vécu une lumineuse histoire d'amour avec Marie, fille d'un diplomate français, dont il a eu un enfant. Il a par ailleurs été brièvement reconnu pour ses écrits lorsqu'il était étudiant.

Mais Arno K. vit en RDA, où son comportement jugé "hostile et négatif" lui vaut non seulement d'être l'objet d'une surveillance constante, mais surtout d'être victime d'un lent et minutieux processus de désintégration. Relégué dans un quartier délabré et grisâtre de Berlin Est où semble s'étirer un éternel hiver, condamné à végéter dans sa condition ouvrière par le refus systématique de tous ses écrits par les éditeurs, l'entreprise d'anéantissement qui le vise a comme effet ultime et pervers qu'il la parachève lui-même, en se coupant, pour les protéger, de tous ceux dont il est proche. C'est ainsi qu'il cesse brusquement de voir Marie, qui repart en France et n'obtient plus aucune nouvelle de sa part ; il ne verra par ailleurs jamais sa fille.

Le récit alterne entre...
... l'évocation, sur un mode elliptique et abrupt, du quotidien absurdement vain d'Arno K.;
... les passages de son journal décrivant avec une sobre sensibilité sa relation avec Marie, qu'il relit avec l'amertume désespérée de celui qui n'espère plus réintégrer le cours d'une existence "normale" ;
... le souvenir solaire de ses séjours chez sa grand-mère, femme de caractère, fantasque et un peu sorcière élevée par des bohémiens...
... le tout entrecoupé d'extraits des rapports de la Stasi le concernant, rédigés en un langage codé, déshumanisant, dans lesquels le héros est désigné comme "sujet du processus" et ses relations comme "objets opérationnels". Les allers-retours entre passé et présent sont ainsi constants, le lecteur perdant parfois ses repères dans une temporalité devenue confuse.

Karsten Dümmel expose avec "Le Temps des immortelles" les rouages d'un système qui rabote tout ce qui fait la singularité de l'homme et lui permet d'accéder à la liberté : sa capacité à créer, à se confronter à la réflexion et à la différence. Face à l'annihilation de toute possibilité de reconnaissance, de réalisation individuelle et d'émancipation, le héros capitule, s'oublie, sombre peu à peu dans la démence.

Une thématique très intéressante, portée par un texte au style parfaitement maîtrisé dans ses nombreuses variations, et pourtant... je ne suis pas parvenue à entrer dans ce récit, peut-être trop court, qui m'a laissé un goût d'impalpable, comme si la victoire de la Stasi avait d'emblée fait du héros un être aux contours imprécis, presque transparents.
Lien : https://bookin-ingannmic.blo..
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La machine est-allemande à broyer, dans un enfermement intérieur dont sourd une étrange poésie.

Sur mon blog : https://charybde2.wordpress.com/2017/03/30/note-de-lecture-le-temps-des-immortelles-karsten-dummel/
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Karsten Dümmel, un auteur à lire pour qui souhaite s'imbiber de l'ambiance pesante qui existait dans l'ancienne RDA. « le temps des immortelles » est à la fois semblable et différent de son précédent (« le rapport Robert ») : différent par l'histoire (avec un petit h), la construction du récit mais semblable par l'Histoire (avec un grand H), les sensations d'enfermement et la fatalité imposées par ce système politique.

