Les accommodements raisonnables

Il s'appelait Eric Balshaw et possédait la beauté nébuleuse caractéristique de ces médiocres acteurs dont on ne se rappelle jamais le nom. Il était à l'âge charnière où l'on pouvait encore deviner l'enfant imbuvable qu'il avait été et voir déjà poindre le sale con qu'il s'apprêtait à devenir.

Nous étions à la mi-mars, un mois à peine avant le premier tour, et les choses commençaient à devenir sérieuses. Chaque fois qu'un institut livrait le résultat de ses sondages, le téléphone sonnait et je devais subir les considérations paternelles sur le cours fluctuant du marché présidentiel.

Et je m’étais lancé dans le récit d’un scénario que j’improvisais et modelais tout en le racontant. Ce n’était pas la première fois que je le constatais , mais cela me surprenait chaque fois : l’esprit n’est qu’une matière inerte, un moteur découplé. Pour fonctionner il lui faut un carburant terriblement volatil et précieux : le désir.

Et si l'on allait fouiller tout au fond de la bête, on constatait que toute sexualité tripotée par les doigts de la judéo-chrétienté reposait principalement sur la foi de bites fourbes et de chattes chafouines.

Pour ma part, j'étais à ce point convaincu de mon insignifiance que, si quelqu'un avait pris une photo de notre table à cet instant, j'étais certain de ne pas apparaître sur le cliché.

(...) harassée par le plus insidieux des maux, le dégoût de soi et la fatigue d'être.

J'avais déjà repéré cet employé zélé, tout à l'heure, dans les salons du funérarium. Il m'avait semblé porteur d'une patience éternelle, avec ses gestes de fleuriste pour arranger le malheur.

"Dans des moments de perdition comme celui-là, il était inutile de se débattre pour tenter de refaire surface immédiatement. Au contraire, mieux valait accepter de se laisser aller, de couler au fond de soi et d'y séjourner jusqu'à ce que les choses se calment. L'attitude n'était ni très virile ni très courageuse, mais elle avait fait ses preuves."

"J'osais à peine à m'avouer cette vérité: le retour d'Anna vers une vie normale me perturbait. D'une certaine manière, son enfermement légitimait les quelques libertés que je m'étais octroyées, tandis que son retour à la maison me renvoyait à mes devoirs de mari. C'était là de vétilleux dosages auxquels encourageait la morale, des petites saloperies de l'âme humaine qui changeaient de couleur selon l'heure du jour et l'endroit d'où on les considérait. Tant de fois, sur de pareils sujets, le père s'était montré prolixe."

Quand elle partait dans une telle chevauchée logorrhéique, Selma me rappellait Whitman en proie à ses illuminations. Tous deux avaient cette capacité à masquer par un éboulis de mots le peu de pertinence de leur argumentation.