J'ai raté l'entrée dans ce livre comme l'on peut manquer d'un rien d'attraper l'autobus, paradoxalement pour cause de précipitation. Du coup pendant une cinquantaine de pages, cette désagréable impression de courir derrière avec l'espoir ténu d'enfin agripper le marche-pied. Et toujours cette phrase qui trotte lancinante dans ma tête : "Ne pas penser. Ne pas reprendre les dernières phrases de la dernière conversation, les mots que la séparation ..." p.8 Ô phrase si souvent ressassée, hélas, qu'elle n'a pu m'alerter ; tout le récit est un énorme flashback : Elise remâche sa vie .
J'ai pris conscience de toute l'importance d'une telle construction dans le Chardonneret de Donna Tartt, car tout prend alors une autre dimension.
Ici, j'ai eu sur le début l'impression que le livre me rejetait, que je n'avais pas ma place dans ce monde âpre de douleur et pauvreté, c'est écrit petit, le texte me paraît dense, tout est gris. Il m'a fallu lutter et lutter encore : "Rien jamais ne nous était donné. Il fallait tout arracher." p.208 Où me raccrocher dans ce Paris, à l'opposé du strass, des paillettes et du rêve ? Paris que je ne connais pas. Et comment rentrer dans ce monde ouvrier si fermé, si peu côtoyé ? Sentiment total d'exclusion, alors faute d'être dans la tête d'Elise, si fraternelle, je me rapproche de Lucien. Pourtant c'est un salaud, il fuit ; pire, il se fuit. Même lui, avec ses élans enflammés et soudains, sa démangeaison de convaincre sur le terrain, me semble lointain. Ma lucidité me force à admettre que je suis rejeté en périphérie tel ce sociologue bourgeois révolutionnaire en chambre dont je préfère oublier jusqu'au prénom.
Mais revenons à Lucien. Qui pense aujourd'hui en regardant les jeux olympiques à tous ces enfants laissés sur le banc ?
- Tu comprends, mon ami - mon Ami !?- tu n'es pas sélectionné, aujourd'hui.
- Et demain ?
- Mais on - On !? - a besoin de toi, pour ... porter les bouteilles d'eau, encourager et aider celui qui est sur le terrain.
Comble de l'ignominie ! Qui dira les affres d'une amitié bafouée ? Exclusion qui vous trace un destin : la révolte. Permanente, viscérale, le rejet d'être rejeté ! Cantonné, ne ris pas, dans le rôle du perdant, à vie. N'empêche je continue à penser que c'est quand même un salaud. De belles phrases, de beaux slogans, de grandes idées dans l'absolu mais dans tout cela que deviennent Marie-Louise, sa femme et la petite Marie, sa fille, délaissées, spoliées au profit d'Anna rencontrée au Parti qu'il accepte comme maîtresse. Et sa grand-mère qu'il laisse tomber comme une vieille chaussette et Elise vite remisée au Foyer ? Oui mais Elise, en tant que soeur, est prête à tout lui pardonner. Des petits mots, des petits gestes, les lectures du soir, l'attention inquiète, l'admiration aveugle, par petites touches successives Claire Etcherelli fait apparaître ce lien fusionnel, fort, inconditionnel.
Ah, que je les envie toutes ces âmes généreuses et spontanées qui elles peuvent s'illusionner le temps de leur lecture devenir Elise. Car au-delà de la misère, au-delà de l'épuisement physique de l'abrutissant travail à la chaîne, au-delà des races, des regards désapprobateurs, des on-dit, des persifflages, au-delà des conflits, de la guerre même, Elise découvre au quotidien ce qu'il y a de beau à l'usine dans Arezki, cet étranger, cet Algérien pourchassé. Elise c'est une présence active : c'est celle qui a le geste qu'il faut au moment où il faut, la parole qui touche, le sourire qui réchauffe, l'aide secrète, simplement Elise écoute son coeur.
Elise vit et revit la rencontre de l'amour de sa vie. Elle repense à tous ces petits gestes, tous les émois de deux coeurs qui se cherchent, s'éloignent, se rapprochent et s'apprivoisent. Il en faut du courage à Elise, à Arezki, que leurs cultures et leurs nations en guerre séparent. Après bien des conversations et des déambulations dans ce Paris inquiet, peu à peu ils se trouvent... jusqu'à finalement fusionner dans cet éclair qui vient illuminer leur nuit noire et chargée de si lourds nuages. "Je connus le plaisir de donner du plaisir" p.247. Douce fois perdre pied en un élan rythmé.^^ Ca doit être cela la vraie vie. Exclusion, Inclusion, battements du coeur... la vie.
