Autant le dire tout de suite cette BD, ou roman graphique, c'est d'abord un Objet avec un O majuscule tant il est une Oeuvre à part entière :
- Format XL ;
- Couverture digne des plus grands éditeurs, on pense à Hetzel ;
- Couverture texturée ;
- Choix des couleurs au diapason Noir & Or.
(ceci n'est pas sans me rappeler d'ailleurs "La Bibliomule de Cordoue" qui était une réussite éditoriale).
Autant dire que sur une table de librairie vous ne voyez que cet objet, impossible de passer à côté, impossible de ne pas le prendre en main, et par conséquent impossible de ne pas l'ouvrir et là c'est trop tard.... Impossible de résister...
Car le festival continu papier glacé, signet. C'est sûr vous avez entre les mains beaucoup plus qu'une simple BD...
Des entrées de chapitres en Noir & Blanc, avec une mise en page digne de livres anciens, vieux plans de bateau, vieilles cartes..
D'accord il y a contenant et contenu, et là aussi c'est une claque ou plutôt un sacré grain que lon se prend en pleine tête.
Car les dessins sont juste réalistes, les traits précis, la mise en couleurs ou en contrastes est irréprochable, on en attraperait presque le mal de mer tant la mise en image vire à la mise en mouvement.
Les dessins sont immersifs au possible, cela donne des cases qui sont justes impressionnantes de détails que ce soit sur les décors, les bateaux ou les personnage, des cases au service de l'action, des visages, des regards.
Les auteurs jouent sur la disposition, le découpage, le fond des pages devient l'arrière-plan des scènes dans certaines pages, certains cadrages . C'est varié, inventif, presque cinématographique et le résultat est implacable : rythmé, intense,, bourré de rebondissements.
L'introduction de l'auteur, d'ailleurs, à de quoi nous happer
" L'extinction de l'âme
Avec des termes pareils, il en faudrait peu pour que ce phénomène décrit par Philippe Zimbardo, professeur de psychologie à Stanford, nous fasse sourire ou nous renvoie au registre poétique. Il s'agit malheureusement d'un mécanisme mental aussi réel qu'effrayant. de la Saint-Barthélemy au génocide arménien, en passant par le massacre des Tutsi, la Shoa ou les sévices commis sur les prisonniers d'Abu Ghraib, Zimbardo décèle un effrayant fil conducteur d'enchaînements et de situations qui conduisent tous la même horreur : l'arrêt complet de l'empathie d'un groupe d'humains associé à la suspension de leur jugement moral avec pour conséquences immédiates : sadisme et massacres.
« Moi, ça ne m'arrivera jamais » ou encore « pas à notre époque » sont sans doute les pires idioties que l'on puisse dire à ce sujet. N'importe qui, oui, n'importe qui, peut devenir ce bourreau, cet homme à la machette ou ce gardien de camp qui nous révulse tant. Cette universalité et cette intemporalité sont précisément l'objet de la brillante démonstration de Zimbardo dans son essai "The Lucifer Effect"...
Et de fait, des origines mêmes de l'histoire de l'humanité jusqu'à aujourd'hui, les preuves de la validité de ces théories sont légion.
Un fait divers, pourtant, m'a semblé illustrer avec une clarté incomparable cette sombre démonstration.
Il s'agit d'une histoire, bien réelle, dont les prémices prennent place aux Provinces-Unies — aujourd'hui Pays-Bas — société la plus « ouverte» du monde occidental du début du siècle. Refuge de la tolérance religieuse, berceau d'une révolution des arts et de la peinture, centre d'un rayonnement universitaire et de succès commerciaux sans précédent, rien — absolument rien — ne semble prédire à cette société qu'elle va engendrer la page la plus sanglante de l'histoire maritime. Et pourtant...
En 1629, la Compagnie hollandaise des Indes orientales (Vereenigde Oogt-rndigche Compagnie ou VOC) est tont simplement la compagnie la plus puissante et la plus riche du monde. Première «multinationale» de l'histoire, elle promulgue ses lois, frappe sa monnaie, et peut même imposer sur ses navires la présence d'un de ses représentants, un subrécargue, dont les pouvoirs — cas unique dans l'histoire — dépassent ceux du capitaine. En associant une puissance absolue, une discipline dont la dureté est à peine imaginable. et un contexte culturel rarement égalé, on pourrait se croire rassuré et armé pour clouer le bec au professeur Zimbardo et lui prouver qu'il y a bien des contextes si verrouillés que « l'extinction de l'Ame» est im-pos-sible.
La tragédie du navire «returnsheppen» Batavia est malheureusement le plus violent des démentis"
Nous voilà prévenus....
Dès le début, dès les premières cases, vous êtes cueillis... fait comme des rats...
"Vous n'en laisserez pas un en vie. Vous arracherez jusqu'aux bébés des ventres de leurs mères. Tous devront être simplement rayés de l'existence..."
Pour vous qui allez bientôt apprendre à me mépriser et à me haïr, il serait aisé de m'attribuer ces quelques mots de sang...
...Vous auriez tort...
...Ces paroles sont celles du roi Agamemnon, plus noble citoyen de la plus noble des sociétés, patrie de la philosophie et du droit...
... Alors quand vous viendra l'envie de me juger, de me cracher au visage ou de me briser les os à coups de pierre, vous repenserez à Agamemnon et vous vous poserez une question et une seule...
... Si le sage roi de Mycènes, héros de la guerre de Troie, est la mesure du bien...
... Qui pourra être celle du mal..."
Ces mots prononcés de dos par cette femme, sur fond de décor paradisiaque qui plus ils prennent de la gravité nous entraîne dans un univers sombre voire la noirceur... Donnent très vite le ton...
Alors ce n'est pas la première fois que la tragédie du Batavia/Jakarta fascine les auteurs et aiguise leur imaginaire, il y a eu "
L'archipel des hérétiques" de
Mike Dash et Les naufragés du Batavia de
Simon Leys, mais cette déclinaison graphique est une réussite absolue....
Vous voilà prévenus
Quant à moi me voici échoué à la fin de ce premier volume... Au bord de l'abîme.... En attente de l'île Rouge...
Presque malheureux de devoir laisser ces personnages à leur sort...
Mais "si étrange que cela puisse paraître, il faut bien reconnaître que le malheur n'est que question de perspective"...