Les Indésirables

« Un piano à queue, au bois lisse, aux jambes fines et au dos rond. Les pieds dans la boue, il semble si précieux que les Espagnols ne peuvent s’empêcher de le caresser avec des murmures d’admiration. Aux yeux émerveillés d’Eva, c’est le plus bel instrument que la terre ait jamais porté. L’apparition a quelque chose de surnaturel, de magique. Les oiseaux ont sans doute attendu cet instant pour lui entonner une mélodie créée pour l’occasion. A ce moment-là, comme à dessein, l’aurore déclenche son feu de couleurs. Si la nature peut s’unir ainsi à l’homme, il y a de l’espoir. » page 157

« - Il ne s’agit pas de se prostituer, mais de résister. Les français nous ont emmenées ici, nous affament, nous insultent, nous traitent d’indésirables. Forçons-les à nous aimer, si nous voulons survivre ! Tu sais quel est le point commun entre les Français et les allemands ?
-Ces temps-ci, la fièvre des camps ?
-Non, les cabarets. » page 151

« Une pluie battante vient émouvoir la patiente file qui s’est gonflée de nouvelles arrivées, deux mille frêles oiseaux aux plumes détrempés. » page 35

Tous au camp!
On va camper!
Y a des grillages, des barbelés,
Autant d baraques que d gardes armés,
Beaucoup d'étoiles sous le ciel,
Surtout des jaunes, qui vont camper
Faut pas dire concentration,
Ça plaît pas aux Français
Faut pas dire internement,
Mais on peut le penser
Alors comment appeler
Le bel endroit où nous dormons?
Camp de privation de liberté,
Toutes égales, maintenant fraternisez!

Au Vélodrome d'hiver
Les larmes des mères,
Et celles des filles,
toutes deux amères

Elle a maintenant l'image des corps constellés de bouts de verre rampant au sol, comme autant de notes d'un requiem éparpillées sur une partition tachée de sang.

Chacune commence à s'interroger sur sa faute. La culpabilité revêt cette nuit un sens tout particulier pour les autres femmes du Vélodrome d'hiver.

Il n'y a pas de moi sans toi.

l'Allemagne en armes, la France en larmes.

Au commencement de l'homme est le désir. Il nous fait croire mille chimères, nous dispose à la détresse comme à toutes les audaces. Il transforme les opprimés en insoumis, et les femmes, parfois, en internées, filles-mères ou putains.