Amour cruel qui fait les amours éternels : Elise et Arezki c'est Juliette et Roméo sans chanson ni mandoline ! Le livre se termine sur le glas d'un autre Alexandrin qui sonne comme une incantation "Je me retire en moi mais je n'y mourrai pas." La même ultime déchirure scelle la pureté de cet amour longtemps façonné comme un diamant qui brillera dans la nuit des temps.
Des phrases simples font rejaillir le réel, des dialogues rythmés par la cadence de la chaîne ou qui prennent vie en dehors de l'usine. Belle écriture que celle de Claire Echerelli, forte, engagée ou aussi sensible, fine, à l'écoute et qui fait si bien émerger tout ce qui est tu. Toute la puissance du non-dit m'a heurtée de plein fouet pour me retrouver brutalement embarqué... dans cet autobus vers un univers que je ne connais pas. La vie qu'est-ce que c'est ? Alors la vraie vie, que pourrais-je vous en dire ? Je peux par contre vous dire que dans le titre le ou est inclusif, comme Elise ou encore la vraie vie. Et comme elle se raconte si bien ...
PS. Un petit cadeau sur le sujet par la voix d'une autre grande dame ... pour garder un lien
https://www.youtube.com/watch?v=GM1u72MNLuI
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Un livre qui décrit très bien la vie en usine sur une chaîne, le milieu ouvrier donc, et un climat particulier le Paris à l'époque de la guerre d'Algérie. le ton n'est pas joyeux du tout. En lisant ce roman j'ai retrouvé les banlieues sordides et grises de l'après-guerre... Ces villes de ceinture autour de Paris ont mis beaucoup de temps avant de d'approprier des couleurs, des immeubles vétustes, délabrés, des murs noirs, perdus souvent au milieu des usines... J'ai aimé ce livre même s'il est assez déprimant et si l'auteur tente de "réhabiliter" en quelque sorte "Lucien", jeune homme, ayant fait quelques études, qui se conduit le plus souvent comme un mufle et un parasite.
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Ce livre provoque toujours en moi une tristesse indicible, une sourde douleur, un chagrin sans nom....
Elise et Arezki, ce couple magnifiquement tragique, hante mes pensées.Vivre un amour pur, entier, au moment de la guerre d'Algérie, pour une française et un algérien,c' est une épreuve de chaque jour, un courage terrible.Un acte rebelle.
Elise, venue rejoindre son frère Lucien, qu'elle couve malgré elle comme une mère, travaille durement à la chaîne en usine et découvre un monde du travail injuste et violent.C'est là qu'elle rencontre Arezki.
Les étrangers sont mal vus, méprisés.Le racisme banal, brutal, est attisé par le début de la guerre en Algérie.Les haines primitives s'exacerbent.Les deux amants sont obligés de se voir en cachette, à la dérobée, alors que leurs sentiments lumineux ne demandent qu'à voir le grand jour.On devine que des drames se profilent.Trop d'angoisse, trop de rejets.
le roman s'achève dans la désillusion et la souffrance.Un amour brisé, une vraie vie enfuie.
le style est admirable, mêlant poésie et grisaille du quotidien, passion et amertume,blessures et espoir, nostalgie poignante et éclats de lumière du souvenir.
Un livre bouleversant.
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Élise s'étiole dans la pauvreté à Bordeaux, aux côtés d'un frère, qu'elle souffre de faire vivre dans ces conditions difficiles. Elle décide de monter à Paris pour trouver du travail dans une chaîne de montage, dans l'usine de Renault-Billancourt. Parallèlement, elle essaie de lire, de "s'élever" intellectuellement, malgré la fatigue de la journée. Elle fait la connaissance d'un OS comme elle, un Algérien, Arezki. Ils s'aiment et vivent ensemble, il milite dans les rangs du FLN, jusqu'à la manifestation d'octobre 1961 à Paris, en pleine guerre d'Algérie, qui sera réprimée par un massacre sur les ordres du préfet Papon. Arezki ne sera jamais retrouvé.
Un roman engagé et émouvant sur la condition ouvrière et le militantisme, â une époque à présent historique, mais encore présente grâce à ce témoignage.
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