L'aube se leva enfin, maussade, sombre.
Chigaleff est un homme de génie ! Savez-vous que c’est un génie dans le genre de Fourier, mais plus hardi, plus fort que Fourier ? Je m’occuperai de lui. Il a inventé l’« égalité » !
[...]
— Il y a du bon dans son manuscrit, poursuivit Verkhovensky, – il y a l’espionnage. Dans son système, chaque membre de la société a l’œil sur autrui, et la délation est un devoir. Chacun appartient à tous, et tous à chacun. Tous sont esclaves et égaux dans l’esclavage. La calomnie et l’assassinat dans les cas extrêmes, mais surtout l’égalité. D’abord abaisser le niveau de la culture des sciences et des talents. Un niveau scientifique élevé n’est accessible qu’aux intelligences supérieures, et il ne faut pas d’intelligences supérieures ! Les hommes doués de hautes facultés se sont toujours emparés du pouvoir, et ont été des despotes. Ils ne peuvent pas ne pas être des despotes, et ils ont toujours fait plus de mal que de bien ; on les expulse ou on les livre au supplice. Couper la langue à Cicéron, crever les yeux à Copernic, lapider Shakespeare, voilà le chigalévisme ! Des esclaves doivent être égaux ; sans despotisme il n’y a encore eu ni liberté ni égalité, mais dans un troupeau doit régner l’égalité, et voilà le chigalévisme ! Ha, ha, ha ! vous trouvez cela drôle ? Je suis pour le chigalévisme !
Quand les peuples commencent d'avoir des dieux communs, c'est signe de mort pour ces peuples.
Dieu est la souffrance de la peur de la mort.
Il faut vraiment être un grand homme pour savoir résister même au bon sens .
Pour rendre la vérité plus vraisemblable,il faut absolument y mêler du mensonge .
Il y a toujours dans la charité quelque chose qui corrompt à jamais .
- Qu’avez-vous, s’écria-t-il tout à coup, fixant presque avec terreur Tikhon. Celui-ci
était debout devant lui, les bras tendus en avant ; une convulsion rapide contracta
son visage horrifié.
- Qu’avez-vous ? qu’avez-vous ? répétait Stavroguine s’élançant vers lui pour le
soutenir. Il lui sembla que le prêtre allait tomber.
- Je vois... je vois clairement, s’écria Tikhon d’une voix pénétrante et qui exprimait
une souffrance intense, je vois que jamais, malheureux jeune homme, vous
n’avez. été aussi près d’un nouveau crime, encore plus atroce que l’autre.
Tous sont malheureux parce que tous ont peur d'affirmer leur liberté. Si l'homme jusqu'à présent a été si malheureux et si pauvre, c'est parce qu'il n'osait pas se montrer libre dans la plus haute acception du mot, et qu'il se contentait d'une insubordination d'écolier.
Chez chaque peuple, à chaque période de son existence, le but de tout mouvement national est seulement la recherche de Dieu, d'un Dieu à lui, à qui il croie comme au seul véritable. Dieu est la personnalité synthétique de tout un peuple, considéré depuis ses origines jusqu'à sa fin.