Dümmel a l'art de nous faire sentir le poids et l'étouffement créés par toutes les mesures de l'Etat totalitaire et pouvant, sans emprisonner quelqu'un, l'amener petit à petit à l'inaction, au désespoir, à la folie,…
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Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
Les mesures offensives consistant en des entretiens disciplinaires et des convocations officielles ont eu des effets préventifs sur le sujet du processus opérationnel OV Cordon. Son activité hostile a pu être freinée sur une période assez longue. Un des objectifs du processus opérationnel est d’isoler totalement le sujet de ses amis, collègues et famille et de le maintenir en état d’inquiétude permanente. Le but est d’atteindre un degré d’insécurité provoquant chez la cible l’impression qu’elle ne contrôle plus sa vie. De plus, les convocations répétées (au minimum trois à cinq fois par semaine) viseront à pousser le sujet du processus à réagir contre nos mesures, ce dont nous nous servirons pour nous retourner contre lui au motif de retombées passibles de peine.
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Arno demeurait isolé dans son équipe. On parlait peu entre collègues. Ils étaient plutôt sans langue. Les difficultés quotidiennes tenaient closes les bouches comme la fumée échappée du brûleur et les émanations de cendre rouillée dans l’ancienne chaufferie. Le plus souvent, ils s’exprimaient avec des exclamations brèves en lien direct avec le travail. Ce qui manquait, ce qui était utile. Ce qui marchait bien, ce qui marchait mal. Quand ils se mettaient à parler, Arno sentait les relents de WISMUTFUSEL dans leur haleine. Le mauvais alcool qu’ils éructaient au bout des premiers mots se répandait dans la pièce comme une odeur de pommes pourrissantes ou de bière éventée.
L’atelier et la chaufferie respiraient le silence.
Arno avait évité d’appeler le piquet d’incendie. Le numéro d’urgence était inscrit sur un bout de carton. Une feuille quadrillée, perforée avec soin, accrochée de manière visible au-dessus de l’établi avec son étau et sa perceuse. Une punaise faisait office de crochet. Les questions et explications lui auraient fait perdre inutilement son temps, pensait Arno, auraient été dérangeantes. Les choses s’étaient quand même arrangées sans leur intervention. Il avait appelé le dispatcheur pour lui signaler la panne, avait rempli le formulaire selon le règlement et avait agrafé les papiers ensemble. Soigneusement, avec un double pour tous les concernés. C’était tout. Pas de discussion, pas de lamentation, pas d’ennui. Tout était pour le mieux, se disait Arno, comme toujours, comme partout.
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La vieille aciérie était propriété du peuple à l’instar de la rue et du quartier. Seule la ville n’appartenait à personne – elle était déchirée, à l’image du pays et de ses habitants. Reposant encore dans sa peur. Elle ne dormait plus sans pour autant être réveillée. Et cependant elle baignait dans une brume de plaintes tourmentées et de désirs étouffés, de baisers humides et de coups sourds. Un manteau râpé l’enveloppait – usé jusqu’à la corde par le temps. Comme en dehors de ce monde. La ville en avait vu de toutes les couleurs. Destruction, mise à sac et division. Démolition et reconstruction. Adieu et arrivée. Douleur et séparation. Désespoir, trahison parfois – mais de compassion, jamais. Elle avait été maltraitée et violée, et elle s’était soumise en suffocant. Sans cesse, encore et encore. Et ce matin aussi, la ville semblait recroquevillée comme dans des chaînes. Inquiète et nerveuse, à se tourner d’un côté et de l’autre. Encore fortement étreinte par le souffle feutré de la nuit. La ville – Berlin, Berlin-Est – un lundi de septembre, trente et un ans après la fin de la guerre. Six heures vingt-cinq.
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Dans la ville d’Arno, les cimetières étaient différents. Il n’y avait pas de portails sud et nord. Ni au cimetière des Invalides, ni à celui de Sainte-Hedwig. L’accès et la sortie étaient barrés par des guérites et sentinelles. Voie à sens unique – impasse. Tombes et morts divisés comme la ville. De ce côté-ci même les anges refusaient de s’agenouiller. Tout honteux se voilaient la face devant le treillis en métal déployé, le Mur et le fil de fer de mise en garde. Ailes détournées, ils demeuraient dans l’ombre des tilleuls centenaires. Souvenir labouré et enfoui. Commémoration ensevelie. Nulle voix dans le ciel, nul gazouillis au sol, à peine un murmure dans l’herbe. Dans le sous-bois des abris envahis par la végétation. Zone interdite. Attention – Point de contrôle des laisser-passer. Berlin Mitte : Chausseestraße, Oranienburger et Invalidenstraße, Landsberger Allee, puis Ostkreuz, Plänterwald, Karlshorst, Erkner – la ville à l’extérieur de la ville. Et le pays autour. Immensité ouverte sans espace.
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Dans la ville d’Arno, les cimetières étaient différents. Il n’y avait pas de portails sud et nord. Ni au cimetière des Invalides, ni à celui de Sainte-Hedwig. L’accès et la sortie étaient barrés par des guérites et sentinelles. Voie à sens unique – impasse. Tombes et morts divisés comme la ville. De ce côté-ci même les anges refusaient de s’agenouiller. Tout honteux se voilaient la face devant le treillis en métal déployé, le Mur et le fil de fer de mise en garde. Ailes détournées, ils demeuraient dans l’ombre des tilleuls centenaires. Souvenir labouré et enfoui. Commémoration ensevelie. Nulle voix dans le ciel, nul gazouillis au sol, à peine un murmure dans l’herbe. Dans le sous-bois des abris envahis par la végétation. Zone interdite. Attention – Point de contrôle des laisser-passer. Berlin Mitte : Chausseestraße, Oranienburger et Invalidenstraße, Landsberger Allee, puis Ostkreuz, Plänterwald, Karlshorst, Erkner – la ville à l’extérieur de la ville. Et le pays autour. Immensité ouverte sans espace.
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