Il me semblait que l'état d'homme marié fait obstacle à l'acte pur de la création. Par le mariage on acquiert une nouvelle dignité civile qui trouble l'intuition de l'artiste. Par ailleurs, je concevais l'artiste comme un homme en éternelle disponibilité, créateur de valeurs esthétiques, un point c'est tout. Ravie peut changer, et il est bon qu'elle change, d'un jour à l'autre. Son expérience, prodigieuse comme elle se doit, ne peut être limitée, immobilisée...
La soif de nos corps fut difficile à étancher ce jour-là. On aurait dit que leur étreinte allait au-delà de l'étreinte, tellement à la fin ils confondaient leurs contours, tellement notre chair disparaissait, tellement nous perdions notre respiration, dévorés elle et moi par une même bouche sanglante et insatiable. Plus d'une fois j'ai espéré qu'au bout de ce ravissement nous rencontrerions ensemble la mort. Je ne savais pas que la mort pouvait être aussi tentante, aussi chaude - volupté sans spasme, béatitude sans gémissements. Dans mes rares instants de lucidité, quand je me réveillais, je réalisais que le sort ne m'avait pas donné seulement une certaine dame à aimer, mais aussi un certain corps que seule ma passion pouvait briser. À côté, toutes mes expériences charnelles antérieures n'avaient été qu'un jeu, un jeu innocent, une volupté gratuite. Iliana était née seulement, uniquement pour moi.
Chacune des femmes que j'ai aimées m'a opprimé, étouffé, même sans le vouloir, chacune m'a effiloché comme un vieux tapis, dissous, consumé jusqu'à la décomposition totale. Aucun homme n'échappe à ce destin...
Bucarest a les couchers de soleil les plus pernicieux, en toute saison : il est difficile à pareille heure de rester seul, de ne pas tomber amoureux, de ne pas se chercher une âme sœur dans une ville où le soleil s'éteint avec tant de mélancolie...
C'est le lot de quasiment tous les mâles qu'il ne reste plus dans leur mémoire la moindre empreinte de la magie de l'amour physique. Je crois que les femmes oublient plus difficilement : leur corps garde longtemps la présence de l'homme qu'elles ont aimé ou connu autrefois.
Mais apparemment personne n'échappe à la terreur de l'approche de la vieillesse, même les meilleurs d'entre nous. Je soupçonne que cela explique bien des choses...
Bucarest est plein de belles femmes.
Je connaîtrai comme je suis connu.
La camaraderie entre un homme et une femme jeune n’est possible que si tous deux sont très intelligents et que tous deux aiment ailleurs. Autrement c’est une simple camaraderie plus ou moins insipide, peu intéressante spirituellement-ou l’étape préliminaire d’une liaison tout aussi peu intéressante. Oui; l’amitié entre un homme et une femme jeune est un grand mot, avec une majuscule, si elle n’est pas nourrie par l’intelligence et soutenue par l’amour que chacun d’entre eux porte à une autre personne. Ces camaraderies agréables et impures que nous appelons amitiés, se résument la plupart du temps à des visites fréquentes, à quelques confidences et à une chaude familiarité; elles ne s’elevent pas plus haut.
C'est ce qui me paraît le plus difficile à apprendre d'une personne aimée : ses yeux. Nos regards parfois frappent ce miroir si maladroitement qu'ils le troublent et l'embuent ; ou, plus grave encore, ils le ternissent, ils lui donnent un éclat de faïence, d'émail coloré. Il y a aussi des regards cruels, qui arrachent la rétine, ou qui la transpercent sauvagement et l'ensanglantent ou qui l'éteignent ...