J’avais acheté du maquillage, chose que je n’avais pas faite depuis l’âge de dix-sept ou dix-huit ans. J’avais l’impression qu’avec ce maquillage, je parviendrais à raviver les yeux que j’avais dans ma jeunesse. J’étais pleine d’espoir lorsque je m’assis devant mon p’tit miroir et que j’entrepris soigneusement de faire ressortir mes charmes à l’aide de grosses traces de khôl. Ce soir encore, je me sentais pleine d’espoir. J’avais sorti mon plus beau chemisier, ma plus belle jupe, mais pas trop courte, car il ne fallait pas que Justin se rende compte tout de suite de mes défauts. J’allais prendre ma bouteille de parfum lorsqu’en jetant un regard par la fenêtre, je l’ai vu. Il sortait de la maison... avec une autre femme.
Au comptoir, des serveuses au décolleté provocateur. Un décolleté si plongeant que les filles assises au bar craignaient que les seins n’en jaillissent. Un décolleté si plongeant que les hommes assis au bar espéraient que les seins leur explosent dans la figure. Sur la piste de danse, des filles tentaient d’exprimer la sensualité de leur corps du mieux qu’elles le pouvaient sur des rythmes endiablés afin d’attirer sur elle le regard des hommes. Mais le regard des hommes était bien entendu tourné vers celles qui avaient le tour et c’était le cas d’une blondinette au corps dont chaque courbe faisait saliver. Un corps qui faisait baver les filles d’envie et qui faisait baver les hommes de désir.
Elle était figée sur place comme une statue de l’ennui, à fixer les lieux, le regard flou. Elle avait compris que certaines choses changent avec le temps. Elle regardait ce sentier qui, fillette, la guidait vers le réconfort et la joie de retrouver sa maman. Adolescente, c’était différent: ce n’était plus vraiment plaisant de retrouver maman... Aujourd’hui, adulte, le sentier la guidait vers des souvenirs douloureux... Et l’herbe... Lorsqu’elle jouait dehors, ses petits pieds d’enfant foulaient avec plaisir cette herbe qui sentait si bon. À l’adolescence, elle l’écrasait de coups de pieds fermes parce qu’elle se disputait avec un membre de sa famille.
C’était tellement plus agréable de travailler seul. Ça lui permettait de faire le point sur certaines choses et d’ainsi faire le constat qu’il n’était pas si bien que ça dans sa vie de couple. Cela faisait trois mois qu’il était marié à Evelyne et par moments, il ne savait plus trop quoi penser d’elle. C’était donc bien compliquée une femme! Il fallait toujours qu’il lui dise qu’il l’aime avant de pouvoir détacher son soutien-gorge! Pourquoi voulait-elle toujours être rassurée? Il ramenait le pain sur la table, ce n’était pas une belle preuve de son amour? C’était pire depuis qu’elle lui avait annoncé qu’elle était enceinte.
À son âge, on n’était plus censé attendre. Elle redescendit l’escalier et ressortit. Elle ne pouvait plus rester en dedans, c’était devenu étouffant. Les murs, le plancher, le plafond, tout était trop pour ses émotions qu’elle n’avait jamais réussi à gérer. Tiens! La chaise berçante. Pourquoi ne pas se bercer un peu? Ça avait toujours calmé certains habitants de la maison. Ça avait toujours endormi le mauvais qui prenait trop de place en dedans. À défaut de ne pouvoir le chasser, autant l’endormir. Bercer, engourdir, endormir le mauvais...